« Le plus grand ennemi de l’homme, c’est la peur – qui apparaît sous des formes aussi diverses que la honte, la jalousie, la colère, l’insolence, l’arrogance… Quelle est la cause de la peur ? Le manque de confiance en soi. »
Swâmi Prajnânpad
« La peur n’évite pas le danger. »
Proverbe
Dans son livre Ma Plus belle évasion, Michel Vaujour[1] « ennemi public n°1 » à l’époque, multirécidiviste de l’évasion, (notamment de la prison de la Santé à bord d’un hélicoptère piloté par son épouse), partage : « Quand le regard de l’adversaire détermine notre attitude, alors on a perdu. »
Ce qu’il veut dire c’est qu’alors (quand notre attitude est déterminée par le regard de notre adversaire), nous consentons à nous laisser dominer par lui et renonçons à l’action (attaquer pour nous défendre) et devenons donc la victime de la peur qu’il nous inspire et, dans ce cas, nous sommes vraiment mal partis.
C’est certainement ce que voulait dire le pape Jean-Paul II[2] quand il a repris à son compte la célèbre formule de l’Ancien Testament : « N’ayez pas peur ! »
Par ces paroles fortes prononcées au tout début de son discours d’intronisation en octobre 1978, il mettait en garde contre le mécanisme – à proprement parler « diabolique » – d’un certain type de peur.
Or si nous voulons pouvoir agir sur quelque chose, il ne faut pas que nous en ayons peur !
Comment ne plus succomber à la peur ?
Les sketches d’André Sauvé[3], auteur, scénariste et acteur québécois, ont la particularité de nous faire sourire et en même temps de nous proposer une réflexion profonde sur la vie et sur la manière dont nous la vivons.
Je reprends les premiers mots de Mr. Ramesh : « Le problème n’est pas la peur elle-même mais de n’être pas assez curieux. »
Devenir curieux signifie devenir capable de s’interroger sur ses propres représentations mentales afin de découvrir si elles sont fiables ou non, si nous pouvons – ou non – leur faire confiance.
Il existe en réalité deux sortes de peurs :
Prenons un premier exemple avec l’injonction : « Arrête de te pencher par la fenêtre, tu me fais peur ! » Tout dépend à qui cette mise en garde est dite. Nous faisons tous la différence entre une personne qui a peur que son enfant de deux ans se penche par la fenêtre du quatrième étage, et une personne qui reprocherait à un adulte de se pencher par la même fenêtre. L’une a une peur légitime – parce qu’il est vrai qu’un petit enfant (qui ne connaît pas les lois de la physique) peut tomber, l’autre (celle qui panique quand un adulte se penche), est simplement une personne angoissée, victime de sa peur pathologique et qui tente de convaincre l’autre qu’il y a un danger là où il n’y en a pas pour lui.
Il existe donc deux peurs bien distinctes : la peur-signal qui nous permet de « voir les choses telles qu’elles sont », (utile car elle va nous aider à agir de manière appropriée), et la peur émotion pathologique, issue de notre mémoire traumatisée qui – elle – va nous induire en erreur en nous faisant craindre ce qui n’est pas un danger pour nous.
Notre travail personnel est d’apprendre à les différencier pour « obéir » à l’une et surtout pas à l’autre.
Prenons un autre exemple : une personne rescapée d’une explosion dans le métro aura légitimement (pour elle) peur de reprendre le métro. On peut même dire que cette personne (compte tenu de ce qu’elle a vécu) est cohérente avec elle-même. C’est ainsi qu’il nous est facile de convenir qu’une personne ayant été traumatisée ait une peur qui serait considérée comme pathologique par ceux qui n’ont pas été traumatisés. Il ne serait évidemment pas juste d’essayer de la convaincre (sous quel prétexte que ce soit) qu’elle ne devrait pas avoir peur car ce serait oublier qu’elle est traumatisée, en l’exposant à la violence de notre jugement sous le prétexte que sa peur est pathologique.
Est-ce à dire pour autant que nous devons tous avoir peur de prendre le métro ?
Ou d’aller assister à un concert ?
Ou de prendre un pot à Paris sur une terrasse ?
Et la peur du le terrorisme alors ?
Pour y voir plus clair par rapport à ce contexte de triste actualité, je reproduis ici un extrait éloquent du blog de Matthieu Ricard[4] qui parle de notre peur du terrorisme :
« En dépit de l’énorme écho médiatique des actes de terrorisme, selon la plus grande base de données disponible, le nombre des morts imputables au terrorisme est infime comparé à d’autres causes de mort violente. Selon le Global Terrorism Database, depuis l’attentat du 11 Septembre, le terrorisme a causé la mort de 30 citoyens américains, soit 3 par an contre 18 000 homicides et 40 000 morts dans les accidents de la route. Comme le souligne le politologue John Mueller, un Américain moyen risque plus d’être tué par la foudre, l’allergie aux cacahuètes, les piqures de guêpes et l’embrasement d’une chemise de nuit que par un acte de terrorisme. Les experts ont montré qu’en fin de compte, la peur du terrorisme a provoqué six fois plus de morts aux États-Unis que le terrorisme lui-même. Ils estiment que 1500 américains sont morts sur la route par crainte de prendre un avion qui pourrait être détourné ou attaqué, sans se rendre compte que la probabilité de mourir d’un accident d’avion lors d’un vol de 4000 kms est équivalente au risque encouru en faisant 20 kms en voiture.
