Se défaire de l’attachement pathogène à ses parents

ÉCOUTEZ : Se défaire de l'attachement pathogène à ses parents(© RENAUD PERRONNET - Téléchargement du podcast en bas de page)


À mes patients qui ne se sont pas encore délivrés de leur emprise !

« Vous devez rejeter la responsabilité des événements douloureux de votre enfance et la remettre à sa véritable place1 . »

Susan Forward

On sait aujourd’hui que la relation qu’un enfant a avec ses parents joue un rôle déterminant dans la construction de sa personnalité comme dans sa vie relationnelle future. On sait, grâce à la théorie de l’attachement2, à quel point un enfant a besoin de se sentir en sécurité pour bien se développer. Cela signifie que durant les premières années de sa vie, il a besoin de recevoir de l’attention (source de réconfort et base de sécurité pour son exploration du monde) de la part de sa figure d’attachement primordiale (sa mère ou son substitut).

Un enfant qui s’est senti en sécurité dans sa relation à ses parents, qui a notamment été pris dans les bras, cajolé, est un enfant qui est plus disponible pour les apprentissages, qui se développe mieux et se sent plus épanoui dans l’existence et qui en conséquence se sent capable d’entreprendre plus de choses.

A contrario, parce que la qualité des interactions mère/enfant est extrêmement importante, le fait d’avoir été isolé et notamment privé de relations aimantes, peut être fatal à un enfant. Le psychiatre et psychanalyste américain René Arpad Spitz3 a mis en évidence les conséquences du manque d’affection et de relations sociales chez un enfant, il a d’ailleurs consacré l’ensemble de sa carrière à attirer l’attention de l’éducation nationale, des pédiatres, et des instituteurs sur les besoins affectifs du jeune enfant.

La déficience des relations mère/enfant créé des désordres psychosomatiques et des carences affectives qui mènent à toutes sortes de perturbations somatiques et psychiques graves.

En conséquence d’une séparation d’un enfant de sa mère ou de son substitut, on sait que, peu à peu, l’enfant se met à pleurer sans raison, à être triste, et à chercher désespérément le contact, puis devient anxieux et indifférent, refuse la nourriture et devient insomniaque. Après quelques mois de séparation, les troubles augmentent dramatiquement (regard absent, plus de pleurs ni de sourires, plus de crises, gémissements plaintifs, stéréotypies, et mauvaise coordination oculaire). Son développement mental et physique est entravé et, s’il ne retrouve pas sa mère ou son substitut, l’enfant plonge dans la dépression qui peut l’amener à mourir.

Après avoir mis en lumière la vulnérabilité extrême de l’enfant abandonné, nous allons parler désormais de l’enfant simplement mal traité, ce qui se produit couramment.

Il est important de comprendre que, pour se développer, le bébé puis l’enfant a besoin d’amour4. Mais de quel amour parlons-nous ? Pas du véritable amour qui est accueil inconditionnel de l’enfant tel qu’il est, avec douceur et tendresse, mais de l’amour-attachement5 d’un parent qui parce qu’il veut l’enfant pour lui-même cherche à le façonner à son image (relation fusionnelle ou même symbiotique).

Nous vivons dans un monde égocentré et peu propice au développement de l’amour inconditionnel. Cela est d’autant plus tragique que tous les bébés et jeunes enfants, parce qu’ils sont fondamentalement dépendants du contexte dans lequel ils ont été accueillis, ne peuvent que se laisser facilement manipuler par leurs parents, quels que soient les comportements de ces derniers.

L’intense besoin d’attachement de l’enfant fait qu’il reste ouvert et vulnérable à ses parents alors même que ceux-ci se comportent avec lui de façon maltraitante, ce que lui ne décèle pas. Il tolère sans broncher les jugements sur lui et les humiliations. Pendant longtemps il croira que c’est la norme, que les parents dans leur ensemble se conduisent ainsi.

