- Apprendre à distinguer l’amour de l’attachement.
- La condition préalable au deuil.
- Quelle est la nature du deuil ?
- Les 4 tâches du deuil.
- Les 6 principaux obstacles au deuil.
- Quelques conseils pour apporter notre soutien à une personne en deuil.
Avertissement :
Quand on parle de “travail de deuil”, certaines personnes pensent qu’il s’agit exclusivement du travail à faire lors du décès d’une personne qui nous est chère. Ne nous méprenons pas, ce travail de deuil est, ici maintenant en cours pour nous, dans absolument tous les domaines de notre existence.
Le travail de deuil est la manière dont nous nous y prenons pour gérer la perte. Perte d’un être cher, mais aussi perte d’un animal, d’un objet, de notre jeunesse ou d’une illusion, perte de ce que nous aimions et qui est passé, révolu, inexorablement.
Parce que dans ce monde, la seule loi qui ne soit pas soumise au changement est que tout change sans cesse, cela peut nous intéresser, nous être profitable de réfléchir sur le travail de deuil.
Si le deuil est le processus qui va nous permettre de reprendre le cours d’une vie momentanément troublé par une perte, il paraît difficile de parler du deuil sans devoir évoquer ce que nous avons peur de perdre, c’est-à-dire ce à quoi nous sommes attachés.
Nous pouvons remarquer que nous ne sommes jamais conscients d’avoir perdu quelque chose ou quelqu’un qui nous laisse indifférent et que, bien évidemment, dans ce contexte, nous ne souffrons pas. Pas d’attachement, pas de souffrance. A l’inverse, c’est parce que nous accordons de l’importance à une chose ou à un être que nous regrettons de l’avoir perdu, donc que nous souffrons plus ou moins de sa perte.
C’est pourquoi certains diront – sans approfondir – qu’aimer, c’est se condamner à souffrir. Je me souviens de ce vieil ami de mes parents, en fin de vie, à qui je m’étais permis de demander pourquoi il n’avait jamais eu personne dans sa vie pour prendre soin de lui et qui me répondit dans un sourire rempli de nostalgie… “Il y a très longtemps, j’ai aimé une jeune fille et cela s’est mal passé.” Il m’expliqua que depuis lors, il s’était toujours arrangé, par crainte de souffrir, pour mettre de la distance entre lui et les autres. Victime de la croyance que l’amour est lié au chagrin, il n’avait plus jamais osé se mettre en état d’aimer.
Pour ceux, et ils sont nombreux, qui ont osé aimer, le travail de deuil est-il vraiment possible qui leur permettrait de traverser ce désert de souffrance, pour reprendre le cours de la vie ? Communément, on parle de ceux “qui l’ont fait” et de ceux qui – même des années après – “ne l’ont toujours pas fait”, qu’en est-il exactement ?
Pour mieux comprendre “comment ça marche”, nous commencerons par tenter de distinguer l’amour de ce que nous appellerons “l’amour-attachement.” Puis nous réfléchirons sur la nature du deuil et sur ce qui nous empêche de le faire, enfin nous envisagerons la manière de le faciliter à ceux qui ont besoin de le faire ?
Idéalement, l’amour aime sans rien attendre en retour. Une mère aime son enfant, que celui-ci la regarde avec des yeux remplis d’amour ou se roule par terre en criant de fureur. Elle sent que c’est son enfant et elle l’aime. Que le comportement de l’autre me donne satisfaction ou pas, si je l’aime, je l’aime. L’amour, idéalement, n’attend pas la réciprocité, il est un sentiment intime et inconditionné qui émane de nous indépendamment de ce qu’est l’autre, il ne met pas l’autre en cage, il le laisse être ce qu’il a choisi d’être.
