De quoi s’agit-il ?
En hommage à Alice Miller
(Si vous envisagez d’entreprendre un travail thérapeutique avec moi, il est important que vous commenciez par comprendre intellectuellement ce dont il s’agit. Pour ce faire, lisez et relisez attentivement ce texte en laissant passer plusieurs jours entre vos lectures afin de ressentir s’il vous parle.)
On commence souvent une démarche thérapeutique en sachant davantage « ce qu’on ne veut plus » que « ce qu’on veut vraiment. »
Beaucoup de personnes souffrent de ne pas être autonomes, c’est-à-dire qu’elles n’osent pas se démarquer de ce que les autres attendent d’elles, ainsi elles oscillent sans arrêt entre négliger leurs propres besoins et se soumettre à ceux des autres, ou imposer leurs points de vue de manière plus ou moins agressive, quitte à culpabiliser après coup d’avoir été désagréables et de se sentir « nulles. »
Etymologiquement, « autonome » vient de « auto » (soi-même) et « nomos » (la loi). Une personne autonome – qui se régit elle-même en utilisant ses propres lois – a des comportements adaptés aux situations relationnelles qu’elle rencontre.
Par contre la personne que l’on pourrait appeler « émotionnellement endommagée », ne peut pas accéder à son autonomie, elle ne peut que se nuire à elle-même et nuire aux autres, parce qu’elle est « en souffrance. »
Pourquoi sommes-nous si confus ?
Nous avons tous été bombardés – depuis notre naissance – par des suggestions qui nous limitent. C’est ainsi que le sentiment premier que chacun a de lui-même provient du premier stade de son développement : l’idée que nous nous faisons des autres est liée aux rapports que nous avons eus avec les personnes avec lesquelles nous étions en contact lors des premières années de notre vie.
Ainsi, ce que nous sommes à la naissance est remodelé pendant l’enfance par les réactions de notre entourage et par ce que nous renvoie notre environnement, créant ainsi l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes.
Si des liens affectifs solides se sont créés avec nos parents et que ceux-ci nous ont respectés, une saine estime de soi s’élabore. Si ce n’est pas le cas, le sentiment que nous avons de nous-même sera à la fois négatif et déficient.
Par la suite, cette première image de soi-même est plus ou moins renforcée par les maîtres d’école, les professeurs, toutes les figures d’autorité et les gens qui ont une influence sur nous.
C’est donc à partir de ce conditionnement permanent que se développe un sentiment habituel de soi basé sur les « schémas » de notre petite enfance et recréé, à travers nos rencontres et nos comportements à mesure que nous nous développons, dans l’équilibre ou la névrose.
Beaucoup de personnes ont été éduquées à travers des « programmes » basés sur la peur et l’insécurité. Pour vivre une vie plus vaste (ce à quoi vous aspirez si vous lisez ces lignes,) c’est-à-dire plus complète et satisfaisante, il va vous falloir changer le contexte depuis lequel vous voyez cette vie et vous-même et pour cela entreprendre ce que l’on nomme un travail thérapeutique.
Sur quoi précisément porte un tel « travail » ?
La connaissance de soi est la connaissance des causes qui nous poussent à agir, elle n’est rendue possible que si nous osons nous observer honnêtement à la fois avec bienveillance et objectivité. Il s’agit donc, pour se comprendre soi-même, de « valider » les raisons (les causes) qui nous ont poussés à agir comme nous avons agi, c’est-à-dire de reconnaître la cohérence interne qui existe entre ce que nous avons appris, le plus souvent malgré nous, dans la relation avec nos parents et éducateurs, et la manière dont nous fonctionnons avec nous-même et les autres aujourd’hui.
