Le triangle dramatique S.V.P. (Sauveur, Victime, Persécuteur)
(Un outil de travail avec soi-même, pour nous aider à débusquer nos jeux de pouvoir et ceux des autres.)
« Je crois qu’il y a violence dès que nous utilisons notre force non pour créer, stimuler ou protéger mais pour contraindre, que la contrainte s’exerce sur nous-même ou sur les autres. »
Thomas d’Assembourg (1)
Avant propos sous forme de mise en garde :
Vous conviendrez sans doute facilement que quel que soit l’outil que vous utilisez, vous pouvez vous en servir pour faire votre bonheur comme votre malheur… Avec un couteau, on peut étaler du beurre sur son pain mais on peut aussi tuer quelqu’un. Il en est de même de l’outil psychologique « Triangle dramatique ». Si vous vous en servez dans le dessein de vous comprendre pour vous améliorer il peut devenir pour vous une aide précieuse… mais si vous le retournez contre vous, il ne fera que générer – à l’intérieur de vous – encore davantage de mauvaise conscience et de culpabilité.
La lecture de cet article n’est donc pas conseillée aux personnes dépressives ou angoissées parce qu’elles risqueraient de l’utiliser contre elles.
Avant toute chose, souvenez-vous que l’attitude de base de tout changement positif est une attitude de bienveillance vis-à-vis de qui nous sommes et n’oubliez pas que nos attitudes négatives (vis-à-vis de nous-mêmes et des autres) sont toujours la conséquence d’une souffrance intolérable pour nous-mêmes.
Nous avons tous eu dans notre histoire de bonnes raisons de nous comporter en Victimes. Alors que nous demandions quelque chose à notre mère et que celle-ci nous le refusait, il a pu nous apparaître avantageux de nous plaindre afin de l’obtenir. C’est ainsi que la plupart d’entre nous avons trop rapidement conclu que de devenir la victime de l’autre nous permettait d’obtenir ce que nous ne savions pas obtenir autrement… en oubliant d’en considérer les aspects morbides.
Parallèlement nous avons également appris qu’en faisant plaisir aux autres, en leur rendant service ou en nous soumettant à leur autorité, nous attirions leur reconnaissance, c’est ainsi que nous nous sommes inconsciemment appréciés dans un rôle de Sauveur qui nous rapportait… en oubliant d’en considérer les effets secondaires délétères.
Quand, embourbés dans les complications émotionnelles et relationnelles de nos schémas de victimes et de sauveurs, il nous arrivait de ne plus en pouvoir – suffoquant d’injustice – nous basculions dans l’amertume et le ressentiment et espérions nous en sortir grâce au rôle de Persécuteur… en oubliant d’en considérer les effets pervers en retour.
C’est ainsi que les trois rôles sont intimement liés et forment la triade :
Une personne ne se cantonnera pas seulement à entrer dans le rôle du Sauveur, de la Victime ou du Persécuteur mais sera les trois à la fois à des moments différents, dans des situations différentes, car une fois entré dans le « triangle dramatique » (ainsi nommé par le psychothérapeute Stephen Karpman), on adopte tôt ou tard et obligatoirement… les autres positions.
Avant toute chose et pour vous permettre de vous retrouver personnellement dans ces rôles, je vous invite à répondre à ces trois questionnaires (mis au point d’après un test de Lilyane Clémente) :
Pour savoir si vous êtes un SAUVEUR, une VICTIME et un PERSECUTEUR malgré vous, je vous invite à faire ce test :
Pour sortir de ce mauvais rôle de Sauveur, tentez de répondre honnêtement aux questions suivantes :
1) Qu’espérez-vous obtenir en jouant au bon samaritain ?
2) Et si vous commenciez par oser vous dire honnêtement à vous-même vos propres besoins ?
Pour sortir de ce mauvais rôle de Victime, tentez de répondre honnêtement aux questions suivantes :
1) Qu’est-ce qui vous pousse à croire que vous ne pouvez rien faire d’autre que de subir des Sauveurs et des Persécuteurs ?
