Se confronter aux choses « telles qu’elles sont » et ne plus tricher avec soi-même.
Une approche positive de la réalité.
« Celui qui est maître de ses pensées est plus grand que celui qui est le maître du monde. »
Bouddha.
« C’est dans la lutte contre les pensées, et là seulement, que réside la possibilité d’une véritable libération. »
Arnaud Desjardins.
Sur internet, les commentaires à propos de la « pensée positive » sont multiples : « la pensée positive, ça marche… ; la pensée positive pour transformer votre vie… ; la puissance de la pensée positive… » La pensée positive est souvent proposée comme la panacée pouvant nous guérir de nos maux.
Sur quoi repose la pensée positive ?
Nous comprenons tous aisément qu’avant de nous lancer vers un but, nous avons besoin de penser (pour pouvoir prétendre à la réussite) que nous nous en sentons capables, et que si nous avons des pensées négatives sur nous-mêmes du type : « Je n’y arriverai jamais parce que je suis un incapable », cette pensée fonctionnera comme un frein ou même un empêchement à la réalisation de notre but.
Si je pense ne pas être capable de courir, je ne m’inscrirai jamais à un marathon, sans doute plus parce que je me pense incapable de courir que parce que je ne sais pas courir réellement…
La manière dont nous nous pensons nous-mêmes détermine notre capacité à entreprendre, sinon à réussir. Si je me pense (positivement) capable de réussir, j’aurai infiniment plus de chance de réussir que si je me pense (négativement) incapable de réussir.
Sous le prétexte que la pensée négative induit l’échec en faisant focaliser notre attention sur le négatif, les partisans de la pensée positive affirment qu’il suffit de penser positif pour réussir.
Or s’il est vrai que pour réaliser quelque chose il faut s’en croire capable, la réciproque « puisque je m’en crois capable, je le peux » n’est pas pour autant vraie !
Avec une naïveté déconcertante, certains proposent de pratiquer une nouvelle technique qui repose sur ce qu’ils appellent la « pensée créatrice » : pour obtenir ce que vous voulez pour vous-même, il vous suffit de croire cela possible (automatiquement vous en serez donc capable), et pour vous convaincre que cela est possible, il vous suffit de vous le répéter – inlassablement – plusieurs fois par jour, même si cela n’est pas vrai…
La technique des marchands d’affirmations positives est née : il s’agit de nous répéter des pensées positives (trouvées sur internet par exemple) telles que :
- La vie m’aime et je suis en sécurité.
- C’est l’amour qui anime ma vie.
- Financièrement, je suis toujours à l’aise.
- Mes parents sont des gens merveilleux.
- Je me fais toujours confiance.
- Je suis en paix avec le départ de ceux que j’aime.
- Je m’aime dans toutes les expériences que je traverse et tout va bien.
- Je m’aime et je m’accepte exactement tel que je suis.
La perspective matérialiste du quantitatif prétend donc être capable d’anéantir le négatif en grossissant le positif. C’est en me disant que je suis heureux (alors que je ne le suis pas) que je parviendrai au bonheur, il faut po-si-ti-ver !
Les matérialistes-marchands ont même poussé leur mercantilisme jusqu’à créer (sur internet) un petit bracelet en latex violet, symbole des pensées positives, qu’il s’agit de porter et qui est censé aider à se souvenir de se répéter des pensées positives ! (Le bracelet est gratuit, mais son envoi est payant… comme les CD, autres t-shirts et livres qui l’accompagnent.)
Nous faire croire qu’il nous suffit de nous autosuggestionner, c’est-à-dire de nous répéter chaque jour des pensées positives pour que nous les croyons peu à peu est une mystification.
Le psychologue canadien Camillo Zacchia(1) nous met en garde :
« Par définition, les personnes ayant une faible estime d’elles-mêmes pensent qu’elles ne valent pas grand-chose. Aussi, en constatant que l’affirmation positive ne fonctionne pas, elles ont tendance à s’imputer la faute de l’échec… et à s’enfoncer davantage. »
Il nous encourage plutôt à axer notre « intervention sur les croyances de la personne, (ce que j’appelle plus bas, le travail sur les pensées) plutôt que sur la répétition de phrases creuses. Si je suis mauvais joueur au golf, ce n’est pas en me disant que je suis bon que je vais le devenir ! » …et si je suis un joueur moyen, inutile de me dévaloriser…
Qu’est-ce que le véritable travail sur les pensées ?
