Martin Winckler Le choeur des femmes

À propos de l’écoute et de l’empathie : Comment s’y prendre pour soigner une femme ?

« Qui soignes-tu, en cet instant ?

Eux, ou toi ? » (1)

Telle est LA question de la relation d’aide.

Le livre de Martin Winckler Le Chœur des femmes (Editions P.O.L) est un roman de formation mais aussi un roman pédagogique en milieu médical. (Cf. l’interview vidéo de l’auteur que vous découvrirez plus bas.)

Il met en scène la rencontre de deux médecins : Jean (Djinn) Atwood, une jeune et volontaire interne de chirurgie gynécologique, qui doit passer six mois dans le service 77 mais n’a pas du tout envie d’y perdre son temps à « tenir les mains des patientes » et Franz Karma, le praticien d’une cinquantaine d’années qui dirige ce service et s’est consacré depuis trente ans à la santé des femmes.

Je partage ici avec vous l’un des premiers chapitres de ce roman réaliste dans lequel la brillante interne assiste, pour la première fois, aux consultations du Dr Karma et à sa manière particulière d’entrer en relation avec ses patientes.

Vous découvrirez en italiques les monologues intérieurs émotionnels de la jeune interne, qui « bout » en face de ce qu’elle considère encore comme des maladresses…

« Je bondis sur mes pieds pour le suivre dans le couloir et je le vois s’approcher du comptoir, y prendre un petit dossier blanc rectangulaire, entrer dans la salle d’attente, appeler un nom, ressortir. Une femme sort derrière lui, sac et écharpe au bras. Il lui serre la main et me désigne.

– Bonjour, madame. Est-ce que vous permettez que notre interne, le docteur Atwood, assiste à la consultation?

Elle nous regarde, lui d’abord, moi ensuite, me fait un sourire un peu gêné, un peu bête, hoche la tête, murmure « Bien sûr… » et entre dans le bureau de consultation.

Il entre à sa suite, se retourne, pointe l’index vers les chaises tapissées d’un motif à carreaux rangées face au secrétariat. « Prenez-en une pour vous. »

Je soulève une chaise, je retourne dans le bureau, je m’installe entre le fauteuil à roulettes de Karma et une petite étagère de livres placée contre la cloison.

– Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, madame? demande-t-il en posant sur le bureau le petit dossier blanc.

La patiente est encore debout. Karma s’installe sur le fauteuil à rou­lettes et l’invite de nouveau à s’asseoir.

La femme pose son sac et son écharpe sur une chaise, s’assied sur l’autre, croise les jambes, pose une main à plat sur le bureau et soupire.

Elle hésite, incertaine, ses yeux braqués sur le bureau comme si elle se concentrait sur ce qu’elle va dire; et puis, brusquement, elle le regarde droit dans les yeux, et elle se met à lui raconter sa vie, très vite, sans s’arrêter, comme si elle avait peur qu’il l’interrompe, en commençant par sa mère, son père, son mari qu’elle a épousé à dix-neuf ans parce qu’elle était obligée, sa première, sa deuxième, sa troisième grossesse, les accou­chements prématurés et les césariennes, les déchirures et les forceps, la couveuse du petit et les convulsions de la petite « et ma troisième qu’est un vrai garçon manqué »…

Et, pendant qu’elle dévide son chapelet, je m’attends à ce qu’il lève très vite la main et lui dise quelque chose comme : « Du calme, madame, pas tout en même temps, mettons un peu de l’ordre là-dedans, sinon nous n’y verrons pas très clair » – parce que si on se laisse noyer dès le début par tout ce que les patients ont à raconter, on y est pendant des plombes.

Mais il ne l’interrompt pas.