L’amour-attachement lui, est relatif au sentiment de bien être que l’autre nous apporte, donc à l’intérêt qu’il nous porte. L’amour-attachement est contraint par la réciprocité, c’est du donnant, donnant. En fait il est l’illusion de celui qui, aveuglé par son besoin d’être aimé, confondant la demande et l’offre, croit qu’il aime alors qu’il mendie de l’amour. Ainsi l’amour-attachement est variable, il change au gré des circonstances et est conditionné par nos émotions : l’autre m’aime (c’est merveilleux parce que j’ai besoin d’être aimé) donc je l’aime et s’il ne m’aime plus… je le désaime parce que mon sentiment est conditionné par le sien. L’amour-attachement est en fait une forme de commerce. Dans le meilleur des cas, après nous être mis d’accord sur le prix, nous échangeons. Dans le pire des cas, sans avoir pensé à nous mettre préalablement d’accord sur le prix, nous en voulons à l’autre et avons le sentiment de nous être fait voler. Car, au contraire du véritable amour qui n’attend rien, ne possède rien, l’amour-attachement est une tentative de possession de l’autre.
Qui – dans ce contexte – pourra prétendre aimer ? Notre amour est plus ou moins “attaché”, conditionné par nos besoins. Plus nous sommes frustrés, plus nos besoins sont importants, plus nous sommes contraints de mendier. A l’inverse, plus nous sommes libres de nos besoins, moins nous en sommes dépendants, plus nous sommes capables d’amour, c’est-à-dire capables de nous ouvrir inconditionnellement à l’autre tel qu’il est.
Connaître ses besoins, être capable de les évaluer lucidement est donc à la base de notre capacité à aimer l’autre. C’est en fin de compte devenir peu à peu capable de faire la part des choses entre ce que nous pouvons donner (de bon cœur) et ce que (pour le moment) nous gardons : nos limites. Nous y prenant ainsi nous sommes libres de l’amour que nous donnons. Par exemple, si au fond de mon cœur d’époux et de père, je me sens libre de la concession que je fais à ma femme et à mes enfants d’aller en vacances au bord de la mer plutôt que d’aller en vacances à la montagne comme je le souhaiterai, je n’éprouverai jamais de frustration. Si, au contraire, je le fais par contrainte, par souci d’échange et de commerce, parce qu’il faut bien leur faire plaisir, à la première difficulté relationnelle venue, je leur ferai savoir que puisque j’ai fait un effort pour eux, j’estime que c’est la moindre des choses qu’ils en fassent un pour moi… donnant, donnant. Et c’est toujours sur la base de ces expériences malheureuses que nous nous refermons à l’autre, que nous refusons l’ouverture par crainte de la non réciprocité.
Il y a donc une impérieuse nécessité pour nous, avant même d’envisager de faire notre deuil, d’oser nous situer authentiquement par rapport à nos besoins :
Oui, je vois que c’est parce que j’ai le besoin d’être reconnu que la perte de cette personne – qui me reconnaissait – m’est insupportable.
Chacun d’entre nous est là où il est, avec les besoins qui sont les siens ici et maintenant. Là, je vois, je sens que l’intensité de mon chagrin est directement proportionnelle au degré d’attachement que j’éprouve vis-à-vis de cette personne qui m’a quitté.
Ainsi nous oserons découvrir que notre peine est toujours légitime. Cette légitimité reconnue agira d’elle-même comme une détente, une pacification, véritable condition préalable au travail de deuil.
C’est parce que nous reconnaîtrons cela que nous pourrons envisager le travail de deuil qui est une opportunité pour réconcilier ce que nous sommes avec les choses et les êtres tels qu’ils sont.
Considérons maintenant les quatre tâches du deuil.
Le travail de deuil est en premier lieu une capacité à l’acceptation : accepter la réalité de ce qui est, en l’occurrence la mort de celui ou celle à qui nous sommes attachés. Accepter, c’est oser s’ouvrir à la réalité même dramatique, terriblement douloureuse, plutôt que de la nier parce que nous en avons peur (avoir peur de la tristesse nous empêche donc d’en guérir.) Assumer la réalité, c’est se donner la possibilité de la digérer. Dans le contexte de la mort d’un proche, la simple vision du corps mort peut nous y aider, car elle nous empêche de nous dérober à la réalité. Dans le même ordre d’idées, il a été prouvé que les personnes qui osent parler ouvertement de la mort du proche parviennent plus facilement à faire leur deuil que celles qui se taisent et restent contraintes par leur peur.