En fait, il ne s’agit pas de faire de l’angélisme, donc d’éradiquer les pensées négatives parce qu’elles sont négatives mais parce qu’elles sont fausses.
Entre l’optimisme et le pessimisme, il n’y a pas à choisir. Il vaut mieux s’en tenir aux faits, c’est-à-dire aux choses « telles qu’elles sont » plutôt qu’aux rêves, c’est-à-dire aux choses « telles qu’elles devraient être ».
Le travail sur les pensées est donc un travail de mise en contact avec soi-même, une confrontation active et inlassable de nos pensées avec l’évidence des choses telles qu’elles sont, afin que – peu à peu – nous devenions capables d’être en harmonie avec les choses telles qu’elles sont.
Si – par exemple – je suis triste, je le suis, il ne sert à rien de me raconter des histoires fumeuses du genre « je n’ai aucune raison d’être triste, puisque je passe le week-end prochain avec des amis », en tentant de me convaincre de leur réalité. Quand la vie comporte des aspects authentiquement difficiles pour nous, nous nous devons de les reconnaître, pour peu à peu les accepter, afin de nous y ouvrir pour les traverser, plutôt que de nous culpabiliser en nous disant à nous-mêmes que nous devrions être capables de vivre les choses autrement en étant « positifs ».
Le plus sûr moyen de garder nos angoisses, c’est de les refouler au plus profond de nous-mêmes en nous racontant qu’elles n’existent pas, et en croyant par la même les faire disparaître.
Cette erreur que nous commettons régulièrement avec nous-mêmes, nous la commettons aussi avec les autres : combien de fois, croyant bien faire, n’avons-nous pas été négatifs avec les personnes que nous nous proposons d’aider, sous prétexte de les soutenir et de leur remonter le moral, en leur conseillant d’être positifs, donc de voir leurs problèmes autrement ? « Vous savez Madame Untel, quand on a une petite fille si mignonne, on n’a pas le droit de penser à des choses tristes. » Et celui qui entend ces paroles entend aussi le déni, il sent qu’on ne le respecte pas tel qu’il est, puisqu’on lui demande d’être un autre… qu’il n’est pas.
Pema Chödrön(2), remarque judicieusement : « Affirmer (et la technique des affirmations positives affirme !) revient à se dire à soi-même qu’on est plein de compassion et courageux afin de dissimuler que, secrètement, on se considère comme un perdant. »
Dans le secret espoir d’être ce que je voudrais être, je refoule ce que je suis… C’est parce que je ne veux pas vivre ce qu’il m’est donné de vivre que je me condamne à en avoir peur quand je le vis, donc à me raconter des histoires sur moi-même.
Terriblement réaliste, le chercheur spirituel Daniel Morin(3), affirme : « Le goût d’une sucette finit toujours par le goût du bâton. » Certains rêvent d’éradiquer définitivement le goût du bâton ce qui n’est évidemment pas possible, dans la vie il n’y a pas de joie sans peine.
Ce qui nous empêche de nous adapter à la réalité de l’existence (à cette succession de joies et de peines), est le refus de le faire. Nos mécanismes de défense se fondent sur le refus (de la peine), or une angoisse refusée se renforce et une angoisse peu à peu acceptée, donc intégrée, s’apaise, se dissout. Il suffit de le tenter quelquefois pour s’en persuader en le vivant.
Certains de nos refus sont conscients, d’autres ne le sont pas. Il s’agit donc – pour s’adapter – de tenter d’entrer en relation avec ses refus inconscients donc de s’interroger honnêtement sur les choses telles que nous les vivons à partir de la question :
« Suis-je en vérité avec moi-même et la réalité telle qu’elle est
ou suis-je en train de me raconter des histoires ? »
Le philosophe stoïcien Epictète a dit : « Il ne faut pas vouloir que les événements viennent comme tu le veux, il faut les vouloir comme ils arrivent, ainsi ta vie sera heureuse. » Or avant de parvenir à « les vouloir comme ils arrivent », ne nous faut-il pas commencer par être d’accord pour qu’ils arrivent comme ils arrivent ?
