Continuer à voir un ex empêche-t-il de faire le deuil de l’amour passé ?

Question de Valentine :

Enseignante

Je suis tombée sur votre article sur le deuil*, alors que je cherchais sur Internet des éléments pour m’aider à faire le deuil de mon premier amour. J’ai 31 ans, nous avons rompu quand j’en avais 22, après 6 ans de relation amoureuse. La douleur s’est ravivée récemment quand, après deux ans de silence radio, il a demandé à me voir pour m’annoncer qu’il allait avoir un enfant, et me demander que notre relation puisse se développer en amitié. L’histoire est donc ancienne, mais la douleur parfois encore vive, et je m’interrogeais sur ma capacité à tourner la page sereinement.

Même si je suis un peu hors sujet, je me permets de vous écrire d’abord pour vous féliciter pour l’intelligence de votre texte, ensuite pour vous exprimer le réconfort qu’il m’a apporté, et enfin, pour vous soumettre une petite question.

J’ai été particulièrement interpellée par la distinction que vous faites en préalable entre l’amour et l’amour-attachement. Je pense que méditer là-dessus m’aidera à faire la part des choses entre les beaux moments qu’on a eu ensemble et le sentiment bienveillant (faut-il parler d’amour ?) que je lui porte encore, et cette incommensurable blessure et déception que je porte en moi depuis la rupture durant laquelle il s’est comporté avec moi comme un lâche. Ce dernier épisode, celui de la rupture, me procure un sentiment d’abandon (amour-attachement), mais heureusement aussi, un profond mépris qui suffit à me vacciner contre toute nostalgie de cette relation.

Pour la suite de cet article, je n’ai pas vraiment pu me reconnaître… En effet – je dirais presque « malheureusement » – mon ex n’est pas mort, et je suis devant le dilemme de choisir de continuer à le voir ou ne plus le voir. C’est précisément ma question. Continuer à voir un ex empêche-t-il de faire le deuil de l’amour passé ? Ne vaut-il pas mieux tout simplement renoncer à la personne aimée, faire comme si elle était morte ? Quelle différence feriez-vous entre le deuil d’une personne décédée et le deuil d’un amour parti ? Ne voudriez-vous pas écrire quelque chose là-dessus ? Je suis partagée entre la colère que j’ai vécue lors de la rupture, la tristesse d’avoir perdu un ami, la blessure narcissique de n’avoir plus été aimée par amour, l’indifférence par rapport à cet vieille icône ressurgie du passé à laquelle j’ai trop pensé et dont le souvenir parfois me fatigue… Toutes ces étapes que l’on décrit habituellement dans le deuil, j’ai l’impression que je les ressens simultanément. Je suis partagée entre le désir de dépassionner mes sentiments vis-à-vis de cet homme qui effectivement pourrait être un bon ami sans être amant, et la peur d’être manipulée dans une relation dans laquelle je ne maîtrise rien…

Merci d’avance de votre réponse. Et merci pour ce site, que je vais prendre le temps d’explorer.

*Il s’agit de « Le travail de deuil »

Ma réponse :

Vous l’avez rencontré à 16 ans, vous avez rompu à 22 ans. 9 années se sont écoulées et depuis 2 ans maintenant – après 7 ans de silence – il vous sollicite à nouveau…

Il est intéressant de constater que votre ancien amour a souhaité renouer amicalement avec vous au moment où il a eu un enfant. La relation qu’il souhaite avoir avec vous tient compte de ses besoins à lui, elle semble nullement tenir compte de la nature de la relation passée (et douloureuse) que vous avez eu avec lui. Focalisé sur son besoin, il n’a vraisemblablement pas envisagé que sa demande puisse raviver une blessure ancienne chez vous.

De votre côté, n’ayant pas fait votre deuil de cette relation passée, vous êtes divisée entre l’opportunité qui vous est offerte d’avoir les « miettes » d’une relation amicale, et le désir de réinvestir dans une relation amicale incapable d’assouvir votre besoin qui trouve l’origine de sa dynamique dans un passé non apaisé.

Bien sûr, c’est de vivre dans le passé qui nous rend incapables de pouvoir apprécier le présent à sa juste mesure. Comment ne plus vivre avec un passé pesant dans le cœur ? En osant, dans la fidélité à soi-même, s’ouvrir à toutes les étapes du deuil qui mènent à l’acceptation donc à la paix.

Faire, là encore, la distinction entre l’amour et l’amour-attachement peut vous y aider. L’un donne et libère, l’autre veut prendre et aliène.

Pourquoi répondriez-vous favorablement à sa demande d’amitié ? Serait-ce par amour ou par nostalgie du passé ? Que pouvez-vous attendre aujourd’hui de cette relation ? Que pourriez-vous lui donner ? Quel amour seriez-vous vraiment capable de lui donner, en toute lucidité avec vous-même ? Donc que pourriez-vous lui donner qui ne serait pas conditionné par votre besoin d’être encore aimée par lui (besoin qui n’exclut en rien votre ressentiment) ? Etes-vous capable de voir la réalité en face ? N’a-t-il pas fait un enfant à une autre femme ? Comment vous voit-il donc ? Etes-vous tenue de vous résigner au rôle qu’il souhaiterait vous voir jouer auprès de lui ? En fait que voulez-vous obtenir de cette relation amoureuse qui n’est plus ? Ne seriez-vous pas entrain de confondre (dans le trouble qui vous a amené à m’écrire) ce qui est avec ce qui a été ?