Le travail de deuil est aussi une capacité à terminer notre relation avec la personne qui vient de mourir. Ce qui nous en empêche parfois, ce sont des émotions bloquées à l’intérieur de nous (nostalgies, frustrations ou regrets par rapport à des affaires non réglées.) Il est “vital” pour nous de nous en libérer, pour cela, nous pouvons nous faire aider d’un thérapeute avec qui nous travaillerons, dans un espace approprié, à la prise de conscience de nos besoins réels et à la libération de nos émotions. Plus nous nous ouvrirons à la prise de conscience que nos attachements sont reliés à nos besoins, plus nous nous retrouverons ouverts au véritable amour, celui qui ne demande rien et ne fait donc pas souffrir, au contraire.
Le travail de deuil est lié aussi à notre capacité à lâcher prise . Capacité qui ne peut être rendue possible que parce que nous osons nous ouvrir pleinement à ce que nous vivons. Nos émotions étant légitimes parce qu’elles sont le produit de nos croyances, le lâcher-prise consiste à nous autoriser à être pleinement triste ou en colère par exemple. Dans ce contexte, la capacité de notre entourage à ne pas nous dire ce que nous devrions être mais à nous accueillir avec notre émotion nous y aidera. S’ouvrir à ce qu’on vit c’est permettre à ce qu’on vit d’évoluer, de changer. Lâcher-prise est donc oser se situer par rapport à soi-même pour se permettre d’évoluer et non être contraint par l’attachement que nous avions contracté avec l’autre. Le lâcher-prise nous rapproche donc de l’amour, c’est-à-dire de ce que la personne disparue aurait souhaité pour nous maintenant.
Le deuil est enfin une capacité à trouver un sens à notre nouvelle vie tout en restant conscient de l’aspect implacable de la réalité : l’impermanence et la mort. Il y a plus de cinq siècles, Montaigne nous proposait de “chérir la mort”, comme le critère à partir duquel nous allons pouvoir trouver la vie précieuse. Quelle valeur donnerions-nous à la vie s’il n’y avait pas la mort ? Trouver le sens, c’est découvrir peu à peu que seul notre attachement est mortel et qu’aimer par delà la mort c’est pouvoir garder éternellement le souvenir de quelqu’un à l’intérieur de notre cœur, c’est-à-dire le faire exister en nous.
Dès lors, nous savons que le travail de deuil est possible. “Tout comme nous savons que la perte est inéluctable, nous savons maintenant que la guérison de notre chagrin peut l’être aussi. Nous pouvons même faire de notre perte un témoignage vivant de notre amour pour le défunt en l’utilisant comme une étape dans notre développement personnel, un tournant important dans notre vie.
Alors même que nous traversons ces expériences douloureuses de la vie, nous ne devons jamais oublier que nous sommes doués d’une résistance et d’une capacité de survie extraordinaires. De même qu’une forêt entière complètement réduite en cendres finit par repousser, que le printemps fait suite à l’hiver, ainsi la loi de la nature fait que nous pouvons toujours continuer à grandir, quelle que soit notre souffrance. Il faut du courage pour croire que nous pourrons nous en sortir, que nous grandirons. Il faut également du courage pour vivre maintenant et non pas dans un futur improbable.” écrit Judy Tatelbaum.
Considérons maintenant les 6 principaux obstacles qui nous empêchent de faire ce travail de deuil.
La peur est certainement le principal. Plus nous croyons à notre peur, plus nous avons peur d’elle, plus nous la renforçons. Parfois, la perte peut nous donner l’impression de perdre le contrôle de la situation ce qui intensifie notre vulnérabilité à la peur. Là encore, malheureusement, notre entourage interprète souvent mal notre souffrance, juge notre chagrin et nous encourage à le réprimer, renforçant par là-même notre crainte. “Maintenant, tu ne devrais plus penser à ça.” Ne connaissant pas le travail de deuil, ne sachant pas qu’il est normal, nos proches peuvent maladroitement nous proposer de nous distraire par exemple, c’est alors que nous sentant incompris, nous risquons de nous sentir encore plus isolés donc d’être encore davantage en proie à la peur et au mal être.