La perspective stoïcienne ose faire la différence entre les événements qui dépendent de nous et ceux qui ne dépendent pas de nous, en nous faisant sentir que puisque nous ne pouvons pas intervenir sur « ce qui advient », seule « la manière dont nous prenons ce qui advient » dépend de nous. M’accueillir ici maintenant dans la tristesse – par exemple – qui est la mienne, ne change pas ma tristesse mais me permet de me réconcilier avec elle, puisque la nier c’est la renforcer par le refoulement.
« C’est très facile de vous débarrasser de vos erreurs et de vos insuffisances, si, dès que vous les remarquez, vous leur faites face et ne les refoulez pas. Vous ne pouvez nettoyer une chambre que si vous voyez nettement la saleté qui s’y trouve. » disait le sage indien S. Prajñânpad(4).
Seule la « vérité » intégrée de ce que je suis, ici et maintenant, peut me permettre d’en être libre. Ne nous mentons pas à nous-mêmes, soyons d’abord honnêtes et sans parti pris, sans a priori ni idées préconçues, sur nous-mêmes.
La pensée réaliste est une « approche positive » en ce sens qu’elle voit la réalité telle qu’elle est et se garde de l’interpréter à travers le filtre du négatif et du positif.
Oui, nous sommes « créateurs de notre vie » dans la manière dont nous allons nous y prendre pour ne plus tricher avec nous-mêmes en :
- Commençant par reconnaître que « ce qui nous arrive » nous arrive, donc en ne le niant plus, (sous le prétexte de positiver).
- N’interprétant plus les événements qui nous arrivent sur la base de pensées irréalistes dont nous n’avons jamais pris soin de vérifier la pertinence.
Comment nous y prendre pour être d’accord avec le fait que ce qui nous arrive nous arrive ?
Sur la ligne de départ, il y a « ce qui m’arrive » et que je refuse sous le prétexte que cela ne me convient pas, un peu comme un enfant qui trépigne devant son parent qui l’envoie se coucher à une certaine heure.
Notre volonté de puissance (certains l’appellent arrogance), nous empêche de percevoir ce que le philosophe anglais Francis Bacon nous fait remarquer si finement : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant. » C’est donc parce que j’accepte la loi de la pesanteur, que je m’y adapte, que je peux l’utiliser. De même que c’est en obéissant aux lois physiques de la gravité que l’homme a réussi à voler, c’est en nous soumettant aux choses « telles qu’elles sont » que nous parviendrons – parfois – à les faire évoluer en cohérence avec ce qui nous apparaît comme le plus avantageux pour nous-mêmes.
Pour ne pas risquer d’être comme une personne qui, voulant voler, se jetterait dans le vide du haut d’un précipice, sous le prétexte que la loi de la pesanteur ne lui convient pas, nous avons besoin – pour grandir – de toujours nous adapter à la réalité « telle qu’elle est », que cela nous convienne ou pas.
Pour ce faire, il nous faut commencer par reconnaître les choses telles qu’elles sont en nous posant les questions primordiales :
- Est-il vrai que les choses sont ainsi ?
- Est-il vrai que je ne peux rien y changer (pour le moment) ?
Et d’y répondre : …Oui, j’en conviens… la réalité est telle qu’elle est.
Je ne me trompe plus moi-même en me racontant – par exemple – que « cela m’est égal, que je m’en fous » alors que cela me pose manifestement problème. Je vois et reconnais l’écart (douloureux) entre les choses « telles qu’elle sont » et mon refus qu’elles soient telles qu’elles sont.
Donc je découvre peu à peu que, le plus souvent, je refuse ce qui m’arrive sous le prétexte que je l’interprète comme ne devant pas m’arriver.
Certains objecteront qu’accepter la réalité « telle qu’elle est » est du fatalisme : « Il n’est pas question pour moi d’accepter que cet enfant m’ait manqué de respect. » Et pourtant, au moment même où je le refuse, ne m’a-t-il pas déjà manqué de respect ? Je ne peux pas faire autrement que de le reconnaître.