Pendant qu’elle énonce sa plainte, qu’elle explique en long et en large le motif de sa consultation, qu’elle énumère ses doléances et détaille par le menu les raisons de sa venue – bref, pendant qu’elle lui raconte ses salades, il parcourt le dossier des yeux, et en sort une liasse de feuilles blanches et jaunes qu’il déplie et examine une à une. D’abord je me dis qu’il ne l’écoute pas, mais je l’entends faire « Mmhhh » quand elle a du mal à finir une phrase, ou « Oui? » quand elle s’arrête, incertaine, et reprendre telle ou telle information qu’elle vient de lui donner en pointant du doigt sur une ligne griffonnée dans le dossier par un autre praticien avant lui : « Oui, je vois que vous avez été hospitalisée. Effectivement, il vous a prescrit de la Fémorone. »

Parfois, aussi, je le vois deviner la fin d’une phrase avant elle, mais, au lieu de la terminer – ça permettrait d’accélérer le mouvement -, il se retient, il attend qu’elle crache la fin et, quand il voit qu’elle ne la trouve pas, il la suggère d’un mot, comme ça, en passant, l’air de rien. Du coup, ça la relance, elle se remet à parler, à vider son sac, à déverser ses litanies, à raconter sa vie.

Je décroise et je recroise mes jambes en soupirant.

Elle m’énerve. Ils m’énervent, tous les deux.

Parfois encore, au détour d’une phrase, il laisse échapper. « Que voulez-vous dire? » ou : « Pardonnez-moi, je n’ai pas bien suivi… » Et puis, à un moment bien précis, un moment où la femme a laissé sa phrase en suspens et l’a regardé droit dans les yeux, comme pour lui demander de poursuivre et de dire à sa place les mots qu’elle n’osait pas prononcer, il se redresse sur son siège, se penche en avant, pose les avant-bras sur le bureau, croise les mains et sur un ton très calme, très tranquille, avec un sourire indéfinissable, il murmure : « Qu’est-ce qui vous soucie? »

Il se prend pour sa mère, ou quoi ?

Elle hésite, et puis elle se lance et elle dit que ce qui la soucie, la tra­casse, la mine, l’inquiète, l’angoisse, la préoccupe, lui pourrit la vie depuis trois jours ou trois semaines ou six mois ou cinq ans, eh bien, fran­chement, elle aurait bien aimé en parler plus tôt mais elle n’a jamais pu le dire à personne, ou elle n’a pas osé le dire à son médecin de famille parce qu’elle pensait qu’il allait se moquer d’elle, ou elle avait trop honte, trop peur, trop mal pour le dire jusqu’ici. Seulement, à présent, elle en a assez, elle n’en peut plus.

Moi aussi ! Et j’ai de plus en plus envie de la frapper. Karma, lui,dit: « Je comprends. »

Ohbondieu.

Et là, elle y va franco, plus envie de tourner autour du pot, elle sait ce qu’elle a, elle sait ce qu’elle veut, elle sait ce qu’elle attend. Alors elle déballe tout, sa vie sexuelle, les règles qui viennent ou pas, la pilule qui lui donne des vergetures aux seins, l’implant qui l’a fait grossir, les enfants qui lui pompent l’air, sa mère qui la tanne pour qu’elle cesse de travailler, son mari qui veut toujours quand elle n’en a pas envie – de toute manière ça lui fait mal et elle est toujours trop crevée pour penser à ça. « Pourquoi est-ce que les hommes n’ont que ça en tête? »

De plus en plus à cran, je me retiens – c’est pourtant pas l’envie qui m’en manque – de dire :« Ben, vous savez, ma bonne dame, les bonnes femmes, c’est pas mieux », et je me mets à espérer qu’elle ne va pas continuer comme ça pendant des heures et, surtout, que Karma ne va pas la laisser faire, qu’il va bien finir par l’interrompre à un moment ou à un autre parce que là, je n’en peux plus et je vois sur le planning que derrière il y en a une dizaine qui poussent au portillon. Alors s’il ne met pas très vite un terme…

À ce moment, elle s’interrompt et lance :

« Je sais pas pourquoi je vous dis tout ça. »

Moi non plus, bordel !

Mais lui : « Parce que vous aviez besoin de vider votre sac… » – avec un sourire pas même ironique.