Par chance il existe un signal qui nous montre notre inadaptation aux situations relationnelles que nous vivons, c’est l’émotion (étymologiquement, ce qui nous meut hors de nous-mêmes.) Notre mari nous dit quelque chose de plutôt anodin alors que nous sommes ensemble en voiture en route pour le restaurant, du genre « tu as bien fermé la porte en partant ? » et nous sentons monter en nous une bouffée de malaise qui risque de nous faire répondre agressivement quelque chose comme « si t’as pas confiance, tu n’avais qu’à vérifier toi-même ! » et le début de soirée peut être compromis. Or cette émotion vient de très loin, sans doute de notre enfance (où nous avons dû entendre plus d’une fois : « on ne peut pas te faire confiance »). L’émotion (ici le malaise disproportionné par rapport à la situation présente) est un signal qui montre qu’à l’intérieur de nous, quelque chose d’incompris et de malheureux cherche à être enfin reconnu.
Certaines de nos émotions peuvent bien sûr être adaptées et utiles, par exemple quand nous avons soudainement peur parce que notre enfant de trois ans se penche un peu trop par la fenêtre du troisième étage, c’est le signal qui nous pousse à intervenir.
Nos émotions sont inadaptées quand nous sommes emportés et que nous avons des comportements irrationnels. Plus il y a disproportion entre la situation que nous vivons et l’intensité de notre émotion, plus nous pouvons être certains d’être les victimes de notre mémoire émotionnelle.
Il nous faut donc (à partir du repérage de nos émotions), travailler sur cette mémoire, c’est-à-dire sur les causes émotionnelles qui nous poussent à agir de manière disproportionnée et cela est d’autant plus difficile que avons appris à nous juger et à nous culpabiliser de n’être pas conformes à l’idéal qui nous était présenté dans l’enfance par nos parents et éducateurs.
Quel est ce « travail sur la mémoire » ?
Les enfants, par définition, naissent physiquement, intellectuellement et émotionnellement « non achevés » et innocents. Ils ont donc émotionnellement besoin de croire, pour se développer, que leurs parents les aiment, c’est ce qui les rend dépendants d’eux.
Les parents, pour le meilleur comme pour le pire, influencent leurs enfants :
Quand un père dit à son fils « Comment oses-tu me parler ainsi, à moi, ton père ? », l’enfant se sent inférieur, il subit et apprend le rapport de force plutôt que de se sentir aimé.
Quand une mère dit de sa fille devant elle « Ah ! Celle-là, c’est le portrait craché de son père : menteuse et fainéante », l’enfant croit, comme une fatalité, ce qu’on dit de lui.
Quand une mère dit à son enfant « Si tu continues tes bêtises, je ne t’aimerai plus », l’enfant se sent mal et seul, il apprend alors à se renier lui-même.
Quand un parent dit à son enfant « C’est pour ton bien que je t’ai battu, plus tard tu me remercieras », l’enfant le croit et se soumet (tant qu’il est petit, du moins). Et il est écartelé car il sent au plus profond de lui que quelque chose n’est pas juste : celui qui dit qu’il m’aime me fait mal. Il risque d’errer dans sa propre vie (où est le bien, le mal ?) étranger à lui-même et mené par sa propre rage refoulée.
Parce que les enfants sont dépendants des manières de voir, de penser et d’agir de leurs éducateurs, il suffit que ceux-ci décrètent quelque chose à leur propos pour qu’ils se sentent devenir ce qu’ils disent d’eux ou s’en veulent de ne pas être à la hauteur de leurs espérances.
Cette dépendance fait que, pour se sentir aimé, l’enfant consentira toujours à renoncer à lui-même et à ce qu’il sent plutôt que de s’y fier et de courir le risque de perdre l’amour de celui dont il a besoin pour survivre.
Si le parent avait accueilli les émotions de tristesse, de colère ou de peur de son enfant quand celui-ci les exprimait, elles se seraient évanouies d’elles-mêmes (comme elles sont arrivées) après s’être exprimées. A contrario, quand le parent refuse d’entendre l’expression émotionnelle de l’enfant, cette expression se retrouve refoulée en lui et agit alors pour lui comme un véritable poison.
Pour se sentir aimé, un enfant au parent non respectueux (donc maltraitant) aura besoin de croire qu’il mérite les insultes, les humiliations ou les coups qu’il reçoit, il sera prêt (sans savoir ni sentir consciemment ce qu’il fait) à réprimer sa colère, sa révolte et son besoin légitime de se défendre. En ne prenant surtout pas le risque de contrarier ses parents, en refoulant au plus profond de lui-même ses émotions de colère et de haine, il s’adapte – en espérant inconsciemment conserver l’amour dont il a besoin pour se développer.