L’enfant préférera toujours se soumettre aux exigences et aux injonctions de ses parents plutôt que de courir le risque de renoncer à l’attachement dont il a besoin pour se développer. Il restera, par exemple, le plus près possible de sa mère même si elle le repousse et lui dit d’un ton excédé qu’elle a besoin d’air, qu’elle était plus tranquille quand il n’était pas né. « Mais quelle idée j’ai eue de m’encombrer d’un môme ! » L’enfant n’osera jamais renoncer à l’amour-attachement de ceux pour qui il n’est pas plus intéressant qu’une poupée, il se laissera facilement être la chose de l’adulte plutôt que de chercher à vivre sa vie propre, quitte à soupirer ou à râler ou à pleurer sans être écouté et en étant encore plus rejeté par des phrases du genre : « Quel gamin geignard ! » ou pire : « T’arrêtes tout de suite de pleurer ou t’en reçois une ! »

Pour survivre, l’enfant pourtant mal aimé tout au long de son développement, n’a pas d’autre choix que celui d’idéaliser ses parents puisqu’il les aime (en tous cas a besoin de leur présence). Dans la crainte de leur faire du mal, il se soumet à eux en cherchant sans cesse à se conformer à leurs demandes, c’est-à-dire à correspondre le plus possible à ce qu’ils décident et choisissent pour lui.

On est nécessairement sans défense par rapport à un parent qu’on aime parce qu’on en est dépendant : un enfant à qui ses parents disent qu’il est mauvais, nul ou maladroit, est persuadé de l’être parce qu’il croit ceux par lesquels il a besoin de se sentir aimé.

Il ne sait pas que l’amour-chantage ou l’amour-dressage ne sont pas de l’amour. Quand on lui dit des phrases comme : « Tu ressembles à rien avec ce pantalon ! » (son pantalon préféré) ou « Si tu continues à voir ce petit copain, je ne t’aimerai plus », ou « Si tu es gentil avec mamie (qui est désagréable et qui sent mauvais) et que tu l’embrasses, tu auras une glace », ou « Tu me fais honte quand tu es impoli en société », etc.

La peur de perdre l’amour de son parent crée donc chez l’enfant une menace constante qui le taraude en même temps qu’elle l’oblige à se soumettre à eux, à capituler en refoulant ses émotions, donc à devenir l’ennemi de lui-même.

L’amour conditionné, l’amour menacé d’être retiré, est un amour qui détruit l’image qu’a de lui-même celui qui le reçoit, il divise et crée de la culpabilité. Un enfant ne peut pas se développer sereinement à partir d’un tel amour.

C’est à travers sa peur de ne plus être aimé par un parent qui – en vérité ne l’accepte pas tel qu’il est – donc ne l’aime pas, qu’un enfant se soumet.

Cette soumission perdure jusque chez l’ex-enfant devenu adulte qui, parce qu’il croit avoir encore besoin de l’amour illusoire dont il est dépendant, se sent menacé par ses parents quand ils continuent de l’abuser ou de lui manquer de respect, ou simplement de ne pas reconnaître ses talents.

Combien d’adultes ayant réussi dans un domaine ou un autre disent avec tristesse : « Mon père ne m’a jamais félicité ! » Un grand acteur de théâtre confiait l’autre jour dans une interview que son père n’était jamais venu le voir jouer et que ça avait été une souffrance pour lui.

Mais le pire, c’est que ce mécanisme est si puissant que certaines personnes devenues adultes, qui ont été mal traitées, mal aimées dans leur enfance, continueront le plus souvent à ne pas vouloir courir le risque de contrarier leurs parents. Dans leur docilité, leur dépendance et leur peur de leur déplaire, elles n’envisageront même jamais d’oser leur révéler ce qu’ils leur ont fait subir.

Ce type de personne soumise, bien qu’adulte en apparence, reste le plus souvent et tragiquement au stade psychologique de l’enfant maltraité qui ne connaît l’amour qu’à travers la potentielle menace qu’on le lui retire.

Cet adulte est alors en proie à la plus grande confusion, toujours prisonnier de cette menace qu’on lui retire l’amour, amour qu’il ne se sent pas recevoir alors qu’il en ressent toujours le besoin, il endure stoïquement les jugements, les blâmes et les humiliations de ses parents devenus vieux mais toujours prêts à juger et critiquer, tout en préférant ne pas s’autoriser à y mettre une limite claire.

A contrario de l’adulte soumis, celui qui aspire à être lui-même devra commencer par énumérer pour les rencontrer les influences auxquelles il a dû se soumettre et il lui faudra faire la différence entre les influences auxquelles il consent aujourd’hui (qui deviendront constitutives de ce qu’il est) et les influences auxquelles il ne consent pas (ou plus) – desquelles il pourra alors chercher à se défaire en considérant la manière dont il y est encore assujetti et pourquoi.