Et elle, fondant comme s’il lui avait fait des compliments sur une nouvelle robe : « Oui, c’est un peu ça. »

Et le voilà qui dit : « Bon, si j’ai bien compris… Vous m’arrêtez si je me trompe, n’est-ce pas? » et lui annonce qu’il va lui expliquer ce qu’il en est, à son humble avis. À son humble avis? Mais qu’est-ce qu’il nous joue, là ?

Il se tourne vers moi, tend le bras vers l’étagère contre laquelle j’ai posé ma chaise, saisit un cahier cartonné et l’ouvre sur le bureau.

C’est une série de planches anatomiques stylisées. Il désigne une silhouette de corps féminin.

– Ça, c’est vous, dit-il en souriant et en se penchant vers elle.

Elle lui rend son sourire et s’approche de la table.

Du bout du stylo, il désigne les organes sexuels (« Ici, le vagin, ici, l’utérus, les trompes, les ovaires »), tourne la page (« Les mêmes, en plus grand ») et lui explique comment l’ovocyte est expulsé de l’ovaire et roule tranquillement sur le tapis de cils des trompes, tandis que, de l’autre côté, les spermatozoïdes grâce à leur flagelle grimpent vaillamment à la ren­contre de l’ovocyte et comment l’ovule ne peut descendre dans l’utérus que si le tapis de cils des trompes est en bon état, et qu’un ovocyte est fécondé comme ci, et qu’un embryon s’implante comme ça, comme si elle pouvait comprendre de quoi il parle, je sais pas quelles études elle a faites, cette femme, mais ça m’étonnerait…

Et lui, souriant : « Vous me suivez? »

Et elle, souriante : « Oui, c’est très clair. »

Et moi, sur ma chaise à carreaux, je bous, je n’en peux plus, je n’en reviens pas parce que Karma ne regarde sa montre à aucun moment, d’ailleurs je l’ai vu l’enlever au début de la consultation et la fourrer dans sa poche de blouse et on dirait qu’il s’en fout complètement que l’heure tourne. Et en plus, dès qu’elle lève le petit doigt ou fait un petit bruit de bouche, il s’interrompt, dit « Oui? » et la laisse poser une question.

J’ai envie de le secouer, de lui donner des coups de poing, de l’engueuler – c’est pas permis de se laisser mener en bateau comme ça. Mais Karma, imperturbable, me regarde à peine, il a oublié ma présence, il l’écoute, il lui parle, il n’est là que pour elle, comme s’ils étaient seuls au monde, comme s’il n’y en avait pas une douzaine d’autres dans la salle d’attente.

Et pendant que – j’allais dire : la consultation, mais je ne vois pas bien en quoi elle le consulte, là c’est plutôt une conversation entre copines – le bavardage, le va-et-vient des questions et des réponses, des sous-entendus et des allusions, des angoisses et des réassurances, des digressions et des incises se poursuivent, sans aucune perspective de se conclure bientôt, je me mets malgré moi à les écouter, et ce que j’entends dans sa voix à lui, ce n’est pas l’interrogatoire directif qu’on m’a appris, inculqué précisément, vivement conseillé de faire; et ce que j’entends dans sa voix à elle, ce n’est pas la litanie de plaintes, de récriminations, de revendications qu’on m’a décrite tant de fois pendant mes cours (« Aujourd’hui, les filles sont majoritaires dans les amphis de médecine, de sorte que, messieurs, vous qui êtes désormais en petit nombre, vous serez bientôt l’élite de l’élite car vous saurez mieux que quiconque combien il est difficile d’empêcher une femme de parler! »).

Et ce qu’ils tissent ensemble n’est pas non plus le dialogue de sourd entre une femme débordante qui aimerait pouvoir tout dire sans jamais y parvenir et un homme débordé qui aimerait bien comprendre de quoi elle parle. Non. Ça ressemble plutôt à…

Un duo.

Un duo improvisé, entre une danseuse débutante et un moniteur qui s’approche, sourire aux lèvres, s’incline, la salue Vous permettez ? la prend par la taille et la main et l’entraîne doucement sur la piste N’ayez pas peur, je vais vous montrer, ça va bien se passer et en deux temps, trois mouve­ments, l’encourage Tout ira très bien, faites-moi confiance et les voilà qui virevoltent, lui sans effort apparent, elle soudain éberluée de se découvrir légère et aérienne.