S’engager à aimer, c’est prendre le risque de l’autre donc devoir être « beau joueur » si par hasard l’autre ne reste pas fidèle à ce qu’il a été, parce qu’on ne veut pas souffrir éternellement. Dans un tel contexte, certains êtres pourront – parce qu’ils n’ont pas accepté la fin d’une relation qui a vécu – tenter de s’accrocher désespérément à des restes. C’est ainsi qu’ils deviendront incapables (parce que non disponibles) de saisir leur chance dans une nouvelle relation vivante et sacrifieront leur vie présente sur l’autel d’un passé fantasmé parce que mort.

Je comprends bien ce que je prends chez vous comme un cri d’une souffrance non apaisée : « malheureusement – mon ex n’est pas mort ». S’il n’était plus de ce monde , paradoxalement, cela vous permettrait de ne plus avoir besoin de choisir votre attitude en réponse à sa sollicitation. Cela vous permettrait de faire l’économie de vous-même. C’est certainement la raison pour laquelle il est plus facile aux personnes de faire leur deuil quand elles ont vu le corps du mort. Un amour qui n’est plus partagé n’a pas de « corps mort » à constater et c’est ce qui laisse la place aux fantasmes de notre toute puissance (puisqu’il est toujours en vie j’ai toujours l’espoir de la possible reconquête.) Pourquoi est-ce si difficile pour vous de choisir ? Parce que vous êtes dans la nostalgie de ce qui n’est plus. Le deuil de la relation serait fait, le choix quel qu’il soit, ne vous poserait pas problème, il serait facile pour vous d’y répondre, positivement ou négativement.

Vous avez la lucidité de constater que dans cette relation vous ne « maîtrisez rien », ce qui est vrai puisque vous en restez dépendante dans votre besoin que l’autre ne soit pas comme il est. Alors que faire ? Vous me posez la question : « continuer à voir un ex empêche-t-il de faire le deuil de l’amour passé ? » Pourquoi voudriez-vous continuer de le voir ? Si nous accédons à la demande d’autrui, c’est toujours parce que nous y trouvons un avantage. Que voulez-vous ? Quel avantage trouver en essayant de faire perdurer quelque chose qui n’est plus ? Ne serait-ce pas, coûte que coûte, tenter de maintenir une relation sur la base d’un déni de réalité ? Que pourriez-vous en attendre ? Vous racontez-vous que vous voulez créer une relation nouvelle ? En êtes-vous capable ? Est-il possible de créer une relation nouvelle sur la base de la dépendance ?

Répondre à ces questions peut-être pour vous douloureux, mais souvenez-vous que faire son deuil c’est « traverser » sa douleur, l’assumer et non pas la cacher en se racontant des histoires à soi-même.

Vous dites porter en vous, une « incommensurable blessure et déception. » Je ne suis donc pas aussi certain que vous le dites, que vous soyez « vaccinée contre toute nostalgie de cette relation », s’il y a déception, il y a demande, ne préjugez pas de votre avancement sur votre propre parcours puisque votre parcours n’est pas achevé.

Ne serait-il pas intéressant pour vous d’aller voir dans une direction que vous ne semblez pas avoir explorée ? Chacun de nous avons plus ou moins de difficultés avec l’impermanence des êtres et des choses. Nous oublions bien vite la dualité des choses, nous oublions que « donner la vie, c’est donner la mort », qu’une porte d’entrée est aussi une porte de sortie et qu’entrer en relation avec un être c’est aussi – un jour – devoir perdre, d’une manière ou d’une autre, cet être. (La relation – elle – est éternelle, comme l’amour puisqu’elle est portée par le cœur.)

Donc je vous invite à vous questionner : « qu’est-ce qui dans mon histoire personnelle m’aurait tant blessé, qu’aujourd’hui encore cela m’empêcherait de me résoudre à l’inéluctable ? » Etes-vous toujours cette jeune fille de 16 ans qui est tombée amoureuse ? Cette jeune femme de 22 ans qui vit la rupture ? Pourquoi continueriez-vous ce bras de fer contre l’évidence ? Qu’est-ce qui maintient votre regard tourné vers le passé ? Qu’est-ce qui à l’intérieur de vous, vous interdit toujours de faire ce deuil ? Quel est cet idéal que vous voulez maintenir au prix (si élevé) de votre propre souffrance et qui vous ferait vouloir maintenir à tout prix une relation pourtant, selon vos propres termes, « déçue par un lâche » ?

C’est à mon sens dans cette direction que vous pouvez aller voir si vous avez le désir d’avancer dans le deuil encore à faire de cet amour déçu. C’est cela qui vous aidera, sans doute, à mettre de l’ordre dans ce que vous avez déjà identifié en vous comme contenant à la fois de la colère, de la tristesse, une blessure narcissique et la naissance d’une certaine indifférence.

© 2007 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.


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Benjamin

Bonjour, Merci pour votre partage. Je suis un homme de 32 ans. J’ai vécu entre mes 23 et 30 ans une relation avec une jeune femme. Relation très fusionnelle. Tous les deux avons eu des enfances difficiles avec séparation ou abandon parental. Cette relation avait beaucoup de hauts et de bas et ma compagne était assez instable (moi aussi certainement). C’était difficile de gérer facilement les conflits et j’insistais beaucoup à l’époque pour qu’elle fasse une thérapie afin d’en finir avec ses démons, ce qu’elle n’a pas fait à l’époque. De plus notre sexualité s’est peu à peu dégradée. Tout… Lire la suite »