Question de Lison :
Mes rapports avec mon compagnon sont parfois très conflictuels car j’ai subi des agressions sexuelles et des viols à la suite d’une enfance peuplée d’abus émotionnels.
Je pense qu’au départ, même si je le lui ai dit, il n’en a pas saisi les conséquences.
Pour me montrer qu’il m’aimait, il voulait me montrer qu’il avait du désir pour moi (avec son sexe) quand je lui disais que je n’avais plus envie de vivre.
Il dit qu’il a été maladroit, s’en veut. Moi, je l’ai très très mal vécu.
Il a changé d’attitude depuis quelques mois et est plus à mon écoute.
Je ne comprends absolument pas son attitude de départ, pour autant et je reste bloquée là-dessus. Je l’ai déjà traité d’agresseur et de violeur, ne comprenant pas son comportement qui me semble insensé.
Mes pistes de réponse :
La première chose que je vous propose de voir en face c’est que ce n’est pas parce que vous avez « subi des agressions sexuelles et des viols à la suite d’une enfance peuplée d’abus émotionnels », que les rapports avec votre compagnon sont devenus très conflictuels.
Vous vous méprenez sur la cause. La véritable cause de vos conflits avec votre compagnon n’est pas en vous mais en lui, ça me paraît essentiel que vous en conveniez. A penser que vous auriez dû être autre que celle que vous avez été (ce qui est impossible), vous vous mettriez dans un douloureux conflit d’impossibilité, générateur d’injustice et de culpabilité contre vous-même.
Vous n’avez – ici maintenant – aucune possibilité d’être autre que ce que vous êtes. Si vous avez subi des traumatismes d’ordre sexuels, vous êtes aujourd’hui (au moins pour le moment), fragile dans votre sexualité. Vous n’avez pas d’alternative au fait de l’assumer, c’est-à-dire d’être fidèle à la femme que vous êtes et à qui il est arrivé ce qui est arrivé. C’est dans cette direction, en tenant compte de cela, que vous trouverez peu à peu un apaisement.
Vous partagez que vous avez révélé vos traumatismes à votre compagnon (afin qu’il agisse avec douceur et patience avec vous), et qu’il n’en a manifestement pas tenu compte.
Convenir qu’il a été « maladroit » avec vous (c’est là un euphémisme), c’est vous permettre de le regarder comme un homme responsable du mal qu’il vous a fait.
Si vous avez une blessure à la main, vous êtes légitime de demander à celui qui vous salue de ne pas vous serrer la main pour vous dire bonjour. S’il vous la serre malgré tout, il vous agresse.
Dans sa mauvaise foi – par un habile tour de passe-passe – l’autre peut tenter de vous faire croire que si vous n’aviez pas eu de blessure à la main il aurait pu vous la serrer. Ce qui est vrai, sauf que… vous avez une blessure à la main. Il est important que vous voyiez le plus clairement possible, qu’ici la manipulation est l’art de réussir à retourner la cause de l’agression sur la victime1 .
Votre compagnon est donc bien responsable de ses comportements comme des réactions émotionnelles que ses comportements peuvent susciter chez vous, puisque vous l’aviez averti.
Il apparaît donc parfaitement légitime de votre part que vous l’ayez « très très mal vécu », que vous vous trouviez face à une incompréhension profonde, l’incompréhension d’une femme qui ne peut pas comprendre pourquoi celui qui prétend l’aimer la maltraite.
Par son comportement votre compagnon vous a montré, à l’évidence, qu’il ne vous respectait pas : qu’il n’avait d’attrait pour vous qu’à la mesure de son désir de possession.
Une fois encore il faut répéter que la langue française n’a qu’un mot pour désigner l’amour du chocolat pour celui qui en consomme et l’amour pour sa compagne. On peut aussi dire que le renard aime les poules, la preuve, il les dévore !
Ce n’est pas parce que votre compagnon aspire à vous posséder qu’il vous aime : un homme qui désire une femme au point de vouloir la prendre pour lui, sans avoir préalablement vérifié qu’elle était consentante, ne lui montre pas qu’il l’aime mais qu’il est esclave de son désir de possession. Et c’est ainsi qu’il devient un violeur.