De quoi s’agit-il au juste ? C’est la croyance fausse que ce qui nous arrive ne devrait pas nous arriver qui nous pousse à penser de la sorte… Dans le domaine très répandu des « choses qui ne dépendent pas de nous », nous n’avons pas d’autre choix que celui de nous y résoudre. Par contre, dans le domaine, plus exceptionnel des « choses qui dépendent de nous », nous avons – bien sûr – la possibilité d’agir en ne tolérant pas que cela dure.
C’est parce que j’accepte (donc que je m’adapte) au fait que cet enfant m’a manqué de respect, que je ne m’y résigne pas, donc que j’interviens afin que – autant que faire se peut – il n’ait pas le besoin de recommencer.
Agir, avant qu’il soit trop tard, c’est ne pas tolérer de ne pas intervenir sur ce qui dépend de nous, donc agir quand c’est possible d’agir, ce qui est le meilleur moyen pour nous d’obtenir des résultats…
Commençons par des choses simples : « Oui, j’ai passé trente minutes à préparer ce petit plat que j’ai laissé brûler par un temps de cuisson trop long. », « Oui, en me garant maladroitement, j’ai malencontreusement rayé ma voiture sur toute sa longueur. », « Oui, mon fils vient de me parler agressivement en m’envoyant me faire voir. », « Oui, mon supérieur hiérarchique vient de me faire une remarque blessante. »
Puis par des choses un peu plus difficiles : « Oui, ma femme a regardé pendant toute la soirée cet homme séduisant. », « Oui, mon patron vient de me signifier mon congé définitif. »
C’est sur cette base que je pourrai – dans un second temps – voir tranquillement ce qui peut être fait. Nous appellerons cela : voir lucidement la réalité (donc faire avec), pour pouvoir agir dessus.
Le travail est particulièrement difficile à cause de notre interprétation de ce qui nous arrive à travers des croyances erronées auxquelles nous continuons d’adhérer parce que nous ne les avons jamais mises en cause.
Pour les modifier, nous devons développer une pensée critique, c’est-à-dire apprendre à observer un événement sous un angle objectif en s’appuyant sur le réel, plutôt que sur nos perceptions – par définition subjectives.
Mais à propos, qu’est-ce qu’une croyance ?
La croyance est une pensée qui prétend saisir la réalité telle qu’elle est, à travers des mystifications que le sujet s’impose à lui-même. Elle est associée à la peur de ne pas être ce que l’on pense que l’on devrait être ou de ce que l’on pense que l’autre voudrait que nous soyons (qu’il nous le fasse sentir d’une manière explicite ou implicite.)
Il y a beaucoup de chances pour que, par exemple, dans un service hospitalier, une aide-soignante qui pense qu’elle doit être parfaite, ait peur qu’on la surprenne en flagrant délit d’imperfection…
Des comportements excessifs directement liés à cette croyance (« je dois être parfaite ») vont donc se mettre en place à son insu, tels que celui de devoir faire de nombreuses heures supplémentaires non payées par exemple.
Le cycle : croyance / peur / réaction se met en place : Je crois que je dois être parfaite, donc j’ai peur de ne pas l’être, donc je m’astreins à des heures supplémentaires en pensant que je n’ai pas d’autre choix que celui de les faire.
Le schéma(5) se dramatise souvent d’une telle façon qu’il fonctionne en s’amplifiant automatiquement, par exemple :
- J’ai peur de déranger.
- Je ne m’autorise que rarement à appeler mes amis par téléphone.
- Ceux-ci interprètent cela comme de l’indifférence, ils s’éloignent donc de moi.
- C’est la preuve que je les dérangeais.
Les croyances erronées induisent chez nous des émotions telles que la culpabilité, la peur, la honte, le ressentiment, la haine, l’auto sabotage, la victimisation, la résignation, le perfectionnisme… et bien d’autres.
Voici quelques-unes des croyances qui nous dictent des comportements qui se retournent à un moment contre nous :
- Je suis nul.
- Je dois être parfait.
- Je ne suis pas digne d’être aimé.
- Il ne faut pas déranger.
- Le désir de l’autre est plus légitime que le mien.
