Le piège de l’amour

Pourquoi nous devons remettre en cause ce qu’on nous a fait croire enfant

« Nous ne pouvons pas aimer vraiment s’il nous est interdit de voir notre vérité, la vérité sur nos parents et nos éducateurs, mais aussi sur nous-mêmes. Nous pouvons seulement faire semblant d’aimer. Mais ce comportement hypocrite est le contraire de l’amour. »

Alice Miller

Edgar Morin, philosophe et sociologue français, souligne que l’éducation, telle qu’elle est pratiquée de nos jours à peu près partout, a tendance à servir de moyen de contrôle social, incitant les élèves à accepter les idées et valeurs dominantes sans les questionner. Or, d’après lui, l’éducation devrait avant tout nous enseigner à penser de manière critique, en remettant en question les idées reçues et en développant notre esprit d’analyse.

Dans son ouvrage principal, La Méthode, il tente de nous donner une méthode de connaissance capable de traduire la complexité du réel en précisant ceci :

« Le problème n’est pas que vous n’ayez pas été éduqué. Le problème est que vous avez été éduqué juste assez pour croire ce qu’on vous a enseigné, mais pas assez pour remettre en cause tout ce qu’on vous a dit. »

Remettre en cause tout ce qu’on nous a dit est précisément le projet de liberté proposé par Swami Prajnanpad quand il nous invite à être nous-mêmes :

« Nous absorbons les idées, les opinions, les préjugés, les attirances et les répulsions, les ambiances et les comportements qui se trouvent dans notre entourage sans les examiner, sans les vérifier. Nous devons nous défaire de tous les ouï-dire, préjugés, superstitions, attirances, répulsions, traditions, croyances, pour commencer une nouvelle vie. (…) Rejetez toutes vos particularités, toutes vos opinions, toutes vos manières habituelles de penser, vos concepts, vos idées : vous êtes vous-même. Elles ne font que recouvrir ce que vous êtes. »

On peut constater que – paradoxalement – nombreux sont ceux qui ont peur de leurs propres ressentis parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement que de se juger en référence à ce que leurs parents leur ont appris, victimes des opinions et croyances de ces derniers. Ils ne pensent donc pas par eux-mêmes, mais répètent simplement ce qu’on leur a appris, sans aucun esprit critique. Ces personnes n’ont jamais pu oser s’adresser à leurs parents pour leur demander comment ils savaient tout ce qu’ils croyaient et enseignaient. Jamais osé leur demander les preuves qu’ils avaient que cela soit vrai.

Enfants, dans leur vulnérabilité, leur immaturité, ces personnes n’ont pas pu faire autrement que de croire ce que leur disaient les personnes par lesquelles elles ressentaient le besoin d’être aimés. À courir derrière l’approbation et l’affection de leurs parents, elles étaient dépendantes d’eux et c’est cela qui les a rendues si fragiles.

On peut considérer cette force puissante qui nous pousse à croire ce qu’on nous a dit lorsque nous étions enfants, au détriment de ce que nous percevons avec nos propres sens, comme étant le piège de l’amour. L’enfant, pris dans le piège de l’amour, ne peut que répugner à penser que ses parents ont pu se tromper et vivre dans l’illusion.

C’est ainsi que, même devant l’évidence, beaucoup de personnes pourtant adultes continuent de croire à ce que leurs parents leur ont dit, alors même que cela contredit leur propre expérience.

Par exemple, un être humain adulte, pourtant objectivement maltraité dans son enfance, justifiera les attitudes maltraitantes de ses parents en pensant qu’il les a méritées, tant son besoin de ressentir qu’il a été aimé dans son enfance sera supérieur à sa capacité de s’ouvrir à la vérité de son propre ressenti d’alors.

C’est donc parce qu’il a peur de ressentir le vide (caché par le piège de l’amour) qu’un être se condamne à rester dans l’illusion en renonçant à découvrir la cause de sa souffrance.