Sans doute l’avez-vous d’autant plus mal vécu, qu’ayant confié votre traumatisme à votre compagnon, vous étiez dans l’attente, d’être aimée et respectée par lui. Vous avez donc été très violemment « ramenée à la réalité » : votre compagnon, par son désir qui n’était pour vous qu’une douloureuse provocation, ne tenait nullement compte de vous (de votre passé, de votre histoire si douloureuse). Pire, il ne tenait compte exclusivement que de lui et de ses propres fantasmes.
D’un côté, sa manière inadaptée de vous désirer, ne pouvait créer chez vous – compte tenu de votre passé qui se réactivait – qu’un intense désir de mourir. De l’autre, votre compagnon – enfermé dans ses certitudes machistes – incapable de douter de lui-même pour penser à vous, croyait vous séduire en projetant ses propres fantasmes sur vous, quitte à s’exhiber dans un narcissisme ouvertement maltraitant.
C’est ainsi que traumatisée sexuellement dans le passé, ayant tout particulièrement besoin de douceur, de patience et de compréhension2 , vous vous retrouvez à vivre de nouveau l’horreur de l’abus sexuel dans votre relation avec celui par lequel vous vous pensiez aimée qui ne tient pas compte de vous et de votre vécu propre.
En réalité, votre compagnon a cherché à se faire du bien à lui en vous faisant du mal à vous, et cela s’appelle un comportement sadique.
Il me semble donc parfaitement légitime de votre part que vous restiez « bloquée » dans l’incompréhension de ce comportement sadique.
Avant d’agir, une personne « humaine » (donc une personne qui se comporte différemment d’un animal exclusivement mû par son besoin à lui), se pose la question de savoir si l’action qu’il veut poser est « appropriée au contexte » ou non.
Vous-même, avant de chercher à comprendre le comportement de votre compagnon, devez tenir compte du contexte dans lequel vous êtes amenée à chercher à le comprendre, c’est-à-dire du temps et des circonstances.
Je m’explique. Si vous êtes psychologue et qu’un homme (chose rare mais qui arrive), vient vous consulter pour que vous l’aidiez à mettre fin à ses comportements violents envers les femmes, votre travail est bien entendu de chercher à comprendre les mécanismes émotionnels qui sont à l’origine de sa violence.
Si vous êtes une mère, vous cherchez à comprendre le sens des comportements de votre enfant, quitte à découvrir – par exemple – les causes profondes de son énurésie.
Si vous êtes l’avocate d’un violeur, vous allez chercher à comprendre les causes des pulsions sexuelles de votre client afin de tenter de construire sa défense.
Mais si vous étiez vous-même la victime de ce violeur, pourquoi devriez-vous chercher à le comprendre ? Est-ce approprié au contexte ? D’autant plus qu’à chercher à comprendre un sadique, vous courez le risque de vous retrouver masochiste.
J’attire votre attention sur le fait qu’il peut y avoir une manière névrotique de vouloir chercher à comprendre l’autre quand on a été sa victime. Chercher à comprendre les motivations d’une personne est juste pour entrer en relation avec elle. Mais pourquoi continuer de vouloir entrer en relation avec un homme dont on a été la victime ?
Il m’est arrivé de travailler avec une femme qui – parce qu’elle se prétendait non violente – en arrivait à tolérer de la part des hommes l’intolérable pour elle-même. Il lui a fallu beaucoup de temps et de courage pour découvrir que sa soi-disant non-violence était en réalité une réponse désespérée à son incapacité à se respecter elle-même.
Il ne s’agit pas ici de plaider pour la violence et l’incompréhension, mais pour la légitimité que doit sentir en lui-même un être à se défendre d’un autre quand cet autre le veut pour lui sans son consentement3 .
Comme vous, Lison, je considère le comportement de votre compagnon comme insensé. Chercher à comprendre « malgré tout » son agresseur peut être un moyen inconscient de chercher à se soumettre de nouveau à lui.
Il serait intéressant de mieux vous connaître donc d’investiguer en vous-même pour parvenir à savoir si vous devez simplement vous protéger de lui ou – de manière plus complexe – de vous-même dans votre possible confusion à le tolérer.