- Je n’ai pas le droit de me reposer ni de prendre soin de moi.
- Les autres sont plus intéressants que moi.
- Je n’en fais jamais assez.
- L’autorité est toujours répressive.
- Les hommes ne sont pas dignes de confiance…
Face aux fausses lois issues de nos croyances, se dresse la vraie loi issue de notre capacité à les démasquer :
« Tout ce qui n’est pas certain est de la pensée erronée. »
En particulier tout ce que je pense en termes répétitifs de « toujours la même chose » doit devenir suspect. C’est la remise en cause systématique des croyances, devenue possible grâce à la non identification aux pensées.
Comprendre la nécessité du travail sur les pensées :
Le travail thérapeutique que chacun d’entre nous pouvons faire avec nous-mêmes (et en cela nous pouvons nous faire aider par un thérapeute), consiste d’abord à comprendre que nous ne voyons pas les choses telles qu’elles sont, donc que c’est notre manière personnelle de voir le monde qui contient des pensées sur nous-mêmes et le monde qui sont à la source de nos souffrances émotionnelles. C’est-à-dire que le regard que nous posons sur le monde détermine nos vécus ultérieurs. On pourrait dire : dites-moi comment vous voyez la situation et je vous dirai comment vous allez la vivre…
Comprenons que si la souffrance était réellement provoquée par ce qui nous arrivait, tout le monde aurait les mêmes souffrances face aux mêmes situations difficiles. Or nous avons tous remarqué (parfois en nous en étonnant), que des situations qui étaient difficiles à vivre pour nous, ne l’étaient pas, ou moins, pour certains autres.
En effet, si mes croyances me forcent à penser que je ne devrais pas vivre ce que – pourtant – je vis, je résiste à « ce que je vis », c’est-à-dire que mes résistances me font nier mon expérience et c’est cela qui me fait souffrir, puisque le refus de l’évidence ne supprime jamais l’évidence et que dans le bras de fer qui s’engage entre la réalité et moi, je suis et je serai toujours… le vaincu !
C’est ainsi que beaucoup de personnes se retrouvent prises dans un étau dont les deux mâchoires sont : obéir à la croyance qui oblige et s’épuiser par exemple, ou ne pas lui obéir et culpabiliser !
Prenez le temps de faire cette petite expérience :
Remémorez-vous une expérience pénible que vous avez récemment vécue. Prenez votre temps et entrez peu à peu dans la pensée que la situation, l’événement ou l’émotion que vous avez vécus auraient dû être autre.
- Que ressentez-vous ?
Remémorez-vous la même expérience pénible, mais entrez maintenant dans la pensée, que la situation, l’événement ou l’émotion que vous avez vécus ne pouvaient pas être autrement, parce que les choses ne peuvent être que ce qu’elles sont.
- Que ressentez-vous ?
Comment s’y prendre pour ébranler puis modifier ses croyances ?
Il faut les remettre en cause en les confrontant systématiquement à la réalité.
La confrontation est une démarche dont l’objectif est de changer les croyances irréalistes qui peuplent habituellement notre esprit, qui sont la cause de nos émotions indésirables et qui se répercutent inévitablement sur nos comportements.
Elle peut se comparer à un procédé de contre-propagande, de déconditionnement mental : il s’agit d’apprendre à distinguer le vrai du faux.
Comme vous pouvez le comprendre, cela n’a rien à voir avec la pensée positive, le sermon ou l’autosuggestion. Une pensée vraie, n’est pas forcément une « belle » pensée. Ce travail de confrontation demande de la lucidité, du temps et de la constance, donc de la détermination.
La confrontation commence par une démarche de comparaison. Il s’agit de voir objectivement les phrases ou pensées que l’on se dit à propos d’un événement et de vérifier si elles décrivent exactement la réalité.
Si non, il s’agit de les remplacer par des phrases fidèles au monde « tel qu’il est ». La confrontation est une démarche qui demande précision et rigueur.
Les étapes de la confrontation de ses croyances sont les suivantes :
- Je suis troublé émotionnellement par un événement de ma vie.
- J’observe les idées qui habitent mon esprit à ce moment même (perceptions, jugements, monologue intérieur.)