2) De quoi avez-vous peur ? Pourquoi avez-vous ainsi tendance à vous justifier ?
3) Croyez-vous vraiment qu’il soit possible de s’épanouir dans la plainte ?
4) Que se passerait-il pour vous si vous osiez énoncer clairement vos limites ?
Pour sortir de ce mauvais rôle de Persécuteur, tentez de répondre honnêtement aux questions suivantes :
1) Votre propension à la domination cache un besoin, pouvez-vous l’exprimer clairement ?
2) Qu’est-ce qui est si douloureux pour vous dans le fait d’avoir un problème et d’en convenir ?
3) Etes-vous certain(e) que le jeu de Persécuteur ne se retourne pas contre vous ?
Après avoir répondu à ce questionnaire, sans doute êtes-vous maintenant convaincu que la grande majorité d’entre nous joue des rôles S.V.P.
Pourtant ces rôles nous mettent en porte-à-faux vis-à-vis de nous-mêmes comme vis-à-vis des autres, ils nous usent et nous mènent au burn-out.
Ils peuvent également être des obstacles qui nous empêcheront d’aider les personnes qui ont légitimement besoin d’aide et le demandent.
Maintenant que vous en savez un peu plus sur vous-même, regardons ensemble en détail les caractéristiques de chaque rôle qui compose cette triade S.V.P.
Le SAUVEUR :
Déguisé en conseiller, en justicier ou en protecteur, il croit que le monde a besoin de lui et cherche à aider alors même que l’autre ne demande rien, il place donc l’autre en incapacité. Il souffre de la souffrance de l’autre (parce qu’il s’identifie à lui), il le prend en pitié en lui apportant une aide inefficace (alors même qu’il agit avec une bonne intention) parce qu’il prend garde de ne pas vérifier le désir réel de l’autre. Son but inconscient est d’entretenir la Victime dans son rôle afin de rester dans le sien dans lequel il se sent briller. En faisant « à la place » de l’autre, il crée donc de la passivité et de la dépendance pour se faire du bien. Mais souvent il s’épuise, finit par s’irriter et se transforme en Persécuteur… victime de l’agressivité de la Victime-Persécutrice.
Son problème caché : Il tente de recevoir quelques miettes de reconnaissance parce qu’il en manque… mais il a peur de faire de la peine en imposant des limites. Il accumule donc les rancœurs, culpabilise et ne sait pas ne pas en faire trop et s’épuiser en pure perte.
La VICTIME :
Le rôle de Victime (parce qu’il attire l’attention sur lui) est très prisé, on se l’arrache car il apporte des bénéfices secondaires de reconnaissance. Parce qu’elle ne veut pas de l’aide qu’elle demande (qui lui ferait abandonner son rôle), la Victime s’arrange pour se plaindre auprès de personnes qui, le plus souvent (bien sûr), n’ont pas la compétence pour l’aider. Ainsi elle apitoie (le Sauveur), et attire inconsciemment la brimade et les critiques (du Persécuteur).
Son problème caché : La Victime a honte et manque de confiance en elle. Elle a peur d’exister par elle-même, de s’affirmer et accumule ainsi les rancunes. Elle a aussi souvent peur de manquer, de perdre, d’échouer ou d’être abandonnée. Pleurs, incrédulité, révolte, rancœurs sont ses modes d’expression.
Le PERSECUTEUR :
Parce qu’il cherche à se libérer de ses pulsions, il fait preuve de colère, de sévérité, d’agressivité. Il attaque, infériorise, ordonne, dévalorise, critique, fait la morale et provoque la rancune des autres en triomphant. Il s’arrange pour ridiculiser, ironiser et attaquer la Victime ou le Sauveur « par en dessous » en les culpabilisant s’il le peut.
Son problème caché : Il craint essentiellement de montrer sa vulnérabilité et sa frustration, il tient à ce que les autres pensent qu’il n’a pas de problème, qu’il est fort. Il cherche donc à dominer l’autre et pense en termes de rapport de force, puisqu’il vit dans la peur secrète d’être démasqué. Il cherche donc inconsciemment à se venger de sa frustration, en passant dès que possible du statut de victime à celui de bourreau.