Swami Prajnanpad6 répétait volontiers :

« Être libre, c’est être libre de son père et de sa mère »

Personne n’est obligé de continuer d’aimer ses parents maltraitants. Mais c’est très difficile de se retirer de ce filet invisible qui nous emprisonne.

Est libre de son père et de sa mère celui qui ne se sent plus contraint par eux, celui qui vit donc en-deçà de leur sphère psychique d’influence. Est libre celui qui ne se sent donc plus incliné à agir à travers l’influence tant positive que négative de ses parents : il en est enfin délivré parce qu’il agit à partir de lui-même. Ayant cessé d’octroyer à ses parents du pouvoir sur lui, il n’a pas d’inclination particulière vis-à-vis d’eux, donc pas d’attentes.

L’aspiration à la liberté, c’est le début de la fin de la dépendance, et la libération de l’emprise n’est rendue possible qu’à celui qui reconnaît la maltraitance qu’il a subie.

S’il veut devenir libre, l’ex-enfant devenu adulte devra découvrir la manière dont il a été abusé, manipulé et dressé dans l’enfance par des parents incapables de lui faire confiance et donc de l’aider à grandir en le voyant comme un être distinct d’eux.

En fait il lui faudra découvrir que – le plus souvent inconsciemment – ses parents ont profité de l’amour qu’il avait pour eux pour détruire systématiquement toute sa confiance en lui-même. Plutôt que d’être un étai sur lequel il aurait pu s’appuyer pour se construire en relation avec sa spécificité propre, il lui faudra découvrir que l’amour-attachement de ses parents a constamment fonctionné pour lui comme une menace lui interdisant d’être lui-même. Une menace telle qu’elle l’a entraîné à culpabiliser d’être lui-même.

Tant que l’idée (qui se présente à lui comme une obligation) de ne pas devoir déplaire à de tels parents – même devenus vieux mais toujours virulents – qui déclinent l’amour comme une manipulation, perdure, l’ex-enfant même devenu adulte se condamne au refoulement de ce qu’il sent dans sa relation à ceux qui le maltraitent en même temps qu’au renoncement à sa liberté. Il reste donc soumis à ses parents maltraitants et aux autres adultes maltraitants qu’il « attire7 » en les supportant.

C’est – en particulier – le cas de tous les adultes qui continuent d’encaisser certaines paroles de leurs parents qui les rabaissent et les blessent, en voici quelques échantillons :

  • Décidément, tu es toujours la même, toujours aussi nulle et incapable !
  • Quand donc t’arrivera-t-il d’être enfin à l’heure !
  • De toutes façons, avec le caractère que tu as, c’est normal que tu te fasses larguer.
  • Ce sont les putes qui portent des mini jupes, il ne faudra pas venir te plaindre à moi si tu te fais violer !
  • Je me suis toujours demandé s’ils ne m’avaient pas donné le mauvais bébé à l’hôpital !
  • Arrête avec tes états d’âme, on dirait que tu es la seule à souffrir !
  • Tu es incapable d’élever tes enfants !
  • Tu me fais honte à t’habiller (te coiffer) comme ça encore à ton âge !
  • Tu pars trois semaines, tu veux donc me tuer !

Dans ces échantillons, le rôle de la victime culpabilisante prend toute sa place :

  • Et tu trouves normal de ne pas venir me voir plus souvent, tu n’as donc aucune reconnaissance pour moi ?!
  • Si tu crois que c’est facile pour moi avec ton père !
  • Si tu n’y arrives pas, c’est normal, c’est parce que tu es trop bête.
  • Tu sais que tu me fais de la peine, alors pourquoi tu continues ?
  • Quand comprendras-tu que c’est pour ton bien que j’te dis ça…

Certains adultes préfèrent d’ailleurs croire encore leurs parents en disant d’eux petits : « Je n’étais pas facile, ils ont été obligés de me corriger. » C’est tout juste s’ils ne les remercient pas de les avoir humiliés et même frappés !

