Comment guérir pour gagner en solidité et devenir une meilleure aidante ?

(Expérience de la non dualité dans la relation d’aide)

Question de Marie :

J’ai 37 ans, je suis aujourd’hui intervenante auprès de « proches aidants d’aînés. » J’ai commencé ma vie professionnelle comme artiste peintre. Ma vie amoureuse a été difficile. Il y a deux schémas de comportements dont je n’arrive pas à me défaire et qui diminuent mon estime de moi au travail en plus d’à mon domicile : la fuite des tâches répétitives et désagréables (je suis désordonnée, je fuis la tâche en lui tournant le dos, en lisant, ou en changeant de pièce), et donc la procrastination, qui a de plus en plus d’impact maintenant au travail.

Au cours des années, j’ai essayé en vain beaucoup de modes d’action.

Dans ma vie personnelle, je suis attirée par des hommes blessés qui fuient une part de leur vie.

Je voudrais guérir pour gagner en solidité et devenir une meilleure intervenante.

Mes pistes de réponse :

Un(e) aidant(e) qui n’a pas mis à jour les mécanismes inconscients qui veulent faire de lui (elle) un(e) aidant(e), court le risque de se retrouver un jour floué(e) dans sa relation aux autres en général et en particulier à ceux et celles qu’il (elle) veut aider.

On ne peut pas se libérer de ce que l’on ne connaît pas encore et pour le moment vous semblez dépendante de votre ambivalence vis-à-vis des autres et de vous-même. Vous interroger sur la nature et les causes de vos attractions comme de vos répulsions est donc le préalable à toute guérison possible.

Pour pouvoir aider les autres et/ou devenir une meilleure aidante, il vous faut commencer par identifier vos conditionnements essentiels, en découvrir l’origine, puis – dans un second temps – regarder attentivement la manière dont ils interfèrent à l’intérieur de vous dans votre relation aux autres.

Découvrir – plus particulièrement – comment ces conditionnements vous empêchent de voir la réalité en face alors même que vous avez – sincèrement – l’impression de voir les choses telles qu’elles sont. Cela passe par remettre petit à petit en cause certaines de vos illusions sur vous-même, certaines de vos certitudes, et en particulier la croyance en votre liberté dans votre adhésion à certains de vos idéaux.

Sans ce travail préalable vous courez le risque de vous perdre en répétant des comportements auxquels vous ne parvenez pas à résister, des actes non réalistes, appliqués de façon mécanique, et répétés de façon excessive et compulsive.

Ainsi la question pertinente à laquelle vous pouvez tenter de répondre est de savoir quelle part de vous, à l’intérieur de vous-même, veut aider et pourquoi.

La véritable relation d’aide, celle qui ne se fonde pas sur un égocentrisme compulsif, demande à être une expérience de non dualité. Tant qu’elle est fondée sur le besoin non élucidé de rendre service à l’autre, elle demeure issue d’un passé qui nous contraint d’autant plus qu’il reste mystérieux.

Cela signifie que plus une personne devient intime avec elle-même (c’est-à-dire plus elle se connaît en ayant mis à jour les causes qui font qu’elle agit comme elle agit), plus elle est à même d’aider les autres avec un minimum d’interférences personnelles.

(A l’inverse, moins une personne sait pourquoi elle agit comme elle agit, plus elle agit de façon automatique en croyant aider les autres quand elle ne fait qu’obéir inconsciemment à ses compulsions personnelles.)

Dans sa relation à l’autre, chacun dans la dualité amour / haine, porte en lui-même un aspect victime et un aspect bourreau. Gurdjieff l’exprimait ainsi :

« Tout individu qui vient sur terre se voit confier la garde d’un loup et d’un agneau.

A la fin de sa vie, il doit rendre ceux-ci intacts :

– Sans que le loup ait mangé l’agneau.

