…puisque c’est toujours de la faute des autres !
– Réflexion sur notre prétention –
Le paquet de biscuits
Peut-être connaissez-vous l’histoire de cette femme qui, devant attendre un long moment l’heure de son vol dans un aéroport, décide de s’acheter un roman ainsi qu’un paquet de biscuits.
Elle s’assoit dans la salle d’attente pour lire son livre.
A côté du siège où se trouve le paquet de biscuits, un homme parcourt un magazine.
Elle prend alors un premier biscuit et – à son grand étonnement – l’homme fait de même.
Elle se sent agacée par son comportement mais, n’osant rien dire, elle se contente de penser : « c’est incroyable, il ne manque pas de culot celui-là ! »
A chaque biscuit qu’elle prend, l’homme en prend un à son tour.
Ça la met dans tous ses états, mais elle ne dit rien.
Lorsqu’il ne reste plus qu’un seul biscuit dans la boite, elle se dit : « Il va quand même pas oser manger le dernier, cet abruti ! »
L’homme prend alors le dernier biscuit, le casse en deux et lui en tend la moitié.
C’en est trop, quel culot ! Hors d’elle, elle hausse les épaules, prend ses cliques et ses claques et part en trombe vers son guichet d’embarquement.
Enfin installée dans l’avion, elle ouvre son sac à main pour y prendre ses lunettes et – à sa grande surprise – elle découvre son paquet de biscuits, intact.
Cette histoire, nous l’avons tous vécue à notre manière ; elle parle de notre inconscience, de notre absence complète de lucidité par rapport à ce que nous faisons, de notre distraction et de la manière dont – enfermés en nous-mêmes – nous nous permettons d’interpréter les faits et gestes des autres. Elle parle de la manière dont nous sommes persuadés que nous comprenons les comportements des autres alors que nous projetons nos propres incompréhensions, nos propres émotions sur eux.
Il y a quelques jours, par exemple, je m’indignais intérieurement de ce que je prenais pour une erreur dans le programme télé alors que c’était moi qui m’étais trompé et qui avais pris par inadvertance celui de la semaine précédente.
La plupart du temps – incapables de nous remettre en cause – nous n’accordons aucune importance à ce phénomène d’enfermement – alors qu’il est à l’origine de bien des incompréhensions et de bien des conflits entre les personnes.
Pourtant notre parfait aveuglement, notre inconscience totale, le véritable tour de passe-passe que nous nous jouons à nous-même ne nous exonèrent évidemment pas de la complète responsabilité qui est la nôtre vis-à-vis des autres.
Dans l’évidente certitude dans laquelle elle était enfermée d’avoir ouvert son propre paquet de biscuits, cette femme n’a pu que révéler l’étroitesse de son jugement sur son voisin de salle d’attente. Pire, quand il lui a offert la moitié du dernier biscuit de son paquet à lui, elle s’est verrouillée dans sa supériorité arrogante, incapable de douter d’elle-même au moment où son interlocuteur montrait, à qui était capable de le voir, à quel point il était bienveillant et avait l’attitude opposée à la sienne.
Enfermés dans le cercle vicieux de nos certitudes, dans l’assurance de notre supériorité et de notre toute puissance, nous ne remettons pas en cause les jugements, les interprétations que nous portons sur les autres, à longueur de journées.
Il nous suffit de nous mettre à l’écoute de nous-mêmes pour trouver nos propres exemples de jugements sans fondements que nous avons porté et portons sur les personnes que nous ne faisons que croiser et dont nous ne savons rien : celui-là est vraiment trop gros, celle-là a une coiffure épouvantable et s’habille n’importe comment, cet autre a le regard mauvais ou a l’air abruti… C’est à l’infini. Nous n’arrêtons pas.
Comme dans l’exemple du paquet de biscuits, nous avons besoin de nous prendre en flagrant délit pour reconnaître que nos jugements hâtifs sont complètement subjectifs, donc faux, et qu’ils ne parlent en vérité que de nous.