En fait l’enfant innocent croit sincèrement que ce qu’on dit de lui est vrai ou que ce qu’on lui fait est normal et mérité.
Cette adaptation le sauve momentanément de l’abandon mais il en garde les séquelles, jusqu’à l’âge adulte, gravées profondément en lui sous forme de colère refoulée.
Et il vivra avec cette « colère », qui s’origine à partir du retour du refoulé, tant qu’il ne l’aura pas mise à jour. Elle pourra s’exprimer contre lui-même (dépression, maladies psychosomatiques, obésité, automutilation, conduites dissociantes 1), et contre les autres à travers des comportements manipulateurs et pervers (prises de pouvoir, tentatives d’intimidation, narcissisme démesuré, déni de l’évidence, rejet de la responsabilité et interprétation tendancieuse) y compris contre ses propres enfants auprès desquels il pourra répéter les comportements abusifs de ses géniteurs.
Si cette colère refoulée reste hermétiquement close à l’intérieur de lui-même, il refera l’expérience traumatisante qu’il a vécue avec ses parents dans ses relations avec de nouvelles personnes qui l’abuseront à leur tour sans qu’il puisse se sentir légitime de se défendre, puisqu’il sentira confusément qu’il a mérité l’abus.
Sur quelle aide pouvons-nous compter ?
Dans un tel contexte, vous comprendrez aisément que seul(e)s, il nous est extrêmement difficile de nous libérer de telles compulsions 2 puisque nous sommes menés par nos habitudes comme par une espèce de « pilotage automatique » que nous n’avons pas nous-mêmes programmé, et que nous n’avons – jusqu’à maintenant – jamais osé remettre en cause.
C’est dans ce contexte que l’aide du thérapeute 3 est précieuse car c’est à travers la confiance que nous avons en lui que nous pourrons dévoiler nos comportements, nos émotions, nos pensées et même nos rêves les plus intimes.
Le thérapeute n’est pas neutre, il est notre allié puisqu’il cherche à nous comprendre « tels que nous sommes. » Le dévoilement devant une personne en qui nous avons confiance aide à mettre au grand jour, pour nous-mêmes, certains de nos fonctionnements que nous ne comprenions pas.
C’est ainsi que nous allons apprendre à nous fréquenter nous-mêmes consciemment « tels que nous sommes » avec nos stratégies d’adaptation, en apprivoisant progressivement la réalité de notre histoire telle que nous l’avons vécue.
Cette « transparence », cette « mise à plat » ne peut évidemment pas se forcer, elle se fait peu à peu, au fur et à mesure de l’évolution de la relation, elle demande du courage et de la patience et génère des transferts 4.
Dans une relation thérapeutique, il est essentiel de pouvoir se permettre d’être totalement partial (et même injuste et agressif), donc complètement subjectif. Si la confiance existe, autrement dit si le transfert est correctement installé, le thérapeute (qui ne cherche pas à se défendre) n’aura pas à être épargné. En s’offrant lui même comme objet disponible pour le transfert, le thérapeute permet à celui qui lui parle de regarder en lui-même comme dans un miroir.
Dans ce contexte, nous comprendrons que le thérapeute n’intervient pas en « gourou » qui a réponse à tout « parce qu’il sait », mais en ami qui acquiesce à « ce que je suis » parce qu’il me comprend parfois mieux que je ne me comprends moi-même.
Une psychothérapie réussie permet l’autonomie
De nombreuses personnes ne veulent pas faire ce travail, parce qu’elles ont peur de ce qu’elles vont trouver (des souvenirs de vécus traumatisants.) Elles errent souvent ainsi pendant longtemps dans l’existence en tentant de se persuader qu’il faut « aller de l’avant » et ne pas s’écouter. Surtout les hommes à qui on a fait croire qu’un garçon doit être fort et ne pas montrer sa souffrance. Ces personnes sentent bien parfois qu’elles ne peuvent pas soumettre le réel à leur volonté mais elles refusent d’aller voir un thérapeute alors même que leurs corps subissent les maux de la somatisation 5. Leurs arguments sont multiples, elles disent qu’elles n’y croient pas (comme s’il s’agissait d’une croyance !), qu’elles ne veulent pas dévoiler leur intimité à un étranger, ou même avec une mauvaise foi qui cache leur souffrance, elles clament qu’elles vont très bien. Elles se laissent souvent conforter dans leur méfiance par des personnes de leur entourage qui résistent, elles aussi, à l’opportunité de se faire aider et accompagner.