Cet être souffre et sa souffrance en cache une plus grande encore qui l’empêche jusqu’à aujourd’hui de découvrir une vérité fondamentale : nous avons tous été plus ou moins mal aimés par nos parents, non pas parce qu’ils étaient « méchants », mais simplement parce qu’ils étaient eux-mêmes pris dans ce qu’ils croyaient juste parce que leurs propres parents ou éducateurs le leur avaient dit. Par exemple, qu’un garçon ne pleure pas, à moins d’être une mauviette, et qu’il ne doit pas se montrer vulnérable.

Il est crucial de réaliser que nos parents étaient faillibles et qu’ils ne nous approuvaient que lorsque nous leur ressemblions. Tant que nous n’intégrerons pas pleinement cette découverte, nous continuerons à croire que nous étions aimés pour nous-même, tout en étant soumis à la subjectivité et aux opinions de nos parents. C’est ainsi que nous nous condamnons à souffrir, incapables de penser ou de ressentir par nous-même.

Celui qui croit avoir été aimé « pour lui-même », alors qu’il a été aimé en vérité pour ce qu’il représentait pour ses parents, ne peut que demeurer dans l’illusion de lui-même, se condamnant par là-même à ne pas pouvoir découvrir qui il est vraiment.

Notre travail est donc de parvenir à nous défaire de tous les préjugés qui sont les nôtres et en particulier de celui qui veut nous faire croire que nous avons été aimés pour nous-même. L’amour parental est inévitablement imparfait, surtout lorsque nos parents, convaincus de faire notre bien, l’ont confondu avec leurs propres intérêts.

À notre tour, une fois devenus parents, nous avons presque tous interprété nos enfants à travers nos propres perspectives, ce qui, malgré nous, nous a éloignés d’un amour véritablement respectueux pour eux. Une éducation authentique exigerait que nous mettions de côté nos opinions et intérêts personnels au profit de ceux de nos enfants. Pourtant, rares sont les parents, influencés par leurs propres peurs et croyances héritées de leurs parents, qui y parviennent.

Tout parent devrait se rendre à l’évidence qu’il est nécessairement cause de souffrance pour ses enfants et cela malgré l’amour qu’il leur porte. Il ne s’agit pas d’en culpabiliser mais d’en convenir raisonnablement pour parvenir à le reconnaître devant eux. Car c’est la reconnaissance auprès d’eux de nos erreurs, de nos inévitables maladresses, qui est constitutif d’une relation saine à nos enfants.

Alors que faire ? Comme nous n’avons pas été aimés pour ce que nous étions et que nous nous sommes conformés aux désirs de nos parents en espérant être aimés, nous avons renoncé à notre authenticité. Apprendre à nous aimer nous-mêmes est le chemin de bienveillance et de réconciliation auquel nous sommes tous conviés. Pour cela, nous devons nous libérer des masques que nous portons et auxquels nous nous sommes identifiés.

Swami Prajnanpad nous y encourage : « Enfilez quatre chandails et quatre manteaux. Vous semblez très gros. L’êtes-vous ? Non, mais vous semblez l’être. Alors rejetez toutes vos particularités, toutes vos opinions, toutes vos manières habituelles de penser, vos concepts, vos idées : vous êtes vous-même. Elles ne font que recouvrir ce que vous êtes. »

Notre apparence, l’image que nous avons construite et que nous avons appris à projeter, sera difficile à abandonner. S’en défaire exigera pugnacité et résolution. Le dévoilement de notre identité est l’œuvre de notre vie, ce ne peut donc pas être une petite affaire. Il nous faudra, dans un premier temps, apprendre à abandonner nos illusions et nos certitudes. Nous n’avons pas été éduqués à convenir de « ce qui est », nous avons été éduqués à en avoir peur. Ouvrir les yeux implique de confronter nos stratégies de mensonge et d’accommodement à la vérité de ce que nous sommes et ressentons. C’est un programme douloureux, un processus de deuil héroïque pour accéder enfin à l’équilibre et à la paix intérieure :

« Je suis ce que je suis ici et maintenant, et je ne suis rien d’autre. »

Si nous aspirons un jour à être libres, donc à parvenir peu à peu à être à l’origine des décisions que nous prendrons pour nous-même, il va nous falloir nous confronter sans délai à la personne pour laquelle nous nous prenons afin de mettre à la lumière ses illusions.