La prétention dans le couple
Je suis souvent frappé de constater (notamment dans les commentaires aux articles portant sur les relations amoureuses de mon site) à quel point beaucoup de personnes semblent être certaines de l’interprétation qu’elles font des comportements de ceux qu’elles prétendent aimer sincèrement.
C’est ainsi qu’une femme, frustrée par l’attitude de son conjoint, m’écrivait récemment : « J’ai cherché du côté des problèmes que rencontrait mon compagnon ce qui pouvait expliquer son comportement inapproprié à mon égard. Je n’ai rien trouvé de suffisamment grave pour le justifier. Il a un travail qui le passionne, prenant mais pas trop stressant, de bonnes relations avec ses collègues et supérieurs, des amis sincères, une famille unie et très présente pour lui, pas de problèmes de santé ni de couple à priori. » Et elle concluait donc très sérieusement : « Son agressivité est donc gratuite envers moi. »
Logique, puisque je suis irréprochable, c’est obligatoirement de la faute de l’autre quand quelque chose ne va pas entre nous.
Elle poursuivait en m’expliquant : « Le comportement de mon compagnon est particulièrement difficile à analyser car quand il n’est pas contrarié, il est charmant. » Enfermée dans son point de vue à elle, elle ne percevait pas qu’elle énonçait un truisme.
Ainsi en est-elle arrivée à me demander, sans voir qu’elle était en pleine projection : « La vraie question c’est de savoir si son attitude est modifiable suite à une prise de conscience ? Cela a- t-il à voir avec un manque d’humilité de sa part ou avec un sentiment de supériorité ? »
Alors que – ne répondant pas à sa question – je tentais de lui faire sentir qu’ils avaient besoin de se parler « le cœur ouvert » tous les deux, elle me répondit, certaine d’avoir tout analysé objectivement et de détenir la vérité :
« Nous avons déjà parlé il y a trois mois. A l’époque je pensais que son comportement venait d’une petite période où je n’étais pas très tranquille à cause d’un problème personnel et qui aurait pu lui faire perdre un peu confiance en moi et en notre couple. J’ai donc fait en sorte de lui redonner confiance en chassant mes soucis et en redevenant la personne calme, souriante, affectueuse et indépendante qu’il connaît. Je me rends compte à présent que je ne suis pas au cœur du problème. Son stress n’a rien à voir avec moi mais j’en subis les dommages collatéraux, j’ai presque l’impression que plus je suis gentille avec lui, plus il est désagréable. »
Cette personne ne semble pas se douter qu’elle a un inconscient et qu’en s’employant à redevenir une compagne modèle et irréprochable, en « chassant ses soucis » (comme s’il était possible de s’adresser à eux pour leur dire de partir) et en se persuadant être redevenue la personne « calme, souriante, affectueuse et indépendante qu’il connaît », elle s’oblige à inhiber ses émotions, donc renforce sa contrariété. Dans son aveuglement, en voulant se présenter sous un jour irréprochable, elle obéit sans doute aux injonctions de son enfance, elle nie les émotions qui l’animent et qui ne peuvent qu’influer en retour sur sa relation de couple donc sur les comportements de son compagnon.
Elle va même jusqu’à partager son propre malaise quant à son impuissance (dont elle attribue injustement la cause à l’autre : « Le problème n’est pas seulement son agressivité, c’est aussi que je ne peux rien faire pour la désarmer », affirmant toujours sans preuve que l’agressivité de son compagnon est « indépendante » de son comportement à elle.
Elle se perd alors en conjectures et – sans vérifier ses hypothèses – partage un jugement sur son compagnon sous la forme d’un diagnostic : « certainement un manque d’empathie ou une forme de narcissisme » parce que ses marques d’impatience à son égard, ses exaspérations sans raison, ses réponses sèches lui apparaissent à elle comme gratuites.
Se prenant pour une entomologiste, elle scrute l’objet de son expérience sans avoir conscience que son regard d’observatrice participe intimement à l’observation qu’elle fait.