Dans certaines circonstances, nous aurons du mal à accomplir le travail de deuil à cause d’un sentiment de culpabilité non résolu. Comme les autres émotions, la culpabilité est pour nous “naturelle” parce que nous l’avons apprise et qu’en conséquence nous nous y conformons. Le risque, c’est qu’elle nous enferme dans le passé, nous interdisant d’avancer. Devenir responsable de nos erreurs (si erreur il y a, car nous sommes aussi susceptibles de culpabiliser sans avoir commis d’erreur) est le seul moyen qui nous permettra de les assumer donc au besoin de les réparer, dans la relation réelle ou symbolique à l’autre. Guérir ses relations c’est oser les assumer, pour agir en fonction de ce qui nous apparaît à nous comme “devant être fait maintenant”, plutôt que contraints une fois encore par la peur ou la honte.
Une autre émotion “normale” qui nous rend prisonnier du passé est la colère que nous pouvons ressentir sur la base de notre impuissance. “C’est trop injuste !” entendons-nous dire. Ce sentiment d’injustice et de frustration déclenche notre révolte, et masque notre émotion de tristesse qui restera enfouie en nous (pendant combien de temps ?) La colère peut nous empêcher d’accéder aux larmes, à moins que nous ne la reconnaissions, que nous nous rendions capables de nous y ouvrir.
Parfois nous nous enfermons dans nos croyances qui deviennent vraies pour nous parce que nous les considérons comme telles. La plus classique et destructrice est “Je ne peux pas vivre sans toi.” Il ne s’agit pas de remettre en cause la sincérité de cette émotion mais de découvrir qu’elle est fausse. (D’autant plus que nous en avons la preuve dans les cas où nous avons vécu de nombreuses années avant de rencontrer la personne à propos de qui nous disons cela.) Ces croyances, issues de la profondeur de notre douleur, sont insidieuses parce qu’elles renforcent notre attachement au moment où justement, nous pourrions être sur la voie du détachement. Dans ces moments, être capable de trouver une nouvelle façon de penser, adaptée à la réalité : “Je te laisse partir et te souhaite bonne chance” est certainement d’une grande aide pour le travail de deuil.
Dans notre culture, nous sommes souvent amenés à condamner la tristesse et le chagrin. Qui de nous acceptera de rester sobrement présent (sans mauvaise conscience) auprès de son ami qui pleure ? Parce que nous les jugeons, nos sentiments douloureux n’ont pas d’exutoires et sont par là-même refoulés ! La plupart d’entre nous avons été éduqués à penser que pleurer est un signe de faiblesse, et qu’il faut être fort donc refouler. Oser ne pas condamner sa tristesse ou celle de son proche est certainement un précieux signe de vitalité et de force qui nous aidera dans le travail de deuil.
“Le chagrin est une blessure qui demande de l’attention pour guérir. Afin d’aller jusqu’au bout de notre chagrin, nous devons affronter nos émotions dans un esprit d’ouverture et d’honnêteté, les exprimer, les libérer totalement et les accepter quel que soit le temps dont notre blessure aura besoin pour guérir. Pour la plupart d’entre nous, c’est beaucoup demander.
Par conséquent, il nous faut du courage pour exprimer notre chagrin. Il nous faut du courage pour ressentir notre douleur et affronter l’inconnu. Il nous faut aussi du courage pour exprimer notre chagrin dans une société qui valorise, à tort, la retenue et où nous risquons d’être rejetés en raison de notre ouverture et de notre différence.” écrit Judy Tatelbaum.
Le dernier obstacle est celui du repli sur soi et du “à quoi bon !”. C’est le défi lancé par la vie à chacun de nous à l’occasion d’une perte : pourquoi continuerions-nous de vivre ? Chacun de nous doit y répondre. La prise de conscience du travail de deuil en tant que processus peut nous aider à sortir du repli. Au fond de moi-même est-ce que je suis convaincu que ce que je suis entrain de vivre est “normal” ou, totalement dupe de ce qui se passe, suis-je contraint par mes propres mécanismes à dramatiser et à m’enfoncer toujours un peu plus dans la solitude ? Dans ces moments, la manière dont nous aurons préalablement réfléchi à la mort sera prépondérante. Montaigne nous conseillait : “Ôtons-lui l’étrangeté, pratiquons-là souvent. Il est incertain où la mort nous attende, attendons-la partout. La préméditation de la mort est préméditation de la liberté.” C’est la manière dont nous aurons réussi à nous familiariser avec elle qui nous permettra de ne pas céder au désespoir absolu.