Ils sont encore persuadés que ce que leurs parents leur répétaient : « C’est pour ton bien ! » est vrai. Ils croient encore que puisque leurs parents se faisaient du souci pour eux en leur disant qu’ils se sacrifiaient pour eux, ils les aimaient.

Ils ne savent par exemple pas qu’être une bonne mère, ce n’est pas se poser la question « Comment doit se comporter une bonne mère ? », mais réfléchir à : « De quoi mon enfant a-t-il besoin ? » Penser à son enfant constamment en se faisant du souci pour lui ce n’est pas l’aimer, c’est être angoissé(e) à son propos. Le vrai amour, celui qui permet aux êtres de se construire, n’est pas pathologique. Il s’exprime chez un parent à travers son regard, le ton utilisé pour parler à son enfant, la douceur de ses gestes, sa tendresse, les contacts physiques et la complicité qu’il a avec son enfant.

Ceci est valable pour chacun de nous : celui qui reste le produit de sa relation à ses parents manipulateurs et humiliants, demeurera incapable d’investir complètement son identité d’adulte.

En conséquence de quoi et pour y voir plus clair en soi-même, il peut être utile de tenter de faire des observations sur nos manières de fonctionner et de répondre personnellement à certaines questions :

  • Est-ce que je suis encore consensuel(le) avec mes parents manipulateurs, pour continuer à ne pas faire de vagues ?
  • Est-ce que je suis en lien profond avec ce que je ressens en face d’eux ?
  • Est-ce que je confonds encore à mon âge la vraie gentillesse avec l’obéissance à la peur ?
  • Suis-je conscient(e) que ce que je ne renvoie pas à son expéditeur, je me condamne à l’accumuler à l’intérieur de moi-même ? Qu’à force de trahir mes vrais sentiments, j’accumule des frustrations qui se transforment en tensions contre mes proches innocents et éventuellement mes enfants ?
  • Est-ce que je m’observe en train d’être conforme à ce que mes parents maltraitants attendent encore de moi ?
  • Est-ce que je suis conscient(e) qu’en cherchant désespérément à être aimé(e) par des personnes incapables de me respecter, je fais fausse route et me perds, et qu’en ne voulant pas voir mon besoin d’obéir à l’espoir d’être aimé(e) par des personnes qui me maltraitent, je me divise, me mine et m’affaiblit ?
  • Qu’est-ce qui fait que je ne vois pas que mon désir d’être encore (enfin !) considéré comme une bonne personne par mes parents maltraitants, m’empêche de leur révéler ce qu’ils m’ont fait subir ?
  • Est-ce que je suis conscient(e) qu’en ne voulant pas affronter la personne qui m’a maltraité(e), notamment sous le prétexte fallacieux de ne pas vouloir lui faire de peine, je m’interdis d’être juste et en équilibre respectueux dans mes comportements avec moi-même et les autres ?
  • Est-ce que je peux sentir que je bloque mon émotion de colère, en la refoulant au fond de moi-même, que je maltraite mon système de défense, ce que le Dr Christophe Massin a si justement appelé mon « immunité psychique »8 ?
  • Est-ce que je me rends compte qu’enfermé(e) dans la soumission et la peur, je reste incapable de reconnaître précisément à qui (le père, la mère, un frère, une sœur, une tante… ?) et comment je dois mettre des limites ?

Pourtant révéler à ses parents ce qu’ils nous ont fait subir, ce n’est pas mendier leur compréhension, (quoi qu’elle puisse éventuellement se produire au moment où nous renoncerons à notre soumission), c’est simplement oser se respecter soi-même, peut-être pour la première fois de notre vie, en osant enfin exprimer ce que nous avons cru devoir taire et cacher pendant si longtemps.

Devenir libre, c’est avoir le courage de n’être définitivement plus la victime de ses parents maltraitants, donc commencer par trouver en soi la force de renoncer à sa peur de se révéler à soi-même, afin d’oser confronter ceux qui nous ont maltraité à ce qu’ils nous ont fait subir. N’est-il pas juste et légitime de ne pas tolérer plus longtemps la maltraitance en la révélant ? Tant que nous renoncerons à exprimer la vérité de ce que nous avons dû subir, par peur d’en convenir, nous nous condamnerons à croire que nous l’avons méritée.