Un exemple pris dans le contexte professionnel :
- Ce conseiller à l’emploi est bien ennuyé, c’est la seconde fois que l’usager qu’il doit rencontrer ne vient pas au rendez-vous qu’il lui a fixé et ceci sans décommander. Il veut conserver l’image d’une personne aidante donc ne lui fait aucune remarque et gère comme il peut son emploi du temps perturbé. En s’abstenant de faire une remarque à l’usager, il ne respecte ni l’usager ni lui-même. Il se conduit ainsi en Sauveur et pense intérieurement : « Le pauvre, il a assez de problèmes comme cela…
- Cet usager est particulièrement déprimé et aigri d’avoir perdu son emploi. Il ne dit pas à son conseiller à l’emploi que quand il prend rendez-vous avec lui c’est « pour lui faire plaisir ». Puisqu’il pense inconsciemment de lui-même qu’il ne vaut pas grand-chose, il se dit qu’il n’a aucune chance de retrouver du travail et vit ce conseiller comme un obstacle à sa liberté. Il se présente donc en Victime (qui manquera les rendez-vous pris) et qui cherche un Sauveur… ou un Persécuteur.
- Cet autre conseiller à l’emploi est lui aussi souvent la victime d’usagers qui ne viennent pas aux rendez-vous convenus. Depuis des années qu’il fait ce métier, il prend sur lui-même pour ne pas exploser et se répète intérieurement : « les gens se foutent du monde ». Lors de ses entretiens avec eux, il ne perd jamais l’occasion de leur faire la morale et de les culpabiliser en leur répétant que s’ils manquent à un rendez-vous, c’est parce qu’ils ne veulent pas retrouver de travail. Il se présente ainsi comme un Persécuteur.
Vous comprenez facilement que ces histoires n’en resteront pas là… et que quand ces personnes se rencontreront, leurs rôles se télescoperont, s’inverseront.
C’est ainsi que si nous ne nous sommes pas lucides par rapport à la manière dont les autres entrent en relation avec nous, ni nous-mêmes avec eux, nous avons toutes les chances de tomber dans les pièges inconscients que les autres et nous-mêmes tendons.
Pour pouvoir assainir notre relation aux autres, n’est-il pas utile de voir de près comment nous nous y prenons avec eux ?
ALORS, COMMENT SORTIR DE CES RÔLES ? OU PLUTÔT NE PAS Y ENTRER ?
Pour détecter notre entrée dans le « triangle dramatique », il faut :
1. Comprendre pourquoi nous avons besoin d’y entrer :
Guy Corneau (2) nous explique : « Nos rôles reposent sur des besoins frustrés qui sont eux-mêmes articulés sur des blessures (…) Ces blessures viennent du passé : elles ont été infligées par des événements qui ont dû se répéter puisqu’il y a eu formation d’un programme inconscient. »
Parce que le passé non résolu continue de vibrer à l’intérieur de nous, nous attirons involontairement ce que nous ne voulons pas.
2. Comprendre comment nous nous y prenons pour y entrer :
Pour survivre à l’intolérable, nous nous identifions à l’un de ces trois rôles, c’est-à-dire que nous devenons dupes de la nature de la réaction intérieure qui nous anime.
Seule notre capacité à poser un regard lucide sur nous-même peut nous permettre de sortir de cette mécanicité qui nous rend esclave de nos blessures anciennes. Car c’est en reconnaissant les origines de nos comportements… que nous pourrons agir dessus.
Pour sortir du « triangle dramatique » dans la pratique d’une relation d’aide à soi-même :
1) Trouvez une situation à la fois problématique et répétitive qui entraîne pour vous un vécu difficile.
2) Notez les gratifications inconscientes qui sont attachées à vos comportements (bénéfices cachés donc « non avoués » de vos comportements compulsifs et contraignants de Sauveur, Victime et/ou Persécuteur.)