Comme dans un rêve.

Je vois bien qu’elle se demande ce qui lui arrive, si c’est bien la réa­lité ou s’il faut qu’elle se pince, si elle a bien affaire à un homme qui a le souci de la faire avancer sans lui marcher sur les pieds, sans se formaliser qu’elle marche sur les siens ou qu’elle trébuche et s’arrête, rougissante et la rassure en souriant Ne vous excusez pas, je vous en prie, c’est bien natu­rel d’être mal à l’aise de parler de ça à un étranger et elle, rougissant encore plus, confuse, elle ne sait plus où se mettre, elle fond devant tant de patience, tant de bienveillance, tant de gentillesse, venant d’un médecin, c’est inespéré, c’est miraculeux, c’est…

Beaucoup trop beau pour être vrai.

Et je sens de nouveau la colère monter.

Parce que je le vois venir, avec ses gros sabots. Comme ça, à première vue, il est bien poli, bien correct, bien délicat. Bien trop. Faut quand même pas rêver. Il est comme les autres. Toute cette gentillesse mise en scène, c’est une manière de l’embobiner. Je sais où il veut en venir. Je ne le sais que trop bien : j’en ai vu trop des types comme lui, je les ai trop souvent vus faire, les uns comme les autres, les rudes et les mielleux, les indiffé­rents et les sarcastiques, les froids et les lubriques, les expéditifs et les sadiques… Quelle que soit leur manière de procéder, entre le moment où ils font entrer et asseoir et celui où ils referment le dossier, reposent le stylo, ils ont tous la même chose en tête, le même objectif : ce que les profs nomment doctement, l’index vers le ciel, « le moment cardinal de toute consultation gynécologique » (cardinal, mes fesses!). Et je le vois venir (il n’est pas différent des autres : ils ont beau chercher à faire illu­sion, un homme ça n’est jamais qu’un homme – son sourire va disparaître, il va se lever sans un mot, faire le tour du bureau, lui dire froidement : « Déshabillez-vous! », se diriger vers le box d’examen, se savonner les mains et se curer les ongles pendant qu’elle, abasourdie, tombant de haut, se dépêchera d’ôter les chaussures et la jupe, de faire glisser le collant et le slip et s’approchera de la table – « Allongez-vous! » – pendant que, le dos encore tourné, il s’essuiera les mains – « Installez-vous! » -, et, pendant qu’elle s’allongera, soulèvera les jambes et posera les pieds sur les étriers, il saisira un doigtier en plastique, l’enfilera sur l’index et le majeur, se pla­cera au bout de la table, posera d’un geste un peu négligent la main sur un de ses genoux pour lui faire écarter les cuisses – « Allons, détendez­-vous ! »- pendant qu’elle, les fesses collées au papier de la table, se tor­tillera pour oublier que c’est un mauvais moment à passer tandis que, sans un mot, sans un regard, sans un soupir, une main fermement posée sur le bas-ventre comme pour l’empêcher de gigoter – « Allons, voyons, faut pas vous contracter comme ça ma p’tite dame! » -, il lèvera les yeux au ciel ou fermera les paupières comme avant de plonger et lui fourrera d’un coup les deux doigts gantés dans le sexe et puis, les paupières inspirées ou l’œil vitreux, pas concerné, la bouche animée de petites grimaces, il farfouillera en haut, en bas, à droite, à gauche, parfois très très lentement, d’un air à la fois concentré et absent – « Vous sentez quelque chose? »- parfois (et c’est un moindre mal) très, très vite – « Et là? »-, trop vite pour que ça serve vraiment à quelque chose, mais trop souvent (et là, c’est vraiment l’horreur) il lui enfoncera les doigts dans le vagin jusqu’à la garde, et fouillera tout au fond, comme pour provoquer, déclencher, arracher quelque chose, comme pour lui montrer qu’elle est bien, que toutes les femmes sont bien peu de chose entre ses mains de salopard), il va quitter sa posture de praticien soit disant neutre et bienveillant et montrer sa vraie nature, il va sourire, poser son stylo : « Bien, je crois avoir compris ce qui vous arrive… », et j’ai envie de crier à tue-tête Ne la touchez pas ! Ne nous touchez pas, de quel droit posez-vous vos sales pattes sur moi sur elle sur nous comme ça ? de lui sauter dessus pour l’arrêter et lorsqu’elle l’entend dire : « Alors, si vous voulez bien… », elle se lève comme une brave petite chose bien dressée résignée, déjà prête à tout abdiquer entre ses sales pattes et je me sens si mal que j’ai envie de hurler Non mon salaud ! Elle ne veut pas ! Mais au moment où elle cherche où elle va poser son sac avant d’ôter son pull, Karma lève les mains comme en protestation, sourit et, d’une voix douce, sur un ton surprenant, l’arrête :