Elles ressemblent tragiquement à celui qui porterait sur le corps toutes sortes de blessures purulentes mais qui, après avoir lutté avec courage contre le ressenti de la douleur, n’aurait pas trouvé d’autre moyen pour survivre à ce qui le broie que d’insulter son entourage, le rendant responsable de ce qui, en lui tente désespérément de se dire et de se faire panser.
Les personnes qui n’ont pas mis à jour leur colère refoulée (parce qu’elles ne veulent surtout pas fréquenter un thérapeute), ne peuvent pas devenir émotionnellement stables et équilibrées dans leur rapport à autrui. Elles continueront donc à compenser leur absence d’estime d’elles-mêmes en n’osant pas prendre leur place dans l’existence, en restant en retrait, ou au contraire en étant agressives, hautaines ou méprisantes avec les autres. Pire, convaincues que « qui aime bien châtie bien », elles exerceront leur violence dans leurs relations à leurs proches sans s’apercevoir ni comprendre qu’elles sont prisonnières d’une compulsion mortifère.
Pour conclure…
Pour qu’une personne puisse se libérer de sa compulsion à nuire aux autres et à elle-même, il lui faut donc faire ce travail thérapeutique qui consiste à revisiter l’histoire douloureuse refoulée de son enfance, accompagnée en cela par un thérapeute bienveillant qui comprendra avec empathie l’expérience de l’ex enfant qu’elle était et servira de miroir à l’adulte qu’elle devient.
C’est à ce prix qu’ayant exprimé sa colère refoulée en présence de cet « allié », elle n’aura plus à craindre le souvenir même des personnes qui lui ont manqué de respect dans son enfance. Elle pourra enfin s’apaiser. Ne ressentant plus le besoin d’interpréter les demandes des autres comme une obligation ou une menace, elle pourra devenir davantage bienveillante avec elle-même et les autres. Désidentifiée de ses anciennes peurs, elle pourra de mieux en mieux relativiser les situations relationnelles conflictuelles qu’elle vivra en les assumant avec moins d’émotion.
Elle deviendra plus autonome en ce sens qu’elle ne sera plus émotionnellement dépendante de sa relation ancienne aux personnes qui lui ont manqué de respect. Elle ne ressentira plus le besoin de leur rester soumise et obéissante, elle agira sur la base de son nouveau ressenti d’elle-même. Elle ne se vivra plus torturée entre ce qu’elle est et ce qu’elle pense qu’elle devrait être, elle se sentira plus unifiée.
Elle découvrira aussi peut-être, peu à peu, (ce que les personnes qui ont été respectées savent et vivent) qu’elle n’est pas obligée de se sentir personnellement concernée par ce que vivent les autres.
C’est à cela que peut servir un travail thérapeutique correctement mené.
Notes :
1. Les conduites dissociantes sont les conduites à risques et les mises en danger incompréhensibles pour une personne de l’extérieur qui permettent à la victime d’éteindre momentanément sa mémoire traumatique en se retrouvant dans un état d’indifférence affective pendant un temps.
2. La compulsion est l’impossibilité pour une personne de ne pas accomplir un acte, parce que ce non-accomplissement est générateur d’angoisse et de culpabilité.
3. Le thérapeute est une personne serviable qui étymologiquement « prend soin » de quelqu’un.
4. Attitude par laquelle une personne reporte sur le thérapeute une affection ou une hostilité qu’il éprouvait dans l’enfance pour une autre personne (père, mère, etc.)
5. Traduction physique d’un conflit psychique. On peut somatiser une angoisse par exemple.
© 2014 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.
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Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)