– Sans qu’il ait tué le loup pour l’empêcher de manger l’agneau. »

La dualité, la nature de la vie, nous oblige donc à agir dans un continuum sans fin qui nous fait osciller constamment entre le loup et l’agneau. Entre notre désir de tuer le loup, et celui, pour le loup, de manger l’agneau.

Celui ou celle qui parvient à dépasser cette dualité devient alors capable de voir les autres d’une manière radicalement différente, il ou elle parvient à répondre à ce que demande la situation plutôt qu’à son besoin à lui ou à elle. (Et c’est à cette condition que l’aidant devient capable d’aider véritablement.)

Vous êtes lucide et honnête quand vous constatez qu’à l’intérieur de vous-même, quelque chose ne va pas.

Votre partage montre que vous n’êtes ni unifiée, ni « réconciliée » à l’intérieur de vous-même. Si vous vous sentez obligée de procrastiner, c’est sans doute parce que vous ressentez le besoin (resté inexploré), de vous fuir vous-même en n’osant pas affronter vos propres désirs.

Selon vos propres dires, vous vous sentez plus particulièrement attirée par « des hommes blessés qui fuient une part de leur vie » et que vous cherchez donc à sauver.

C’est le renoncement à votre attirance qui vous permettra de vous libérer de votre compulsion de répétition. Seulement, ne parvient pas à renoncer à son attirance qui veut. Vous aurez gagné en solidité quand vous aurez préalablement découvert ce qui se joue en vous-même dans cette attirance.

Vous parlez également de votre désir irrépressible d’aider en devenant meilleure, en même temps que vous évoquez un faible niveau d’estime de vous-même. À vous appuyer sur votre besoin de devenir meilleure, vous vous appuyez inconsciemment sur votre négativité, quand il vous faudrait vous appuyer sur le meilleur de vous-même. Est-ce à dire que le besoin de créativité de l’artiste peintre que vous avez été se sentirait à l’étroit dans la relation à l’autre ?

Quelques fragments retrouvés du présocratique Héraclite nous éclairent :

« L’homme ne saisit pas qu’en se contredisant, les choses s’accordent. »

Tant qu’à l’intérieur de vous, ces deux aspects contraires de la réalité que sont la haine et l’amour, le loup et l’agneau, ne sont pas réconciliés en vous-même, tant que les polarités que vous portez en vous-même ne sont pas intégrées, il vous restera impossible de faire naitre en vous un sentiment stable et équanime capable de vous permettre d’aider les autres sans ressentir le besoin personnel de vous défier d’eux ou même de les sauver.

Cela signifie que pour pouvoir aider librement les autres, il faut que le cœur soit devenu libre de sa propre avidité pour les contraires, qu’il soit devenu capable de la transcender. Cela veut dire capable de faire l’expérience de la non dualité.

Le plus souvent, la motivation ordinaire et ignorante d’elle-même de l’aidant reste personnelle, c’est-à-dire qu’elle relève d’une propension à se donner bonne conscience à peu de frais en obéissant à une morale apprise. Et l’une des causes principales du burnout tellement répandu des aidants est là. N’est pas aidant qui veut, un être qui croit devoir renoncer à lui-même pour aider les autres court le risque de se perdre en devenant la proie du perfectionnisme, de la culpabilité et de la honte. Il s’écartèle.

A vous lire, il est possible que votre procrastination soit un moyen pour vous d’échapper à votre propre culpabilité à agir pour vous-même et cela d’autant plus que vous vous la reprochez. Pourquoi vous condamnez-vous à une vie amoureuse si difficile ?

Seul un travail de connaissance de vous-même vous permettra de regarder en face ce qui vous anime, une fois encore, c’est en ayant la connaissance des choses que vous pourrez vous en libérer.

Comme le répétait inlassablement Arnaud Desjardins : « Connaître c’est être. » Le seul moyen que vous ayez de vous libérer de votre prison, c’est de la rencontrer, de l’explorer donc de la vivre consciemment.

Illustration :

Création d’IceBear Studios pour les soignants de première ligne du COVID-19

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