Si – par exemple dans mon couple – alors que je me suis senti heurté par une remarque de ma femme et que je lui demande de me comprendre plutôt que de me juger, je ne fais rien d’autre que de lui reprocher d’être comme elle est en faisant avec elle ce qu’elle vient de faire avec moi.
En fait, plutôt que de gérer moi-même – comme un adulte – mon émotion, je reproche à l’autre d’avoir ressenti le besoin de me faire une remarque sous le prétexte qu’elle m’a blessée. Or même si j’en souffre, l’autre a toujours été « comme il a été », le lui reprocher ne fait que d’ajouter une seconde souffrance (l’expression de la mienne) à une première souffrance (l’expression de la sienne). Ce n’est donc certainement pas une aide à la relation.
Chaque fois que je demande à l’autre de changer (pour moi), je fais une double erreur : je déplace le problème sur lui (alors que c’est moi qui ai le problème), et j’oublie que ne peut changer que la personne elle-même si elle en a le désir (et une détermination à toute épreuve).
C’est toujours plus facile de penser que c’est l’autre qui a le problème, c’est une manière de s’abriter en ne voulant pas se remettre en cause. Naïvement mon interlocutrice me demande : « Pensez-vous que mon compagnon puisse se défaire de son agressivité ou vais-je toujours être soumise à ses sautes d’humeur ? Une psychanalyse l’aiderait certainement mais combien d’années faudra-t-il que j’attende avant qu’il ne guérisse ? »
On pourrait lui répliquer : pourquoi voulez-vous que l’autre change pour votre bon plaisir ? N’est-ce pas vous qui avez décidé de vivre avec lui ? Vivre avec l’autre n’est-il pas vivre avec lui pour le meilleur comme pour le pire ? D’où vient l’idée infantile selon laquelle le meilleur nous apparaît comme normal et le pire comme illégitime ?
A l’issue de son partage, elle a fini par se dévoiler en me confiant : « Je l’aime sincèrement mais je sais déjà que si son comportement ne change pas rapidement, je le quitterai. »
Nous y sommes : si l’autre ne s’adapte pas à moi, je le quitte parce qu’il doit répondre à mes besoins. Ne sommes-nous pas loin de l’amour sincère ? Et pourtant cette femme est persuadée qu’elle aime sincèrement !
En fait, nous l’avons compris, cette femme est trop occupée par elle-même pour pouvoir aimer vraiment son compagnon, elle triche inconsciemment avec elle-même pour se trouver de bonnes raisons de le quitter et apaiser ainsi sa mauvaise conscience à le faire – de peur de se remettre authentiquement en cause – car elle a déjà pris sa décision.
Ce serait comme si la femme au paquet de biscuits – de peur de rencontrer son ombre – préférait rester dans le déni en cachant à sa propre vue le paquet de biscuit qu’elle venait de trouver dans son sac.
Notre hypocrisie et notre prétention sont confondantes quand nous refusons de voir la réalité des choses telles qu’elles sont. Quand c’est trop difficile pour nous de nous remettre en cause, nous préférons fuir ou nous réfugier dans le déni, ce qui revient à dire que quand nous nous laissons mener par des mécanismes que nous ne voulons pas voir en plein jour, nous sommes inconscients et rejetons la « faute » (en fait, ce qui nous gêne, nous) sur les autres.
Mais quand il nous arrive, parce que c’est trop flagrant à nos propres yeux (comme dans l’exemple du paquet de biscuits), de constater que nous nous sommes trompés, que nous avons interprété et projeté (donc que nous avons été parfaitement subjectifs), il nous devient possible de VOIR en face le mécanisme à l’œuvre. Ce qui est une grande chance et un choc salutaire.
A ce moment-là, notre prétention peut tomber et c’est extrêmement libérateur.
© 2018 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.
30/01/2023
Merci Diane de m’avoir envoyé cette petite vidéo qui illustre à merveille cette histoire :
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Avertissement aux lectrices et aux lecteurs :
Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)