A tous les parents désemparés qui ont peur que leur enfant ne réussisse pas.
Question de Béatrice :
Nous avons une fille de 9 ans et demie. Notre fille n’a pas du tout confiance en elle. Nous devons passer des heures pour lui faire faire ses devoirs alors que le maître nous dit que cela doit durer 1 heure maximum. Nous voulons qu’elle réussisse et que si nous ne sommes pas derrière elle, elle ne les fera pas. Nous sommes pratiquement sûr que quand elle n’en a pas envie, elle nous répondra carrément de travers et on s’énerve à côté, on crie. On ne sait plus quoi faire. A l’école, le maître nous a dit qu’elle ne s’implique pas dans la classe, qu’elle ne finit jamais les exercices qu’elle a à faire. Nous avons fait un marché avec elle. Que si son maître nous disait que son travail ne s’était pas amélioré pendant la semaine, on ne l’inscrirait pas le lundi à son concours d’équitation qui devait avoir lieu le week-end d’après. En fin de semaine, nous avons revu le maître qui nous a annoncé que notre enfant s’était métamorphosée et que son travail était devenu parfait. Nous l’avons donc inscrite à son concours. Le vendredi d’après, le maître nous a annoncé que pour cette semaine, son travail était redevenu désastreux. Nous l’avons donc punie de son concours puis d’un mois d’équitation. Est-ce que nous avons bien fait car cela ne l’a pas beaucoup affecté. On ne sait plus quoi faire pour qu’elle apprenne à faire seule ses devoirs et qu’elle soit un peu plus responsable de ses affaires. C’est peut être un peu trop demander ? Nous n’arrêtons pas de nous énerver sur elle, de crier et de nous emporter et nous le regrettons après. Que doit-on faire sans jouer avec la carotte ? Car mon mari n’est pas tellement pour. Quelle position doit-on tenir devant elle pour ne pas s’énerver ? Il est vrai que nous l’avons eu tard car nous avons entre 46 et 54 ans. Nous avons peut-être moins de patience. C’est ce que mon mari pense. Pouvez-vous nous conseiller ? Nous vous en remercions d’avance.
Ma réponse :
Bien sûr – comme la plupart des parents – vous voulez que votre enfant réussisse. Mais votre désir qu’il réussisse vous fait prendre le risque de ne pas lui laisser beaucoup de place pour qu’il se développe par lui-même… C’est ainsi que dans un monde soumis au profit et à la concurrence acharnée, le risque pour les parents est de projeter leurs propres craintes et angoisses sur leurs enfants.
Quand vous partagez que vous « savez que si vous n’êtes pas derrière elle, elle ne réussira pas », vous tenez-là la preuve que vous ne lui faites pas confiance, et il vous appartient de découvrir qu’un enfant qui sent et sait que ses parents ne lui font pas confiance est un enfant qui ne peut pas développer sa confiance en lui-même.
Vous affirmez donc justement : « Notre fille n’a pas du tout confiance en elle. » Sans doute n’en avez-vous pas vous-même conscience mais vous alimentez un cercle vicieux : plus vous sentez confusément à l’intérieur de vous-même que les choses risquent de mal se passer pour votre fille, plus, obéissant à votre angoisse, vous essayez de les prévenir (alors même qu’elles ne se sont pas réalisées), créant par là-même une énorme pression sur elle. Vous vous dites qu’il ne faut surtout pas la laisser tomber (et en cela je suis parfaitement d’accord avec vous), mais (vraisemblablement à travers l’éducation qui a été la vôtre), les moyens que vous employez pour l’inciter à « bien travailler » sont essentiellement coercitifs. C’est ainsi que vous en arrivez à vous dire de bonne foi qu’il faut la punir « pour qu’elle comprenne ».
(En fait on crie et on punit son enfant « pour qu’il comprenne » quand son comportement nous rappelle, inconsciemment, que nous-mêmes – dans des circonstances passées semblables – avons été punis et avons subis les cris et les punitions de nos propres parents « pour que nous comprenions ».)
Votre mari sent confusément qu’il y a quelque chose de pas très juste là-dedans (puisqu’il partage avec vous qu’il n’aime pas « jouer avec la carotte »), mais ne sachant pas quoi faire d’autre… il « joue avec la carotte ». Vous soufflez donc le chaud et le froid, un jour (quand elle réussit) votre petite fille devient aimable et vous êtes prêts à la récompenser ; le lendemain, (quand ses résultats ne sont plus honorables selon vous), vous paniquez, vous avez peur pour elle et votre peur vous oblige à la punir et à revenir sur ce que vous lui avez donné ou promis.