- Je compare ces perceptions, jugements, croyances avec la réalité.
- Si je constate que mes croyances sont réalistes, mon trouble est fondé. J’essaye de modifier l’événement qui en est la cause si cela est possible. Sinon, il me reste à l’accepter en évitant de l’amplifier ou de le déformer.
- Si je constate que mes croyances sont irréalistes, je les modifie et les remplace par des croyances rigoureusement réalistes donc adaptées. Je n’hésite pas à revenir inlassablement à « la réalité ». Ainsi disparaît peu à peu mon trouble dû aux croyances irréalistes.
Il est important de garder à l’esprit que si notre problème persiste jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas dû à la contagion magique du passé (et cela est la meilleure nouvelle que nous pouvons entendre car nous ne pouvons rien contre l’inéluctable), mais au fait que nous continuons, sans nous en apercevoir, à croire aux idées absurdes acquises graduellement pendant notre enfance.
La méthode, c’est d’oser nous regarder autrement qu’à travers le filtre de nos croyances et de nos certitudes. Nous pouvons être intelligent et agir de façon stupide, c’est-à-dire, par notre action, contrecarrer l’atteinte de nos propres objectifs.
Nous sommes, chacun de nous, les seules personnes à pouvoir examiner, critiquer, confronter et enfin expulser les croyances irréalistes qui nous occupent en nous manipulant.
En avons-nous le désir ?
La plus intéressante des pistes, c’est nous et la manière dont nous évaluons les choses. Il va s’agir de s’ouvrir à ce qui se passe à l’extérieur comme à l’intérieur de nous, donc de fixer notre attention simultanément sur ce qui nous arrive et sur ce que nous ressentons à propos de ce qui nous arrive.
Il s’agit donc d’entreprendre un véritable travail de connaissance de soi-même.
Le déroulement, pas à pas, du travail sur les pensées :
La question de base est : « Qu’est-ce que je vis ici et maintenant ? »
1. Décrivez la situation qui a été l’occasion pour vous d’une émotion désagréable.
Exemple n° 1 : Au supermarché, alors que je lui faisais un sourire, la caissière m’a dit sur un ton ferme « Allez, avancez ! »
Exemple n° 2 : A la suite d’une promotion interne dans mon travail, je me retrouve avec des dossiers en retard de traitement.
2. Nommer l’émotion que vous vivez.
Exemple n° 1 : Tristesse et sentiment d’abandon.
Exemple n° 2 : Angoisse et culpabilité.
3. Evaluez son intensité sur une échelle de 1 à 10.
Exemple n° 1 : 5/10.
Exemple n° 2 : 8/10.
4. Notez ce que vous vous dites à vous-même (votre « pensée irréaliste automatique », issue de votre passé) à propos de l’émotion qui est la vôtre.
Exemple n° 1 : « Quelle idiot(e) ! Pourquoi donc faut-il que personne ne soit aimable avec moi ? »
Exemple n° 2 : « Je suis un(e) incapable, je n’aurais jamais dû accepter ce nouveau poste, je n’y arriverai jamais. »
5. Evaluez l’intensité de votre croyance en cette pensée irréaliste sur une échelle entre 1 et 10.
Exemple n° 1 : 7/10.
Exemple n° 2 : 8/10.
6. Confrontez cette pensée irréaliste à la réalité en lui opposant des pensées réalistes alternatives.
Exemple n° 1 : Les gens fatigués sont souvent revêches. Puis-je être certain que le mal être de cette caissière s’adresse à moi personnellement ?
Exemple n° 2 : Puisque les autres me font confiance, je peux me faire confiance. Qui ne risque rien n’a rien.
7. Evaluez l’intensité de votre croyance en cette pensée réaliste sur une échelle entre 1 et 10.
Exemple n° 1 : 5/10.
Exemple n° 2 : 3/10.
8. Réévaluer l’intensité de notre croyance en la pensée irréaliste sur une échelle entre 1 et 10.
Exemple n° 1 : 2/10.
Exemple n° 2 : 6/10.