Il nous reste maintenant à réfléchir à la manière dont nous allons pouvoir apporter, pratiquement, notre soutien à une personne en deuil.
Le monde moderne parle de solidarité, dans les temps anciens, il était plutôt question d’amitié et d’amour. Le premier cadeau sur lequel doit pouvoir compter celui que nous nous proposons d’accompagner est notre présence et notre amitié. Bien souvent, sous couvert d’amour propre (quelle expression indue !) nous n’osons pas manifester notre présence, de peur d’importuner la personne en deuil. C’est vrai qu’elle a besoin que nous agissions avec doigté et délicatesse, comme cette veuve à qui on a demandé, un an après le décès de son mari, ce qui l’avait aidé le plus, et qui a répondu : “Les personnes qui ont continué à me téléphoner et à venir me voir malgré mes refus.”
Souvenons-nous qu’aimer c’est laisser l’autre être ce qu’il a choisi d’être et non pas tenter de l’empêcher de vivre ce que nous pensons qu’il ne devrait pas vivre. Comment allons-nous donc nous y prendre “avec” notre présence ?
Le plus grand cadeau que nous puissions faire à l’autre, en toute circonstance, c’est de l’accueillir tel qu’il est ou plutôt de faire en sorte qu’il se sente accueilli par nous, tel qu’il est. Pour cela, nous avons à reconnaître son travail de deuil donc à lui permettre d’exprimer sa tristesse. Réconforter ne peut donc jamais commencer par : “Tu ne devrais pas…” mais par : “Je te comprends, je sais que tu vis un processus de deuil et que c’est très douloureux.” Et si l’amie s’exclame : “Dis-moi, j’ai parfois l’impression de devenir folle !”, nous lui répondrons : “Oui, c’est une impression qu’il est normal de ressentir, quand la douleur est très forte.” En fait nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour lui faire sentir que nous l’acceptons de façon inconditionnelle, quelles que soient les émotions qu’elle exprime.
A un moment propice pour elle, nous pourrons aussi lui expliquer que le travail de deuil est cyclique, qu’il ne va pas crescendo, jusqu’à sa fin, qu’il est normal d’avoir à un moment l’impression d’une rémission et qu’il est normal aussi, d’avoir ensuite l’impression que tout va encore plus mal et que la souffrance n’en finira jamais. C’est au moment où la nuit est la plus noire que nous sommes au plus près de l’aurore. C’est cycle après cycle, (chaque cycle comprenant des hauts ET des bas) que peu à peu le travail de deuil s’achèvera.
Notre bon sens, la manière dont nous nous y prendrons pour montrer à l’autre que nous n’avons pas peur de son désarroi sera capital pour l’accompagnement.
Là, notre attitude d’écoute sera prépondérante, nous l’écouterons sans relâche évoquer ses souvenirs du défunt, même s’il se répète. Nous l’encouragerons à terminer toute affaire non réglée parce que nous savons que les poids comme les soucis qui pèsent sur son cœur, sont des obstacles à sa réconciliation avec lui-même et à sa paix intérieure. Nous pourrons donc jouer, pour ceux que nous accompagnerons dans ce travail, le rôle de facilitateur. Facilitateur de rencontre, facilitateur de pardon, facilitateur de vie.
N’oublions pas non plus que l’aide, sur le plan pratique, n’est jamais négligeable : faire les courses, la cuisine, garder les enfants, s’occuper du ménage ou du jardin, aider à mettre à jour des factures ou des papiers en rapport avec le décès constitue un précieux soutien. Oser le proposer librement à l’autre (sans lui faire peser notre besoin de reconnaissance), c’est lui faire cadeau de notre disponibilité.