– Non, non, je vous en prie, restez assise.

Et elle, stupéfaite :

– Je croyais que vous vouliez…

– Vous examiner? Pas tout de suite. Rien ne presse ! D’abord, je vou­drais vous expliquer ce que j’en pense et voir si vous aviez d’autres ques­tions à me poser – d’ailleurs…

Et tandis que mon cœur tambourine à tout rompre, je le vois se tour­ner vers moi, poser la main sur mon bras, et je l’entends demander :

– Mademoiselle – pardon! – docteur Atwood, avez-vous des ques­tions à nous poser ? »

Peu à peu, la jeune interne, à son corps défendant, va changer son regard sur le rôle du médecin et comprendre l’importance de son attitude relationnelle vis-à-vis des patients.

Voici un second extrait dans lequel « l’apprentie accompagnante » s’essaye à l’écoute en présence du Dr Karma :

« – Vous prendrez ma place et vous conduirez l’entretien.

– O.K. Mais si les patientes sont d’accord…

– Bien sûr.

Marie S., vingt-cinq ans, vient pour un « examen de routine ». Elle est jolie, mais habillée n’importe comment. Elle a l’air assez agitée. Elle passe son temps à regarder la porte, comme si quelqu’un allait entrer.

Elle dit : « Ça fait longtemps que je ne suis pas venue. Alors comme j’ai très mal aux ovaires, en ce moment… »

Je lui demande ce qu’elle veut dire par « mal aux ovaires », et je poursuis en lui expliquant que les ovaires, ça ne peut pas faire mal, ils n’ont pas de nerfs sensitifs, mais Karma pose la main sur mon bras pour m’arrêter et demande : « Depuis quand avez-vous mal ? Vous pouvez nous décrire cette douleur ? »

– Pardon de vous avoir interrompue, tout à l’heure, au début de la consultation. Vous avez compris pourquoi je l’ai fait ?

– Non.

– Ce qu’une femme ressent est beaucoup plus important que ce que vous savez…

– Ouais. « Et ce que que je crois compte moins que ce qu’elle ne dit pas… »

– Ah. Vous avez lu…

– Oui. C’est difficile de ranger des papiers dans un tiroir sans apercevoir ce qui est écrit dessus.

– Chaque fois que vous interrompez une patiente, vous l’empêchez de dire ce qui est essentiel pour elle. Chaque fois que vous remettez en question la véracité de ce qu’elle dit, vous la faites douter.

– Mais si elle dit quelque chose de faux ?

– D’abord, ce n’est pas « faux », c’est ce qu’elle ressent. Son interprétation n’est peut-être pas conforme aux acquis de la science, mais elle lui permet d’appréhender la situation d’une manière intelligible, de ne pas se laisser gagner par la panique. Notre boulot, ça n’est pas de lui dire que ce qu’elle ressent est « vrai », ou « faux », mais de chercher pour son bénéfice, et avec son aide, ce que ça signifie. Si tu veux que les patientes respectent ton avis, il faut d’abord que tu respectes leur perception des choses…

– Même si elle repose sur une vision complètement fantasmatique ?