Cela nous demandera de commencer par accepter d’être là où nous en sommes plutôt que là où nous aimerions être. Les années de dissimulation de nos vrais sentiments sous le prétexte d’être fidèles à ce que nous avons appris que nous devions être, ne nous faciliteront pas la tâche.

Si par exemple vous êtes en colère et rempli(e) de haine contre quelqu’un, vous ne pouvez pas avoir d’autre point d’appui, ici et maintenant, que votre sensation de colère et de haine dans cette relation à cette personne. Pour parvenir à accéder à votre vérité, investiguer plus loin et découvrir que derrière votre colère se cache une sensation d’injustice à laquelle il vous faudra trouver le courage de vous confronter en temps et en heure, il vous aura fallu commencer par reconnaître et accepter votre haine et votre colère.

C’est précisément là où la relation thérapeutique est précieuse en ce qu’elle vous aide à apprendre à reconnaître la vérité de vos propres ressentis, plutôt que de devoir rester dans le mensonge parce que vous êtes incapable d’accéder à vos propres ressentis, à vous illusionner sur vous-même en ne voulant à aucun prix être ce que vous êtes.

Ayant appris dans notre enfance que c’était mal de ressentir de la haine contre quelqu’un, nous ne pourrons que culpabiliser en refoulant la haine au plus profond de nous-même. Nous serons pendant longtemps celui ou celle qui, croyant bien faire en obéissant aux consignes morales de ses parents, créera chez lui / chez elle une division entre une part assujettie à sa haine et une autre part qui, persuadée que c’est mal, obéit inconsciemment à ce qu’elle perçoit encore comme un bien (ne pas reconnaître sa haine) et refoule la vérité de ce qu’elle sent. Or un être non unifié avec lui-même ne peut pas être heureux.

Pour sortir de cette division, il faudra que cette personne parvienne à mettre un grain de sable dans ses certitudes à propos de ce que ses parents lui ont dit, en se souvenant de donner la priorité à la vérité de son ressenti plutôt qu’à ce qu’elle pense à propos de son ressenti. « Tout le monde peut penser comme je pense ; personne ne peut ressentir ce que je ressens. » disait la psychologue pour enfants Magda Hollander-Laffon. Penser et ressentir sont deux choses très différentes et si, selon les mots d’Alice Miller, « notre corps ne ment jamais », c’est bien parce que nos opinions ou croyances sur nous-même, elles, mentent.

Ne pas se préjuger meilleur que l’on est, c’est parvenir à trouver le courage de ressentir la haine que l’on peut éprouver ici et maintenant contre quelqu’un, ce qui est non seulement permis mais souhaitable si on veut, un jour pouvoir en sortir.

Les émotions sont par nature passagères, elles ne nous constituent pas définitivement si nous ne nous y prenons pas avec nous-même de manière à les retenir. La haine comme le désir de tuer sont des émotions passagères, si nous ne les retenons pas. Pour un être en équilibre avec lui-même, un être clair avec ses émotions, il n’y a aucun problème à ressentir de la haine. L’émotion, tant que nous sommes d’accord pour la reconnaître et l’assumer (la vivre pleinement plutôt que de la refouler), n’est pas un problème et c’est ce que ne savent précisément pas les personnes qui ont peur d’elles-mêmes et de leurs émotions potentielles parce qu’on leur a toujours répété qu’elles étaient dangereuses.

Les propos tenus par Swami Prajnanpad sont particulièrement éclairants : « Vous êtes maintenant un adulte. Mais vous semblez vous conduire comme un enfant parce que vos émotions ont pris un modèle ou une modalité qui vient de votre enfance. C’est donc de l’enfance, de cette attirance du passé pour ainsi dire, qu’il faut d’abord vous débarrasser, de façon à vous permettre d’être un adulte. Ces émotions sont toutes refoulées. Elles fonctionnent toujours en étant retenues. Ainsi vous vous êtes senti malheureux dans votre vie, il faut vous rendre libre de ces choses d’abord. Les émotions sont bloquées à certains endroits. Il vous faut tout relâcher, complètement. Comment ? Vous vous détendez et laissez sortir toute émotion qui se présente sous quelque forme que ce soit, sans aucune retenue, sans aucune restriction. Les émotions refoulées doivent être libérées. Alors et alors seulement, la division, la séparation et, à leur suite, les conflits internes disparaîtront. Vous deviendrez une personne unifiée et intégrée. Essayez uniquement de relier l’effet à sa cause. »