Le grand risque en cette période de trouble est de se négliger soi-même, de tenter de se contraindre à penser comme on croit qu’on devrait penser si on était à la hauteur, de se raisonner contre ce que l’on est plutôt que de s’accueillir sur la base de ce que l’on ressent. La réalité dit que la personne en deuil est une personne blessée qui ne pourra guérir que sur la base de la prise en compte de sa blessure. Comment allons-nous nous y prendre pour l’encourager à prendre soin d’elle-même, c’est-à-dire à accepter de se considérer comme blessée (ce qui ne veut pas dire devoir s’y résigner) ? Prendre soin de soi-même, c’est être conscient que ça va prendre du temps et qu’on ne peut pas sauter les étapes. A cette condition, elle pourra découvrir ce qu’un Rinpoche Tibétain décrivait comme ceci : “Oui, cela ressemble à une grosse vague qui arrive et qui vous renverse; et vous vous retrouvez au fond de l’eau, la figure dans le sable; et, bien que vous ayez du sable partout dans le nez, la bouche, les oreilles et les yeux, vous vous relevez et vous recommencez à marcher. Et la vague suivante arrive et vous renverse de nouveau. Et ça continue ainsi mais à chaque fois vous vous relevez et vous recommencez à marcher. Et, au bout d’un certain temps, vous vous apercevrez que les vagues semblent moins grosses.”
L’amitié est précieuse car elle est l’occasion de proposer à la personne qui souffre de partager avec nous des activités qu’elle aime, notamment des activités de plein air au contact avec la nature. Un contact qui loin de favoriser le repli sur soi-même et les pensées noires qui tournent sur elles-mêmes, permet l’ouverture à plus grand que soi.
Permettre à l’ami endeuillé d’envisager de se faire aider par un professionnel à un moment où justement il a tendance à croire que ce serait inutile parce que vain, peut-être aussi d’un grand secours.
Être capable de ne pas se laisser trop impressionner par la douleur de l’autre pour- n’y succombant pas soi-même – trouver en soi les ressources nécessaires pour, par exemple, faire preuve d’humour à un moment approprié ou raconter des expériences de vie qui toucheront le cœur de l’autre, sera la matérialisation de notre affection et de notre capacité à le réconforter.
Enfin nous découvrirons que loin d’être à sens unique, cette relation nous remplit, que donner c’est recevoir. Alors, comme un ultime cadeau, nous pourrons dire à la personne endeuillée tout ce qu’elle nous a apporté parce qu’elle nous aura permis de mûrir nous aussi sur notre chemin de vie. Nous n’oublierons pas non plus qu’il est un cadeau particulièrement subtil que nous pouvons faire à celui qui peu à peu chemine dans son travail de deuil, c’est de le laisser à son tour nous apporter un soutien affectif et pratique, si l’occasion se présente.
Ainsi, le travail de deuil peu à peu achevé, la personne redeviendra capable de reprendre le cours normal de sa vie. Cela ne signifiera nullement que l’amour qu’elle portait au défunt se soit éteint, ni même atténué, mais plutôt qu’elle n’est plus “attachée” à lui, c’est-à-dire contrainte par lui.
Là, comme à un ami désireux de partir, elle pourra (parce qu’elle aura accepté son désir) en accord avec elle-même, lui souhaiter “Bon voyage !”
Comme le dit le poète anglais William Blake :
Je suis debout au bord de la plage.
Un voilier passe dans la brise du matin,
et part vers l’océan.
Il est la beauté,
il est la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit :
“Il est parti !”
Parti vers où ?
Parti de mon regard,
c’est tout !
Son mât est toujours aussi haut.
Sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue est en moi,
pas en lui.
Et juste au moment où quelqu’un près de moi dit :
“Il est parti”,
il y en a d’autres qui,
le voyant poindre à l’horizon et venir vers eux,
s’exclament avec joie :
“Le voilà !”
C’est ça la mort !
Note : Si vous souhaitez prolonger votre réflexion sur le deuil et la mort n’hésitez pas à vous procurer ces livres qui m’ont largement inspiré :
- “Le livre tibétain de la vie et de la mort” de Sogyal Rinpoché, paru en 1993 aux Éditions de la Table Ronde et préfacé par le Dalaï-Lama.
- “Trouver l’espoir face à la mort” de Christine Longaker, paru en 1998 aux Éditions de la Table Ronde et préfacé par Sogyal Rinpoché.
© 2004 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.
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Avertissement aux lectrices et aux lecteurs :
Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)