Tout cela est infiniment déstabilisant pour votre enfant à qui il ne reste comme possibilité comportementale que de se réfugier dans une apparente insensibilité, (vous dites vous-même qu’il ne paraît pas « beaucoup affectée » de vos punitions) et je rencontre régulièrement des parents décontenancés par le soi-disant « j’menfoutisme » de leurs enfants. En fait votre fille se protège de vous avec les moyens qui sont les siens, comme elle le peut, mais ne croyez pas que quand elle tente de se blinder, elle est « insensible ».
On « se blinde » bel et bien parce que l’on est sensible et touché, même si à force de se blinder on peut devenir de plus en plus insensible.
A ce niveau, vous vous sentez encore plus démunie, l’intensité de votre désir de la voir réussir pourrait vous contraindre à une plus grande répression encore (qui n’aurait pour effet que de créer davantage de peur donc de repli chez elle), mais – par bonheur – vous vous mettez à douter de votre méthode… Est-elle la bonne ? Et vous n’en savez plus rien… « Peut-être (dites-vous) est-ce un peu trop demander ? » Avec une lucidité qui est la preuve de votre amour pour votre petite fille, vous vous remettez en cause et partagez : « Nous n’arrêtons pas de nous énerver sur elle, de crier et de nous emporter. » Bien sûr, je suis d’accord avec vous, un enfant qui sent – en permanence – ses parents s’énerver, crier et s’emporter contre lui ne peut pas devenir un enfant serein, donc un enfant capable de faire grandir sa confiance en lui-même. Cela ne peut créer qu’un enfant déstabilisé (donc privé du précieux équilibre auquel ils aspirent tous pour se développer) et rempli de doutes sur lui-même.
Un enfant – pour devenir adulte – (et qui sait – pourquoi pas – pour « réussir » ?) a besoin de développer une solide « colonne vertébrale psychique », cette colonne vertébrale, pour se construire a besoin de fiabilité. Votre enfant a besoin de sentir de l’intérieur votre stabilité et, la sentir, c’est pour lui percevoir comme une évidence que ses comportements (quels qu’ils soient) ne remettront jamais en cause l’amour que vous lui portez. Peut-être en êtes-vous vous-même persuadée, mais convenons ensemble qu’elle ne peut pas le « savoir », à moins de le percevoir et de le sentir par elle-même.
La confiance que les enfants peuvent avoir envers leurs parents se développe à travers la fiabilité et le respect que leurs parents ont pour eux.
Pour découvrir sa confiance en elle-même, votre petite fille a donc besoin de sentir tout au fond d’elle-même que quels que soient ses comportements vous êtes « avec elle » inconditionnellement. Peut-être est-ce justement cela qui vous fait peur : n’ayant confiance ni en vous, ni en elle, vous ne pouvez que jouer avec la relation comme avec une carotte…
Bien sûr qu’à force de punitions et de chantage, vous obtiendrez de temps en temps (comme vous l’avez déjà obtenu) de votre enfant qu’elle travaille, mais vous ne l’obtiendrez jamais dans la durée. Gandhi disait « La victoire obtenue par la violence équivaut à une défaite, car elle est momentanée. »
Il s’agit, pour un parent responsable, de comprendre et de vérifier dans sa relation à son enfant que s’il impose maladroitement ses demandes, il obtiendra la soumission ou la révolte, mais jamais la rencontre et encore moins son consentement.
Vous me parlez de votre âge, n’est-ce pas grâce à cet âge que vous pouvez justement être accessible à cette réflexion ? Et si votre âge vous permettait justement de comprendre la relation parent / enfant avec un certain recul, donc peut-être avec un peu moins de peurs ? Que craignez-vous ? Pourquoi devriez-vous continuer de confondre votre angoisse avec la destinée de votre fille ? En fait, (peut-être en conviendrez-vous ?) nos enfants ne nous appartiennent pas, ils nous sont « confiés » par la vie pour que nous leur permettions de développer une « colonne vertébrale psychique » solide, donc une confiance en eux-mêmes qui leur appartiendra et qui leur permettra de résoudre de manière autonome leurs propres difficultés.
Vous ne pouvez pas changer votre enfant, par contre, vous pouvez changer la relation que vous avez avec lui.
Et c’est dans le changement de la relation que vous avez avec lui que se trouve pour vous l’espoir.