Cette paranoïa du terrorisme est reflétée de manière tragi-comique dans les résultats d’un questionnaire soumis à des usagers des transports aériens, lequel a révélé que 14% des sujets interrogés se sont déclarés être disposés à souscrite une assurance couvrant les actes terroristes contre 10% seulement pour une assurance tous risques (qui par définition inclut la première !)
Les politologues John Mueller et Mark Steward de l’Université de l’Ohio estiment que le gouvernement américain a dépensé 1 trillion de dollars pour la prévention du terrorisme qui, en évaluant les attaques qui ont été ainsi déjouées, ont peut-être sauvé la vie à 2300 personnes selon les estimations de ces experts, ce qui place le coût à 400 millions de dollars par personne. La valeur de la vie humaine n’a pas de prix, mais les mêmes ressources financières auraient permis de sauver la vie de plusieurs millions de personnes dans d’autres domaines (santé, éradication de la pauvreté, etc.) »
A ce stade, et pour vous aider à ouvrir davantage les yeux, je vous invite à regarder cette seconde petite vidéo[5] de Louis T. (4:41) qui – de manière humoristique et statistique – nous démontre que nos « raisons d’avoir peur » du terrorisme sont aujourd’hui infimes.
Si nous voulons vivre en équilibre, donc sortir de nos peurs pathologiques, nous n’avons pas d’autre moyen que de les interroger. Autrement dit, si nous voulons nous donner une chance de pouvoir constater que notre peur est totalement disproportionnée et irrationnelle, il faut d’abord que nous ne lui obéissions pas en fuyant !
C’est ce que les plus angoissés d’entre nous sont incapables de mettre en œuvre.
Comment « travailler » sur ses peurs ?
Dans un tel contexte on comprendra que le meilleur moyen de « gagner du terrain » sur ses peurs c’est d’avoir une attitude « active » avec elles donc de s’informer de leur pertinence pour – au besoin – les démystifier (à l’inverse, on sait qu’être confronté à ses peurs sans pouvoir agir est le plus sûr moyen de les accroître.)
Se dire qu’on ne devrait pas avoir peur quand on a peur (donc en avoir honte), c’est refouler sa peur et la renforcer ; par contre apprendre à la « domestiquer » pour la rencontrer et s’y confronter donne d’assez bons résultats.
Prenons un exemple de peur démystifiable par la compréhension : la peur des turbulences en avion (souvent assimilées à la possibilité d’un accident aérien). Savoir ce que sont exactement ces turbulences est une information importante. Savoir qu’elles sont des phénomènes naturels (dus le plus souvent au cisaillement du vent), auxquels les personnels de bord sont tout à fait habitués, est rassurant. Savoir que les pilotes ne les considèrent pas comme un problème de sécurité, l’est davantage encore. Entendre dire un pilote qu’il n’a pas le souvenir d’un seul accident d’avion de ligne causé par des turbulences l’est encore plus[6].
En fin de compte – de la même manière que nous devons nous confronter à nos préjugés, à nos « idées reçues » et à nos superstitions pour ne plus y croire, il nous faut nous confronter à nos peurs pour les connaître et ne plus être leur esclave quand elles sont disproportionnées.
Et cela ne devient possible qu’à celui qui ose sentir les choses « telles qu’elles sont » et apprend à faire confiance à ce qu’il ressent, autrement dit à celui qui a confiance en lui.
Notes :
[1] Je ne saurai trop vous conseiller de lire ce livre et de vous procurer le film Ne me libérez pas j’men charge, véritable « voyage initiatique » et pas seulement intérieur, d’un homme qui a préféré la liberté à la sécurité et à la loi.
[2] Lire l’article de La Vie : Jean Paul II, le pape du « n’ayez pas peur. »
[3] Quand on demande à André Sauvé s’il continue sa thérapie commencée dix ans plus tôt, il réplique : « La scène est devenue ma thérapie ! Le rire permet de dédramatiser bien des affaires. J’ai toujours été enclin à l’humour mais la scène c’est très fort. (…) Je me dis qu’à un moment la vie suffit à la vivre. Ça été utile mais il faut savoir quand arrêter. Sinon ça devient une espèce d’univers à huis clos et on est plus dans la réalité. Le but d’une thérapie, c’est de ne plus en avoir besoin. »
[4] Partage de Matthieu Ricard du 02/05/12 que vous trouverez ici.
[5] C’est quoi l’problème de Louis T. Je remercie au passage nos amis québécois ainsi que Mathilde qui me l’a fait connaître.
[6] Lire l’article : Pourquoi il est inutile d’avoir peur des turbulences en avion ?
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Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)