Le problème principal est donc le refoulement de l’émotion lié à l’éducation. Refoulement qu’Alice Miller désignait comme une « fée perfide qui aide sur le moment et fait payer cette aide plus tard ». Le refoulement de la haine solidifie la haine en créant l’identification à la haine ; le refoulement de l’émotion nous rend prisonnier de l’émotion en ce sens que ne pouvant pas en sortir, nous nous confondons avec elle. Celui qui s’identifie à la haine, n’est plus dans le mouvement de la vie, dans le changement incessant de ses états d’âme, mais à l’aube de sa propre folie qui peut le faire devenir ce que nous sommes en droit de craindre pour lui comme pour nous-même : une véritable bombe pour les autres, une pure machine à haïr et à tuer.

Il nous faut regarder, pour les intégrer en les exprimant, toutes les émotions que nous avons accumulées en nous-même depuis notre enfance. Fous de souffrance, certains êtres deviennent en effet des machines à haïr et à tuer, incapables de recul et encore moins de compréhension d’eux-mêmes. Les meurtriers sont d’abord des gens meurtris.

Tous les humains vivent des émotions et ce n’est absolument pas grave de ressentir de la haine contre une personne ou même d’avoir envie de la tuer, c’est arrivé à tout le monde : un sentiment d’injustice suscite une pulsion d’agressivité, c’est le lot de chacun d’entre nous. Il n’y a – contrairement à ce que nous ont dit nos parents quand ils ont réussi à nous persuader que nous ne devrions pas être comme nous étions – aucune raison de nous en vouloir puisque nos émotions passent si nous ne les retenons pas. C’est en cherchant à retenir ses émotions qu’on les fait perdurer.

Nous ne devrions pas avoir peur de notre potentielle agressivité, par contre nous avons toutes les raisons d’avoir peur de notre agressivité refoulée : c’est celle qui fait que nous sommes par exemple capables de trouver les mots cinglants pour blesser les autres afin de les soumettre. Avec un peu de lucidité avec soi-même, nous pouvons commencer par en prendre conscience. Notre capacité à la haine provient de l’accumulation d’une énergie que nous devrions apprendre à gérer de manière fluide.

Une fulgurance d’agressivité n’est dangereuse ni pour nous-même ni pour les autres. Les comportements dangereux sont ceux de personnes qui, parce qu’elles sont aliénées, ne parviennent pas à sortir de leurs émotions qu’elles s’interdisent de vivre. Quand un être se ronge intérieurement de manière permanente, il devient potentiellement dangereux pour lui-même et pour les autres.

Parents, n’ayez pas peur de vos enfants, ils sont vivants et explorent naturellement les émotions qui sont les leurs. Ne prenez pas personnellement, contre vous-mêmes, leurs émotions. Ne leur interdisez pas de les explorer, ce sont les leurs, ayez confiance dans l’amour que vous leur portez. Vous laisser conseiller par votre amour vous aidera à permettre à vos enfants de vivre leurs émotions jusqu’au bout, à les laisser par exemple se rouler par terre en rageant s’ils en éprouvent le besoin.