La question se pose donc pour vous aujourd’hui, avec votre enfant « tel qu’il est », de savoir comment vous allez vous y prendre pour tenter de lui permettre de réussir « comme il le pourra », sur la base d’une solide confiance en lui ?
Pour ce faire, je vous invite à commencer par comprendre que si son maître vous précise que « les devoirs doivent durer une heure maximum », ce n’est certainement pas pour mettre en difficulté votre enfant mais au contraire pour le soutenir. Si les devoirs durent pour lui plus d’une heure, c’est le signe que quelque chose ne va pas. Quand « quelque chose bloque », n’est-il pas préférable d’essayer de le prendre patiemment en compte en le comprenant, plutôt que de le refuser en vociférant sous prétexte que la réalité ne nous convient pas ? La scène que nous ferions à notre enfant ne pourrait que le bloquer encore davantage. Que pouvons-nous obtenir – selon vous – sur la base d’une attitude intolérante qui nie la difficulté de l’autre ?
Le second travail sera de réfléchir aux raisons pour lesquelles une personne, un enfant, ne s’implique pas dans son travail. Si nous ne nous impliquons pas dans notre travail, n’est-ce pas parce que nous n’en comprenons pas le sens donc que nous n’avons pas d’intérêt pour lui ?… et ce n’est pas parce que nous aurons des parents qui nous répéteront sans cesse qu’il faut que nous comprenions que nous travaillons pour notre avenir (ce qui est vrai), que nous le comprendrons. Il ne suffit pas que quelqu’un nous dise la vérité pour que nous la reconnaissions comme vraie. L’altérité existe, ne sommes-nous pas tous différents de celui qui tente de nous convaincre ? Donc vous aimeriez que votre petite fille trouve de l’intérêt à ce qui (pour le moment) ne l’intéresse pas ou peu. Comment faut-il que nous nous y prenions pour que notre enfant s’ouvre peu à peu à ce qui nous nous paraît (à nous) bon pour lui ? Il faut que nous lui montrions, par notre attitude personnelle, que nous avons nous-mêmes de l’intérêt pour ce qu’il est important que, par exemple, il apprenne. Il existe différents moyens de le lui montrer, de le lui faire sentir. Le premier est justement de ne pas le laisser « seul » (vous me dites qu’il faut que votre enfant comprenne qu’il doit travailler seul), ne pas le laisser seul, ce n’est donc pas lui dire de travailler mais travailler avec lui, c’est l’épauler avec bienveillance… jusqu’à ce qu’il puisse travailler seul. Il ne s’agit pas de l’assister pour en faire quelqu’un de dépendant, mais de l’accompagner pour lui permettre d’accéder à son autonomie. Un peu comme un papa qui court à côté de son enfant qui fait du vélo pour la première fois, afin de lui permettre peu à peu de trouver son équilibre. Certains parents courageux (en fait simplement aimants) apprennent ainsi les leçons que leurs enfants ont à apprendre afin de les leur réciter en leur permettant de jouer ainsi au maître d’école. Des enfants, dans une telle émulation, auront à cœur, à leur tour, d’apprendre leur leçon et se sentiront soutenus et aimés dans une relation ludique qu’ils adorent.
Vous découvrez ainsi que « pour ne pas vous énerver », il vous faut changer, non seulement le regard que vous posez sur votre enfant mais également le regard que vous posez sur vous-même en tant que parent.
C’est dans un tel contexte et avec un tel regard que vous trouverez peu à peu l’harmonie tant désirée. Cela prendra certainement du temps, des années sans doute (car il est plus facile et rapide de détruire que de construire). Mais quelle importance pour des parents qui maintenant peuvent clairement percevoir que le temps qu’ils prennent pour travailler leur relation à leur enfant n’est que la preuve de leur amour pour lui. Là, vous l’accompagnerez, par exemple, à son concours d’équitation le cœur léger, en vous souvenant que tout être humain a besoin de détente, de re-création, et que cette détente atteindra d’autant plus son but… qu’elle ne sera pas conditionnée.
© 2009 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.
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Pour aller plus loin, vous pouvez lire sur mon blog :
- Réponses aidantes ou maladresses nuisibles (plusieurs exemples dans la relation parents / enfants.)
Vous pouvez également télécharger les fiches pratiques inédites :
- Comment s’y prendre pour faire une critique à l’autre ?
- 14 points pour régler ses conflits sans se perdre
- Mémo / repères pour l’éducation des enfants
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Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)