Si un homme menaçait de vous agresser, je présume que vous conviendriez facilement qu’il ne servirait à rien de chercher à comprendre ses motivations ni ses besoins. Vous porteriez votre attention sur le fait qu’il est là devant vous menaçant et que, peut-être avec un peu d’habileté, vous pourriez réussir à déjouer le piège qui se referme sur vous en vous enfuyant.
Si un homme vient de vous agresser, devez-vous chercher à le comprendre ou tout faire pour qu’il ne risque pas de recommencer ?
Vous m’écrivez : « Il dit qu’il a été maladroit, s’en veut. Moi, je l’ai très très mal vécu. Il a changé d’attitude depuis quelques mois et est plus à mon écoute. »
Cet homme aujourd’hui devenu « plus à votre écoute », peut-il vous permettre d’espérer qu’il soit devenu capable de maitriser ses pulsions sexuelles ? Sentez-vous juste, pour vous-même, le désir de lui confier votre espoir ?
Je vous invite au pragmatisme. Si vous aspirez à être aimée, cela ne sera rendu possible que par un être qui tiendra compte de vous « telle que vous êtes » donc avec vos éventuels traumatismes et autres particularités.
A chercher à comprendre l’attitude maltraitante de votre compagnon, (sans doute pour répondre à votre besoin d’être aimée), vous pouvez être amenée à penser quelque chose comme « pourtant il n’est pas comme ça », mais il serait dommageable pour vous de courir le risque de nier le comportement qu’il a eu, donc qu’il a été « comme ça. »
Dans une relation amoureuse, nous avons tous besoin de prendre la mesure de ce que l’autre est capable ou non de nous faire vivre. Prendre cette mesure, c’est calculer un risque dans notre relation à l’autre, afin de le valider ou non.
En restant « bloquée là-dessus » vous courez donc le risque de ne pas prendre la mesure de ce qui s’est passé, de ce que votre compagnon a cru bon de vous infliger, consciemment ou inconsciemment, qu’importe.
N’oubliez pas que c’est parce que vous vous êtes crue aimée que vous vous êtes ouvertement montrée dans votre vulnérabilité et que c’est à ce moment que votre compagnon s’est révélé être incapable de savoir compter jusqu’à deux, c’est-à-dire un abuseur incapable de tenir compte de l’autre.
Ce n’est pas en le traitant d’agresseur ou de violeur que vous le changerez, de même le fait de vous indigner de son comportement ne vous en protégera malheureusement pas.
Soyez réaliste, convenez que ce qui protège ce sont les actes, les mesures que vous saurez prendre par amour et respect de vous-même.
Vous respecter vous-même passe par l’observation lucide et attentive des interprétations que vous donnez à ce qui vous arrive. Il vous faudra donc vous poser la question de savoir si vos interprétations sont fidèles et appropriées à ce que vous voulez obtenir pour vous-même dans votre relation à un homme.
En définitive, l’important pour vous, me semble votre capacité à discerner la manière dont vous pourrez, avec certitude, vous sentir aimée par l’autre.
Pour vous y aider, je propose à votre réflexion ces mots du philosophe et compositeur Theodor W. Adorno in Minima Moralia : Réflexions sur la vie Mutilée :
« Tu seras aimé quand tu pourras montrer ta faiblesse sans que l’autre ne s’en serve pour affirmer sa force. »
Illustration :
Amedeo Modigliani (1884 – 1920), Portrait de femme.
Notes :
1. Lire à ce sujet mon article : Oser en parler : à propos de l’abus, des abuseurs et des abusés.
2. Lire à ce sujet mon article : Traumatisme et présence : comment s’y prendre avec une personne victime d’un traumatisme ?
3. Lire à ce sujet mon article : Oser la colère, oser être vrai avec soi-même.
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Pour aller plus loin, vous pouvez lire :
- Traumatisme et présence : Comment s’y prendre avec une personne victime d’un traumatisme ?
- Doit-on écouter les personnes qui nous disent qu’elles ont été abusées sexuellement ?
- Oser la colère, oser être vrai avec soi-même.
- Oser en parler : à propos de l’abus, des abuseurs et des abusés.
- Pédophilie, pédocriminalité et perversion.
- Contrat-accord sur la sexualité dans le couple.
- Martin Winckler : Le chœur des femmes.
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Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)