Un parent maltraitant ne cherchera jamais – par lui-même – à connaître la vérité sur les conséquences réelles de ses comportements pathologiques sur ses enfants. C’est la raison pour laquelle il n’existe pas d’autre moyen pour l’ex-enfant humilié que d’affronter sa crainte de révéler à ses parents ce qu’ils lui ont fait subir en le dénonçant au grand jour. Pour ce faire il lui faudra commencer par exorciser sa croyance à être un être « méchant ».

Certaines personnes encore menacées par les humiliations subies de longue date expriment avoir « peur de faire de la peine » à leur parent en leur révélant ce qu’ils lui ont fait subir. Avoir peur d’être « méchant » en dénonçant celui qui nous a humilié s’apparente à une forme de masochisme de celui qui – se conformant encore à ce qu’on lui a dit qu’il était – se met lui-même dans l’impossibilité de se défendre de ses agresseurs. Cette peur de faire de la peine à son parent est particulièrement retorse quand elle inhibe l’action de la victime, l’empêchant par là-même de mettre au grand jour les humiliations et les maltraitances subies, et cela dans un cercle vicieux sans fin duquel de très nombreuses personnes restent prisonnières tout au long de leur vie.

Si un être désire ne plus être tolérant aux mauvais traitements, il lui faudra découvrir la vérité sur la relation que ses parents ont entretenue avec lui, il lui faudra révéler à ses parents maltraitants les sentiments qui ont été les siens en conséquence de ce qu’il a subi enfant. C’est parce qu’il bravera cette interdiction qu’il pourra définitivement tester la vraie nature de la relation que ses parents entretiennent avec lui.

Que va-t-il découvrir ?

Des parents bouleversés par la souffrance vécue par celui qu’ils aiment ? Des parents capables d’aimer et d’être en empathie avec leur enfant (donc capables de se mettre à sa place), ou a contrario, des parents qui s’enferment dans le silence, le déni et/ou la justification ?

À lui révéler la vérité de nos sentiments vis-à-vis d’elle, on ne court le risque d’exaspérer qu’une personne qui ne nous aime pas.

Pour ce faire, pour parvenir à la paix avec nous-même, il nous faudra commencer par rencontrer nos propres émotions de colère et parvenir à les ressentir pleinement9. Pourquoi ? Parce que comme le dit si bien Susan Forward : « Les choses que nous avons peur de provoquer si nous nous mettons en colère sont justement les choses qui ont toutes les chances d’arriver si nous ne nous mettons pas en colère10. »

La colère est l’émotion en réponse à l’injustice, c’est une émotion juste qui, si elle n’est pas refoulée, ne mènera jamais à sa pathologie : la violence. Elle n’est donc l’ennemie ni de nous-même ni de ceux qui nous respectent. A contrario c’est en cherchant à être hypocritement bons avec nos parents maltraitants (sous prétexte qu’ils sont vieux, par exemple) que nous tournerons le dos à notre libération et contribuerons à créer en nous des ressentiments11 et chercherons autour de nous des boucs-émissaires (le conjoint, les enfants) pour relâcher nos tensions. Il se peut aussi que, laxistes avec nos proches, nous évitions – injustement pour nous – un conflit que nous aurions besoin d’assumer. Pour nous défaire de ces ressentiments comme de ces peurs, pour ne pas ressentir le besoin de les vivre par exemple avec nos propres enfants, il faut avoir eu le courage de les avoir clairement dénoncés dans notre relation à nos parents maltraitants.

C’est simplement parce que nous entretenons une confusion perverse entre le bien et le mal pour nous, que nous ne parvenons pas à reconnaître le mal comme un mal, que nous n’osons pas le dénoncer et que nous nous condamnons par là-même à le perpétuer à notre détriment et aussi à notre insu.

Les personnes adultes, soumises et angoissées par la crainte de rencontrer leurs vécus anciens, ne savent généralement pas que la libération n’est rendue possible qu’à celui qui perd ses illusions, et que si leur croyance en l’illusion d’avoir été aimées par leur parent les a sauvées quand elles étaient enfants, elle est aujourd’hui la cause principale de leurs angoisses et de leur propension à continuer à se soumettre dans leurs relations (avec eux ou avec des proches qui leur ressemblent) donc à se perdre.