D’autres exemples pratiques dans le cadre d’une formation :
Dans certaines formations sur l’usure professionnelle et le burn-out que j’anime pour un public d’aidants, nous listons ensemble les croyances fausses, qu’ils adoptent, et qui sont à l’origine de leur épuisement professionnel.
En voici quelques-unes :
- La principale, directement liée à l’idéalisme ambiant des structures d’aide, est celle du perfectionnisme. Nous l’énonçons généralement ainsi :
« Je dois être toujours capable de faire et de donner davantage quand on me le demande (ou même sans qu’on me le demande). »
Cette croyance irréaliste induit des comportements de personnes qui s’impliquent trop dans leur tâche et ne savent pas moduler leurs efforts.
Ainsi c’est bien parce que Sandrine, assistante sociale, croit qu’elle doit toujours faire plus pour les usagers de son service qu’elle fait des heures supplémentaires non payées, à moins que sa propension à jouer au Sauveur(6) ne la contraigne à penser d’une manière aussi irréaliste.
- Une autre, particulièrement délétère pour celui qui la pratique, et qui a donné naissance à un nouveau concept appelé « includence », décrit le « sentiment de ne pas avoir le temps de tout faire dans un temps donné », nous l’énonçons généralement ainsi :
« Je dois être toujours capable de faire ce que l’on me dit de faire, dans le temps qui m’est imparti. »
Cette croyance fausse induit des comportements de personnes qui vivent du stress négatif, courent, deviennent maladroites, culpabilisent et s’en veulent.
Ainsi c’est bien parce que Stéphanie, infirmière, croit que le temps dont elle dispose est extensible à l’infini, qu’elle accepte des tâches supplémentaires de ses supérieurs hiérarchiques en pensant qu’elle doit les faire, à moins que ce ne soit son absence de confiance en elle qui l’amène à penser d’une manière aussi irréaliste.
Ensemble nous tentons de formuler des pensées plus conformes à la réalité, comme par exemple :
« S’il est légitime pour moi de penser que dans le contrat de travail qui me lie aux usagers de mon service, je dois faire ce que je peux faire ; en revanche, j’ai la lucidité de penser que ce que je ne peux pas faire, je ne dois pas le faire. »
Ou encore :
« Dans un temps imparti, je ne peux faire que ce qu’il m’est possible de faire, compte tenu de mes capacités. »
Ainsi le perfectionniste se croit volontiers incompétent lorsqu’il commet une erreur au travail et il est généralement incapable de découvrir par lui-même qu’il est, le plus souvent, « normal » dans ses erreurs.
Le psychologue Lucien Auger(7) l’exprime bien joliment : « Cela fait partie de la nature, les oiseaux volent, les poissons nagent, les vaches mangent du foin et les humains font des erreurs. »
Peut-être qu’à l’époque de la vache devenue folle parce qu’on lui a fait manger de la viande, les êtres humains deviennent fous, eux aussi, quand ils croient qu’ils doivent réussir tout ce qu’ils entreprennent ?
Le Dr. Albert Ellis(8), créateur de la psychothérapie émotivo-rationnelle, a listé les dix pensées fausses avec lesquelles nous nous martyrisons le plus souvent, si nous ne les confrontons pas fréquemment à la réalité.
Je vous propose de les découvrir et de vous les approprier, car il y a de très fortes chances que certaines d’entre elles parlent beaucoup de vous :
- « Il est essentiel que je sois aimé et approuvé par presque toutes les personnes de mon entourage, pour presque tout ce que je fais. »
- « Je dois parfaitement réussir tout ce que j’entreprends dans tous les domaines afin de me considérer comme ayant une valeur. »
- « Certaines personnes sont méchantes, mauvaises et méritent d’être sévèrement blâmées et punies pour leurs fautes. »
- « C’est terrible, catastrophique et insupportable quand les choses ne vont pas comme je le souhaite. »
- « Mon malheur est causé par des circonstances extérieures à moi-même et j’ai peu de capacités pour me débarrasser de mes troubles et de mes problèmes. »
- « Parce qu’une chose est ou peut devenir dangereuse, il est inévitable que je m’en préoccupe profondément et que je me tracasse sans arrêt à ce sujet. »
- « Il est plus facile d’éviter les difficultés et les responsabilités que d’y faire face en se disciplinant soi-même. »
- « Mon passé détermine mon comportement actuel, et il est inévitable que ce qui m’a déjà affecté profondément continue à le faire pendant toute ma vie.