Swami Prajnanpad nous conseille à propos de l’attitude à avoir face à l’autre quand il est dans l’émotion : « Quand quelqu’un est excité, peut-on discuter avec lui ? Vous devez être avec lui, ou plutôt l’encourager : « Oui, oui. C’est très mal. Cette chose a été faite comme cela. Oui vous avez raison d’être excité. » Laissez-le s’exciter autant que possible. Quand l’émotion diminuera, alors il verra. Quand l’émotion est excessive, on ne peut pas discuter, on ne peut pas voir. »

N’intervenez pas, ne punissez pas vos enfants en leur faisant croire que ce qu’ils ont fait est mal ! Ils sont immatures, donc incapables de se maitriser. La maitrise de soi demande une conscience de ce qui se passe en soi-même qui ne peut pas s’obtenir par la répression. La peur de soi-même crée le déni de soi-même et de ce que l’on vit. Apprenez-leur à comprendre ce qu’ils vivent en y mettant du sens. Interrogez-les avec bienveillance quand ils sont « redescendus » ! Écoutez-les quand ils parviennent à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Aidez-les à passer à autre chose que la jalousie passagère, que la tristesse, que la colère. Surtout ne les jugez pas, ne les stigmatisez pas ! Dédramatisez !

C’est le moment – pour vous – de comprendre pour le mettre en pratique qu’à chercher à mater et à culpabiliser vos enfants, vous leur apprenez à se diviser, c’est-à-dire à devenir hostiles à eux-mêmes plutôt que libres de leurs humeurs. Ils ne sont pas des singes savants destinés à être comme vous voulez qu’ils soient. Ils réagissent à leur environnement comme ils le peuvent et surtout comme on leur en a laissé la possibilité. Seulement et parce que souvent vous avez été maté vous-même à devoir refouler vos émotions, leurs émotions vous sont intolérables, vous cherchez à les réprimer parce qu’elles ont été réprimées chez vous. Vous reproduisez l’injustifiable parental parce qu’il vibre en vous à travers tout ce que vous avez subi de vos propres parents. Alice Miller appelle cela la « compulsion de répétition ». Parvenir à vaincre cette compulsion, c’est commencer par s’autoriser soi-même à être qui on est avec l’émotion que l’on a, et cela n’est possible qu’à celui, à celle qui parvient à mettre en cause les sacro-saintes croyances de ses parents et en particulier celles qui veulent faire croire qu’il est mal et dangereux d’éprouver de la haine ou de la colère contre l’autre.

Comme nous l’avons amplement détaillé plus haut, à juger vos enfants en leur apprenant qu’ils ne devraient pas se conduire comme ils se conduisent, vous les condamnez à la division et à l’impulsivité et êtes le principal obstacle à leur futur équilibre.

A contrario, dire à l’autre qu’il a ses raisons d’être comme il est, lui renvoyer sa cohérence, non pas parce qu’il a raison mais parce que vous avez compris qu’il ne peut pas, par lui-même, être autrement, ici et maintenant que comme il est. L’encourager à être ce qu’il est sans division, c’est le respecter. Montrer à l’autre qu’on a compris ou au moins senti ce qu’il vit et ne pas chercher à l’empêcher de le vivre, c’est lui donner les moyens de s’apaiser. Cela n’est rendu possible qu’à celui qui n’est pas lui-même identifié à ses propres émotions. L’autre a raison pour lui d’être excité parce qu’il ne peut que l’être quand il l’est, il est donc vain de chercher à lui montrer qu’il devrait (selon nous) être autre que ce qu’il est à ce moment.

Il y a ici et maintenant chez l’autre, une émotion temporaire qui passe. Les émotions qui adviennent ne demandent qu’à s’exprimer pour s’épuiser, l’expression passée, il n’y a plus d’émotion. Il n’y a donc aucune raison de se juger soi-même ou d’en vouloir à l’autre, c’est juste une émotion temporaire qui passe. Là, ici et maintenant, l’autre vit une émotion temporaire qui parle de lui et de son refus, et pas de moi (contrairement à la façon dont j’interprète le plus souvent les choses.) Là, ici et maintenant, je vis une émotion temporaire qui passe et ne parle que de moi et de la manière dont je refuse les choses telles qu’elles sont.

L’émotion est contagieuse, elle se propage dans le psychisme de ceux qui, dans leur fragilité, s’y reconnaissent. Observez ce qui vous fait bondir dans les comportements des autres, vous rencontrerez votre point faible, votre blessure secrète.