À l’opposé du déni des maltraitances subies, qui est la caractéristique d’une personne soumise, il y a celle ou celui qui ose plonger au cœur de sa souffrance pour l’affronter et parvenir à l’apaiser.

Plonger dans sa souffrance c’est comprendre qu’il n’y a qu’un travail d’acceptation,12 donc de vérité, par rapport à ce qui a été, qui nous permettra de nous libérer de notre vécu de maltraitances et d’humiliations.

La relation aux parents maltraitants (qu’ils soient morts, par une lettre posthume par exemple, ou vivants), peut devenir l’opportunité de ce travail.

En commençant par trouver en nous-mêmes le courage de nous reconnaître comme ayant été maltraités, nous deviendrons capables de sortir de la passivité de la victime, donc de diminuer radicalement nos angoisses en devenant responsables du choix assumé de mettre une limite à ceux qui continuent de nous manipuler.

C’est toujours à partir de la reconnaissance de ce qui a été qu’un être parviendra à en guérir, jamais en le minimisant ou en le niant. Ce qui signifie que pour parvenir à devenir enfin qui nous sommes, il nous faut parvenir à nous appuyer sur ce qu’on nous a fait subir en rencontrant l’enfant abusé, humilié qu’on a été.

Le moment clé de la guérison pour un être anciennement maltraité mais qui – parce qu’il commence peu à peu à relever la tête – deviendra capable de se respecter lui-même en toutes circonstances, est le moment de la bascule de la soumission à la reconnaissance de ce qui a été subi. Cette prise de conscience est protectrice de soi-même, elle est le moment décisif ou – ayant vu les choses telles qu’elles sont – un être adulte anciennement maltraité relève enfin la tête en devenant capable de faire enfin pour lui-même ce que ses parents n’ont jamais su faire.

Reconnaître que nos parents nous ont « colonisés » c’est se donner le moyen de constater qu’ils sont à l’origine de notre propre désamour de nous-même. C’est à partir de la reconnaissance de ce désamour qu’un être maltraité pourra se donner la force de se libérer de son assujettissement aux comportements pathologiques de ses parents en leur signifiant que le temps de sa soumission est dorénavant fini.

Notons que le but de la confrontation à ses parents maltraitants n’est pas de se venger d’eux, de les punir, de déverser sa colère pour la déverser, ou même de chercher à obtenir quelque chose de positif d’eux (ce qui serait encore une dépendance). Le but est de parvenir à se conduire en adulte ce qui revient à trouver le courage de leur dire enfin la vérité afin de déterminer le type de relations qu’on veut dorénavant avoir avec eux.

Le Dr Christophe Massin écrit : « J’ai dû me rendre à l’évidence : malgré l’amour que je porte à mes enfants, de mon propre fait ou par les circonstances qui m’affectent, je leur suis aussi cause de souffrance. En revanche, j’ai expérimenté à plusieurs reprises que le reconnaître lucidement, sans culpabilité (toujours nocive et superflue), avait un effet bénéfique non seulement pour moi mais aussi pour eux.13 » Cette « évidence », l’évidence de notre maladresse et du fait que nous sommes cause de souffrance pour des êtres que certains d’entre nous prétendent aimer plus que tout, tous les parents doivent y souscrire.

C’est parce qu’il parviendra à prendre sa pleine responsabilité de parent qu’un père ou qu’une mère accueillera et écoutera ses enfants qui éprouvent le besoin de leur parler.

Pour ce faire la procédure proposée par la psychothérapeute américaine Susan Forward14 pour confronter les parents à ce qu’ils ont fait subir à leurs enfants est simple :

Elle commence par la formule :

« Je vais vous dire aujourd’hui des choses que je ne vous ai jamais dites auparavant » :

  • Voici ce que tu m’as fait.
  • Voici ce que j’ai éprouvé à l’époque.
  • Voici quel effet cela a produit sur ma vie.

Il me paraît essentiel d’ajouter :

  • Voici ce que je ne supporterai dorénavant plus jamais de toi.