- « Les choses et les gens devraient être autres qu’ils sont et c’est une chose terrible que de ne pas trouver de solution parfaite et immédiate aux dures réalités de la vie. »
- « Le plus grand bonheur humain peut être atteint par l’inertie et l’inaction, en se laissant vivre passivement. »
Voici le déroulement du cycle des pensées fausses sur soi-même :
(A l’origine) Evénement dans l’enfance → Jugement par l’autre → Apprentissage d’une pensée sur soi-même liée au jugement de l’autre → Emotion douloureuse → (Plus tard) Répétition d’une situation qui évoque (consciemment ou inconsciemment) le passé douloureux → Pensée irréaliste sur soi-même → Réactivation de l’émotion douloureuse → Renforcement de la pensée irréaliste sur soi-même.
Et ainsi de suite… si le travail thérapeutique de remise en cause des pensées irréalistes que nous avons sur nous-mêmes n’est pas fait, il y a renforcement de la dépendance aux pensées fausses, donc risque de glissement vers encore plus de confusion à travers des émotions inadaptées.
Pour conclure :
Combien de fois ai-je constaté le malaise ou l’agacement de la personne angoissée face à celui qui – jovial et inconscient – l’invitait à positiver !
Pour garder ou retrouver notre équilibre, nous avons besoin de repères infaillibles et non d’approximations publicitaires amusantes et folkloriques du type « Il faut po-si-ti-ver ! »
Le travail sur les pensées est une approche phénoménologique en ce sens qu’elle se fait sur la subjectivité de notre vécu. La ferme confrontation réaliste et objective des « pensées irréalistes » qui sont à la source de nos révoltes et de nos frustrations est un moyen simple et facile de nous remettre les pieds sur terre quand nous avons tendance à nous perdre et à errer dans le noir… « Il faut se voir penser, il faut objectiver ses pensées, c’est-à-dire en faire des objets dont le sujet prend conscience. » explique Arnaud Desjardins(9).
C’est à cette condition que nous deviendrons peu à peu davantage maîtres de nous-mêmes.
Notes :
(1) Camillo Zacchia est docteur en psychologie de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, à Montréal, président du Comité d’éthique clinique du Douglas et vice-président du conseil d’administration de l’organisme Phobie-Zéro. Il publie une chronique « La vie en tranches », pour le journal Métro de Montréal, savant mélange de données scientifiques, de pensée critique et de pragmatisme au sujet du monde qui nous entoure. Vous pouvez lire ses billets ici.
(2) Pema Chödrön, nonne bouddhiste, in « Les Bastions de la peur », p. 61.
(3) Daniel Morin, in « Eclats de silence, l’indicible simplicité d’être », préfacé par Alexandre Jollien, Editions l’Originel, p. 124.
(4) S. Prajñânpad (1891 – 1974), sage indien, qui a intégré des données venant de sources aussi différentes que la tradition indienne, la physique occidentale et la psychanalyse.
(5) Un schéma est un entrelacs de pensées et d’émotions négatives qui trouvent leur sens dans notre passé. Lire mon article précédent « Voir ses schémas à l’œuvre pour y renoncer ».
(6) Allusion au « triangle dramatique » également appelé triangle SVP (Sauveur / Victime / Persécuteur). Lire mon article précédent « Le jeu de la Victime ».
(7) Lucien Auger (1933 – 2001), psychologue québécois, in « S’aider soi-même, une psychothérapie par la raison. » qui reprend et analyse longuement chacune de ces dix croyances fausses, telles qu’elles ont été listées par le Dr. Albert Ellis. Editions de l’Homme. (1974)
(8) Dr. Albert Ellis (1913 – 2007), psychologue américain, créateur de la « psychothérapie émotivo-rationelle » qui trouve son origine chez les stoïciens de l’antiquité.
(9) Arnaud Desjardins (1925 – 2011), écrivain, disciple du sage indien S. Prajñânpad, in « Approches de la méditation », p. 87.
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Avertissement aux lectrices et aux lecteurs :
Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)