Question posée par @caro :
Ma fille de 19 ans me dit qu’elle « aime bien » voir des personnes souffrir physiquement dans les films. Elle aime par exemple aussi voir des compétiteurs tomber lors d’une course, ou son petit cousin se prendre une gamelle. Cela la fait rigoler.
À côté de cela elle vient naturellement en aide aux personnes qu’elle croise, une personne handicapée, une personne âgée, un sans-abri.
Je suis donc déconcertée et je vois qu’elle aussi.
Comment puis-je l’aider ?
Mes pistes de réponse :
Avant de répondre à cette question, souvenons-nous que – comme chacun de nous – votre fille est mue par son inconscient.
Qu’est ce qui pourrait bien contraindre une jeune femme sensible à rire de situations douloureuses ?
De même que beaucoup de personnes cherchent à masquer leur gêne en souriant, d’autres, parce qu’elles ne supportent pas certaines situations douloureuses, peuvent inconsciemment s’obliger à en rire. Cela nous amène à comprendre la nature profonde du rire.
On rit en particulier de la maladresse de l’autre : un homme trébuche dans la rue, des passants rient. Selon le philosophe Henri Bergson, le rire est un phénomène social et psychologique complexe révélateur de notre condition humaine. Entre ordre et désordre, dans la vie en société, deux forces complémentaires tentent de trouver leur équilibre et cela se traduit chez chacun d’entre nous par une tension constante entre rigidité et souplesse. Le rire cherche en quelque sorte à permettre à cette tension de se relâcher.
L’étude du fonctionnement du cerveau nous permet d’affirmer aujourd’hui que le rire est largement bénéfique pour la santé puisqu’il permet de réduire la tension artérielle en améliorant la circulation sanguine et l’oxygénation du cœur. Le rire permet aussi de gérer le stress puisque celui qui rit sécrète des endorphines, hormones qui réduisent la production d’adrénaline générée par le stress.
Un grand spécialiste du rire, l’humoriste Raymond Devos, affirmait dans une interview que le rire était « une dégradation des valeurs pour s’en affranchir, parce qu’elles sont pesantes. »
Comment sauver la face quand on vit sa propre sensibilité comme une pesanteur ? Comment se sortir d’une situation émotionnelle personnelle que l’on vit négativement ? La gêne ou la honte de soi peut conduire à la dissimulation, au besoin de se cacher. Une personne, en proie à la honte de ce qu’elle ressent, pourra chercher inconsciemment à afficher une posture qu’elle pensera positive avec l’aide du rire, de manière à cacher un aspect d’elle-même qu’elle interprète comme une faiblesse.
C’est ainsi que le rire nous aide à paraître ce que nous pensons que nous devrions être : nous nous servons du rire pour exorciser nos démons en les mettant à distance.
Boris Vian a écrit que l’humour était la politesse du désespoir, d’autres écrivains ont été plus loin en affirmant que le rire était la liberté conquise du désespéré.
Il y a indéniablement une dimension tragique dans le rire, d’ailleurs ne parlons-nous pas de rire pour ne pas pleurer ?
Si le rire peut donc être une manière de faire face au désespoir et à une certaine mélancolie, on pourra inverser la proposition en affirmant que le rire est la manifestation du tragique qui refuse de se prendre au sérieux.
Sans doute pouvons-nous proposer l’hypothèse que votre fille ait pu, jeune, vivre des situations de gêne et de souffrance si intenses qu’il lui aurait fallu les mettre à distance pour ne pas succomber à son malaise ? Sa manière de rire, aujourd’hui automatique, face à des situations de souffrance, pourrait trouver son sens en tant que carapace protectrice de sa sensibilité qu’elle n’oserait pas vivre complètement.
Vous sentir déconcertée par ce que vous ne comprenez pas est une chose, mais il ne faudrait pas pour autant que vous vous laissiez abuser par l’attitude de votre fille en la soupçonnant de sadisme.
D’autant plus que vous écrivez que non seulement elle n’est pas indifférente aux situations de souffrance et de détresse d’autrui, mais qu’elle s’y implique volontiers en tentant d’y remédier. Un être capable de porter secours et de s’impliquer dans une relation d’aide aux autres, ne court pas le risque de l’indifférence ou du sadisme.
Aider votre jeune adulte de fille c’est donc commencer par voir qu’à projeter vos propres peurs sur elle, vous courez le risque de dramatiser inutilement ses comportements, inconsciente du fait que vous les interprétez sur la base de vos propres projections. Ce sont vraisemblablement vos propres peurs qui s’expriment.
Être en relation avec votre fille de 19 ans, l’aimer, c’est parvenir à lui faire ressentir que vous êtes avec elle quelle que soit la difficulté ou même l’épreuve qu’elle traverse. Être sa mère, c’est être là, avec elle, quel que soit le lieu d’elle-même où elle se trouve.
En lui faisant sentir votre inquiétude à ce qu’elle soit comme elle est, vous courez le risque de vous éloigner d’elle. A contrario, lui montrer que vous êtes avec elle, c’est parvenir à lui faire ressentir que vous n’êtes pas effrayée par ce qu’elle vit, que vous pouvez la comprendre et que vous ne la jugez pas.
Vous rapprocher d’elle c’est donc l’écouter sans la juger quand elle partage avec vous qu’il lui arrive de se sentir déconcertée par ses propres comportements. Car il ne faudrait pas que la manière dont vous vous sentez déconcertée par elle en tant que mère, lui fasse courir le risque de s’éloigner d’elle-même, de se diviser, ne serait-ce que pour être à la hauteur de vos inquiétudes.
C’est en ne la jugeant pas que vous aiderez le mieux votre fille à observer ses propres comportements pour essayer de se comprendre. D’autant plus qu’il lui est toujours possible – si elle le désire – de consulter un professionnel pour mieux comprendre la nature de ses comportements paradoxaux, si ceux-ci persistent plus qu’elle ne peut le supporter.
© 2024 Renaud Perronnet. Tous droits réservés.
Pour aller plus loin, et percevoir à quel point le rire est une décharge salvatrice, une expression de la liberté qui peut être ravageuse, cliquez sur ce lien et regardez cette courte vidéo :
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Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)