3) Trouvez comment vous pourriez échanger ces récompenses contre d’autres réellement gratifiantes.
Accepter de voir qu’il y a des bénéfices cachés dans ce qui nous détruit, c’est prendre conscience que nous sommes attachés à ce dont nous prétendons vouloir nous débarrasser. Cela est thérapeutique et pacificateur, parce que cela nous aide à découvrir qu’il ne s’agit pas de se juger, mais de se regarder agir avec bienveillance (comme un grand-père regarderait jouer ses petits enfants.)
Pour ne pas entrer dans le « triangle dramatique » dans la relation d’aide aux autres, il faut :
1) Avoir personnellement soigné ses blessures passées.
2) Avoir le désir de respecter l’autre et d’être empathique.
3) Être « adulte » donc lucide et conséquent, c’est-à-dire ne pas entreprendre ce qui ne nous est pas demandé.
Pour ce faire, répondre aux 5 questions suivantes avant d’agir peut nous aider :
1) Y a-t-il un besoin explicite – donc une demande clairement formulée – chez celui que nous nous proposons d’aider ? (Afin de ne pas risquer de le sauver malgré lui.)
2) Qu’est-ce que – précisément – l’autre attend de moi ? Pour cela écouter et questionner afin de cadrer précisément la demande et ses limites. (Et ne pas proposer ou donner ce qui n’est pas demandé.)
3) Ai-je la compétence nécessaire pour aider dans ce cadre ? Se souvenir que nous ne devons à personne ce que nous ne pouvons pas faire ou être (que nos compétences sont nécessairement limitées), nous permettra de ne pas être un Sauveur déçu, contraint de se transformer en Persécuteur, parce qu’il se sent Victime.
4) Ai-je vraiment la disponibilité de faire ce que l’on me demande ? Donc recadrer la demande dans le temps et l’espace. (Afin de ne pas devenir une Victime.)
5) En ai-je véritablement envie ? En ai-je le goût ? Sinon je me ferai rattraper par la situation et rentrerai dans le « triangle dramatique » en me plaignant. Cela implique donc que je ne me laisse pas manipuler par la culpabilité ou la peur de déplaire aux autres. Le Sauveur n’est que la Victime de lui-même.
En guise de conclusion :
« Celui ou celle qui a un penchant pour le sauvetage devrait s’entraîner à répondre ceci aux Victimes qui croisent sa route (après les avoir écoutées avec respect et compassion) : « Mon Dieu ! C’est terrible ce qui t’arrive ! Qu’est-ce que tu penses faire, dans la situation ? » Il renvoie ainsi la Victime à sa responsabilité. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne l’aidera pas, à condition que celle-ci formule une demande claire. La faiblesse du Sauveur (ou de la Sauveuse) vient de ce qu’il se précipite au-devant de la Victime en disant : « Mon Dieu ! C’est terrible ce qui t’arrive… Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » – quand il prend la situation en charge sans même attendre la réponse, c’est ça qui trahit son problème personnel. » (2)
Pour sortir de ces jeux maléfiques, il nous faut avoir le courage de ne plus nous mentir à nous-mêmes, donc de ne plus nous justifier à nos propres yeux par des excuses qui ne servent qu’à nous entretenir dans l’inconscience la plus totale des jeux que nous menons avec nous-mêmes et les autres.
Ne serait-il pas plus simple et moins épuisant pour nous dans nos relations – avec nous-mêmes et les autres – de prendre le risque de notre vérité, en partageant, quand nous l’estimons nécessaire, nos sentiments et ce que nous pensons ?
Car oser être soi-même c’est se souvenir que puisque chacun est différent, il ne nous est pas possible de ne pas être parfois la cause indirecte des problèmes et des difficultés des autres.
Notes :
(1) Thomas d’Assembourg, « Cessez d’être gentil, soyez vrai », Éditions de l’homme, 2001, dont je ne saurai trop vous recommander la lecture.
(2) Guy Corneau, « Victime des autres, bourreau de soi-même », Éditions Robert Laffont, 2003.
© 2010 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.
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