Vous devez faire ce travail pour vous, pas pour vos parents, et c’est à ce prix que votre angoisse diminuera considérablement. Pour que la procédure puisse porter ses fruits, il ne faut donc avoir aucune attente. Susan Forward précise et il est nécessaire de bien l’entendre : « La confrontation est un succès pour la seule raison que vous avez eu le courage de l’entreprendre. »

Comme l’écrivait Alice Miller : « Devenir adulte revient à cesser de nier la vérité, ressentir la souffrance refoulée, et aussi prendre connaissance, dans sa tête, de l’histoire que le corps sait émotionnellement, l’intégrer et ne plus être contraint de la refouler. Ce qu’il advient alors des relations avec les parents – le contact peut-il ou non être maintenu ? – dépend des circonstances, de la situation donnée. Mais dans tous les cas l’indispensable est la fin de l’attachement pathogène aux parents des années d’enfance. Se défaire de ce lien baptisé « amour », mais qui n’en est qu’un simulacre, composé d’un mélange de gratitude, de pitié, d’attentes, de déni, d’illusions, d’obéissance, de peur et de crainte du châtiment.15 »

Ce travail s’apparente à une nouvelle naissance pour celui qui, ayant vaincu sa peur d’affronter la vérité de la relation à ses parents et travaillant à la restauration de sa propre dignité, est parvenu à leur dire pour la première fois ce qu’ils lui ont fait subir et affirmer clairement qu’il ne le subira dorénavant plus.

© 2024 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.

 Notes :

1. Susan Forward, Parents toxiques, Éditions Marabout, 2002, p. 238.

2. Consultez sur Wikipédia la fiche de John Bowlby

3. Consultez sur Wikipédia la fiche de René Spitz

4. La lecture du livre passionnant du Dr Christophe Massin, Le bébé & l’amour, Éditions Aubier, 1997, nous permettra de pénétrer dans la richesse de l’univers du bébé et nous fera comprendre comment notre rôle de père et de mère nous transforme en profondeur.

5. À ce propos lisez les articles : À propos de l’amour et de l’altruisme et Illusion et toxicité dans la relation amoureuse.

6. À la fois psychothérapeute et maître spirituel indien, pour en savoir plus cliquez ici.

7. Lisez l’article : Que veut dire : « Vous l’avez attiré » ?

8. Lisez l’article : S’initier au travail intérieur, qui parle de son livre.

9. Pour aller plus loin, lisez : Oser la colère, oser être vrai avec soi-même

10. Susan Forward, Parents toxiques, Éditions Marabout, 2002, p. 246.

11. Pour aller plus loin, lisez : Ressentiment ou responsabilité

12. Pour aller plus loin, lisez : Esquiver ou digérer

13. Dr Christophe Massin, Le bébé & l’amour, Éditions Aubier, 1997, p. 19

14. Susan Forward, Parents toxiques, Éditions Marabout, 2002, p. 262.

15. Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, Éditions Flammarion, 2004, p. 82, dont je vous recommande vivement la lecture.

Pour aller plus loin sur ces thèmes, vous pouvez lire :

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4 Commentaires
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Nanoup

Merci pour cet article. A la naissance de notre fille j ai franchi ce Cap. Ce fut dans la douleur d une relation fusionnelle avec ma mère à laquelle j ai dû renoncer. La culpabilité qui m étreignais depuis que j étais née, pusique non désirée, s est enfin envolée. Quel soulagement de ne plus porter des responsabilités qui ne nous appartiennent pas! Je l ai fait pour notre fille pour que ni elle ni moi ne nous inscrivions dans un schéma futur pathogène mais au fond c est surtout à moi que je le devais. Je n ai jamais… Lire la suite »

Dominique

Merci infiniment pour ce long texte complet qui m’a aidé à mettre un mot sur la souffrance de l’enfant en moi que j’ai toujours étouffé.
Je suis enfin prêt à me libérer à travers la rédaction d’une lettre posthume.

Martine

Putain ! C’était ma mère ! Lorsqu’elle a découvert les attouchements que notre frère nous faisait subir, elle nous a crié dessus, en hurlant ces mots : “Si vous le dites à vôtre père, je vous tue !” Un cauchemar me revient toujours, des gens portant une cagoule veulent me tuer ! Horreur, quand je reconnais la voix de mes parents ! Lorsque j’étais enceinte, alors que je sortais à peine de mon anorexie mentale, elle m a dit : “Je souhaite que ton enfant, t’en fasse subir, autant que tu nous en a fait subir !” Putain ! C’était… Lire la suite »