– Bien sûr. Respecter ça ne veut pas dire adhérer. Ça veut dire : plutôt que perdre son temps dans un bras de fer (j’ai raison, tu as tort), essayons de trouver un terrain commun. Une relation de soin, ce n’est pas un rapport de force. » (3)

  • (1) Martin Winckler Le Chœur des femmes, Editions P.O.L, page 173.
  • (2) Martin Winckler Le Chœur des femmes, Editions P.O.L, pages 33 à 39.
  • (3) Martin Winckler Le Chœur des femmes, Editions P.O.L, pages 261 et 262.

Pour aller plus loin, n’hésitez pas à visiter le site personnel de Martin Winckler en cliquant ICI.

L’interview-vidéo de l’auteur du livre Martin Winckler :

(Durée : 11:44)


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Martine

Prénom : Martine

A la relève du matin, je ne sais pas ce qu’il m’a pris, mais j’ai parlé du livre à toute l’équipe ; il est maintenant dans les mains d’une infirmière, j’espère ainsi transmettre, OUI, transmettre la bonne ECOUTE du Dr. Karma.

Martine

Profession : Aide soignante Ville : Gorcy Pays : France Je suis dans le merveilleux livre de Martin Winckler et il me fait penser à un évènement que j’ai vécu au début de ma vie d’Aide soignante. Nous participions à une formation avec un représentant qui vendait des “couches” pour les malades souffrant de l’incontinence. Je fus trés choquée quand celui ci parlait de ces personnes malades en tant que ” Pisseuse ou Pisseur”. Lorsque je lui ai demandé s’il pouvait avoir plus de respect en parlant des patients, il m’a répondu : “Bon ! nous ne sommes plus à… Lire la suite »

Anne

Profession : Médecin

Bravo et merci Martine, malheureusement peu de soignants ont fait tout le travail que vous avez fait sur vous, et ont autant de liberté que vous. Il nous reste à le faire nous mêmes et de même que votre respect pour les autres et votre absence de peur nous encourage, le faisant peut-être y encouragerons nous les autres. En tout cas bravo et merci.

Martine

Bonjour Anne, je vous trouve aussi Formidable, Docteur, Oui, vous l’êtes !
Si vous saviez pourtant, la peur au ventre que j’ai !
Mais cette peur, elle m’aide à avancer dans la vie de tous les jours, elle m’aide à avoir plus d’audace ! et le non respect me met hors de moi !
Merci à Vous Anne et bien respectueusement.

Anne

Profession : Médecin Merci Martine. Cependant j’ai encore sinon “tout” à faire, du moins une somme énorme de travail à fournir sur mes peurs, moi aussi, sur la clarté de ce que je veux et son expression, pour ne pas laisser s’installer les situations de non-respect, tant à l’égard des patients (je pense à un de mes collègues qui disait d’une patiente difficile à gérer qu’elle relevait de la “claquothérapie”…), que de certains soignants de mes équipes qui sont noyés dans la peur et la soumission, que de moi-même. Votre petit mot est très encourageant et merci à Monsieur Perronnet… Lire la suite »

Brigitte

Comme j’aimerais trouver un tel lieu, dans un esprit d’écoute et de respect, pour être soignée dans la dignité et même, pourquoi pas, pouvoir mourir dignement aussi.
Je vais acheter le livre et le recommander autour de moi.
Merci de nous l’avoir fait découvrir !

Anne

Profession : Médecin Comme beaucoup d’ex jeunes femmes internes, j’en aurai long à dire sur ce que j’ai rencontré dans les hôpitaux de grossièreté, de machisme et de négation des femmes, qu’elles soient patientes ou jeunes médecins, infirmières, AS à l’époque où ma jeunesse professionnelle ajoutée à mes difficultés personnelles m’empêchaient d’agir et faisaient de moi une victime du système et d’attitudes culturelles enterrinées par l’habitude, l’automatisme et la paresse. Et à quel point nous subissions des pressions pour nous mettre nous mêmes dans un moule de dureté et de mépris pour nos congénères… Notre seul moyen de survie était… Lire la suite »