L’émotion en elle-même n’a aucune espèce d’importance, c’est juste une énergie qui suit son cours, la difficulté commence au moment où nous nous y identifions, car cela la fait perdurer. S’identifier à une émotion c’est lui accorder une importance démesurée. Se souvenir que nous ne sommes pas nos émotions est la clé, il s’agit juste de la laisser passer, je ne suis pas la peur, la colère ou la tristesse. Je suis simplement celui ou celle qui en ce moment ressent de la peur, de la colère ou de la tristesse.

Pourquoi cette importance démesurée pour un phénomène a priori transitoire ? Cette importance démesurée accordée aux émotions pourtant passagères parle de notre psychisme et de notre cœur en souffrance.

La plupart des personnes ne songent pas à « se vidanger ». Avant de se vidanger, il y a lieu de commencer par s’accepter comme on se sent être, c’est-à-dire accueillir ces énergies bloquées en soi-même. Oser s’exprimer, se laisser être, pas contre l’autre bien sûr mais pour soi-même. Quand vous sentez que vous avez envie de vomir en car, ne prenez-vous pas un sac plastique ? Pourquoi ne pas s’enfermer dans sa chambre pour faire avec soi-même ce qu’on se sent avoir le besoin de faire ? Il n’y a aucun mal pour quiconque à vomir sa colère face au mur de sa chambre. Techniquement vidanger un réservoir désigne l’action de vider ce réservoir. Faire un « reset », mettre ses comptes à zéro. S’acquitter d’un trop plein. Un trop plein d’émotions demande à se vider, mais souvent, par honte de soi-même, on préfère regarder ailleurs et essayer de ne pas ressentir ce qui bouillonne à l’intérieur.

Techniquement, l’accumulation crée toujours une demande de détente. Et un psychisme tendu est comme purulent, il aspire naturellement à la détente qui passe par l’opportunité du scalpel, pourquoi ne pas lui proposer de vider l’abcès ?

Un psychisme purulent est un psychisme gangréné par la rancœur et le ressentiment, eux-mêmes étant les conséquences d’immenses souffrances jamais prises en compte, donc jamais soignées. Il faut arriver à comprendre qu’on ne peut éprouver un ressentiment envers une personne que parce qu’on est dans un lien de dépendance vis-à-vis d’elle : il faut donc parvenir à prendre soin de cette dépendance.

Or les souffrances jamais soignées se conduisent chez les êtres humains comme des bêtes sauvages prêtes à mordre. Nous y sommes tous confrontés, et la manière dont nous y répondrons dépendra de la manière dont nous aurons nous-mêmes pris soin – ou non – de nos propres accumulations émotionnelles.

« L’esclavage de l’émotion est le seul esclavage », disait Swami Prajnanpad.

Votre père (ou votre mère) vous avait dit que c’était mal, vous êtes devenu adulte, vous désobéissez donc à vos parents parce que vous savez maintenant que ce n’est pas mal.

L’émotion est juste la conséquence d’une vision erronée des choses, nous n’avons pas pu le vérifier par nous-même au moment où nous sommes devenus la proie des émotions de nos parents, il est donc temps aujourd’hui d’y mettre de l’ordre. Le travail sera considérable pour parvenir à « rejeter toutes ses particularités, toutes ses opinions, toutes ses manières habituelles de penser, ses concepts, ses idées ». Mais c’est le travail nécessaire pour être enfin soi-même.

« L’émotion apparaît seulement quand on ne voit pas ce qui est tel que c’est, mais comme étant autre chose. L’émotion est un mensonge, une erreur, elle est sans fondement », répète Swami Prajnanpad.

Et c’est toujours à partir de l’acceptation complète de là où nous en sommes que nous pouvons nous donner les moyens d’avancer.

Il est normal que la plupart d’entre nous ne parvienne pas à vivre ses propres sentiments, pour ce faire, il aurait fallu que nos parents aient été attentifs à nos propres besoins. Si cela n’a pas été le cas, notre seul espoir pour y parvenir aujourd’hui est de désobéir sans tarder à ce que nos parents nous ont dit quand ils cherchaient à nous empêcher d’être celui ou celle que nous étions.

Y parvenir créé une immense détente, aube de notre réconciliation avec notre vrai soi.

© 2025 Renaud Perronnet. Tous droits réservés.

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