Sommes-nous légitimes à vivre ?

(Je n’ai pas été désiré par mes parents !)

Question de Marc :

Je suis le dernier des 4 enfants et non désiré. J’ai perdu mon père a 12 ans. J’ai 2 sœurs et 1 frère. Je n’ai jamais compris pourquoi ma mère ne me regardait jamais et me refusait tout au profit de mon frère dont elle était fière.
Je ne vais plus la voir depuis 4 ans, j’aimerais comprendre.

Mes pistes de réponse :

Votre besoin de comprendre l’injustice que vous vous sentez subir est légitime.
En même temps vous semblez ressasser depuis des années la même insoluble question, incapable d’y répondre, elle finit par se retourner contre vous et vous enferme dans votre souffrance.

Vous le savez, un enfant – parce qu’il a besoin de se sentir aimé pour se construire – ne peut que vivre très douloureusement la perte de son père comme l’absence d’affection et le rejet de sa propre mère. La manière dont celle-ci regarde son frère peut être un véritable drame pour lui si, à travers ce regard, il se sent délaissé.
Ce n’est que beaucoup plus tard, devenu adulte, qu’il peut parfois entrevoir des explications, donner du sens à ce qu’il a dû subir enfant.

On peut, par exemple, comprendre qu’une femme violentée ou simplement mal aimée par un homme ne parvienne pas à aimer son enfant si elle le considère comme le fruit de cette violence ou de ce mal amour. Le fameux « instinct maternel » ressenti par beaucoup de femmes n’est pas « automatique », même si c’est parfaitement injuste pour l’enfant qui n’y est évidemment pour rien.

Beaucoup d’adultes narcissiques sont en fait souvent incapables d’aimer et de respecter ceux qu’ils ont pourtant mis au monde. Infantiles, contraints par leur immaturité, ils persisteront toute leur vie à en vouloir à leurs enfants parce qu’ils ne sont pas conformes à leur idéal. Il s’agit là de parents aux comportements toxiques1 et dysfonctionnels, de parents incapables de comprendre qu’ils ont une mission, qu’ils sont parents pour permettre à leurs enfants de se développer harmonieusement et que s’ils ne remplissent pas ce rôle, ces derniers en subiront nécessairement les conséquences en en souffrant.

Et la vie – cruelle2 par nature – reste indifférente aux ressentis de ceux qu’elle a mis au monde.

Le fait, pour un être, de s’être senti aimé par ses parents tout au long de son enfance est certainement un atout grandement facilitateur de la manière dont il pourra se sentir en confiance et solide au moment de son entrée dans l’âge adulte.

Il est évident que personne, aucun être ne choisit ses parents, ni le milieu dans lequel il va grandir. (Même si une certaine vision new-âge pathologique parce que mortifère pose arbitrairement comme principe que les « petites âmes non encore incarnées » des enfants choisissent leurs parents.)

De même que personne ne choisit son handicap, personne n’est prédestiné. À notre naissance, au moment où nous nous incarnons, nous pénétrons dans la dualité sans choisir ce qui nous échoit et certainement pas nos parents3 . Nous n’avons aucune liberté d’action par rapport à la vie qui nous est donnée, ni par rapport au contexte dans lequel elle nous est donnée. En conséquence il nous est juste possible de nous y adapter, compte tenu de la manière dont nous l’appréhendons.

A chercher à comprendre la cause de l’attitude de votre mère, vous pouvez vous y perdre, d’autant plus que les raisons qui sont les siennes d’avoir été comme elle a été, d’avoir eu les comportements qui ont été les siens, ne pourront jamais équilibrer, encore moins satisfaire, votre propre besoin de reconnaissance par votre mère.
La vérité c’est qu’elle a eu l’attitude qu’elle a eue « parce que c’était elle et non pas une autre. »

Par contre, vous pouvez apprendre à cesser de perpétuer son attitude contre vous-même en répétant avec vous-même la manière dont elle vous a délaissé, sous le prétexte que c’est votre mère et que vous cherchez à lui rester fidèle.
Vous partagez que vous ne la fréquentez plus depuis 4 ans, mais vous semblez fréquenter encore ses ressentis à propos de vous-même puisqu’à travers votre ressentiment contre elle, vous conditionnez votre santé, sinon votre bonheur, à sa vision, à ses comportements de mère si peu aimante.
Pourquoi vous condamnez-vous à ne pas vous aimer, sous le prétexte de ne pas avoir été aimé ?

Ce qui – le plus souvent – conditionne le bonheur d’un être, c’est la manière dont il va s’accorder ou non lui-même, le droit à ce bonheur.

Tous, nous récoltons ce que nous semons, c’est la loi des êtres humains. Dites-moi la manière dont vous vous pensez vous-même aujourd’hui et je vous dirai ce que vous allez vivre demain.
S’être senti aimé par sa mère enfant est une facilitation et non pas une nécessité pour oser vivre sa propre vie à son tour.
Les êtres qui ont été mal aimés enfants ne remettent que rarement en cause la manière dont ils ont été mal aimés : souvent et dramatiquement a contrario, ayant été mal aimés, ils se pensent non aimables. Ils répètent et actualisent inconsciemment sans cesse avec eux-mêmes, la relation qui leur a été cruellement imposée.
C’est donc cette tendance, cette facilité à la reproduction, qu’il s’agit pour vous de remettre en cause aujourd’hui.
Votre défi revient à désobéir à votre mère (donc à apprendre à vous aimer), plutôt qu’à perpétuer sur vous le non amour de votre mère en vous délaissant, c’est-à-dire en attendant d’elle ce qu’elle ne peut pas vous donner. C’est dans cette direction que vous parviendrez à faire du neuf avec vous-même, à sortir de votre schéma de dépendance.

Cela revient à vous ouvrir à l’idée que si vous n’avez pas été désiré par votre mère – ce qui est certain – c’est que vous avez été désiré par la vie puisque vous êtes vivant.

A qui allez-vous obéir le temps restant de votre existence temporaire ?
A celle qui (à travers ses souffrances et ses dysfonctionnements) a voulu vous faire passer sous silence ? Ou à la vie qui se donne généreusement à vous depuis votre naissance ?

Vous êtes sur un circuit de moto, des lignes droites à plus de 300 km/h, des chicanes, des virages en épingle à cheveux, un concurrent de la course vous talonne, à chaque instant vous risquez votre peau, peut-être que dans un instant ce sera le désastre ?
Et soudain vous réalisez : « Je suis vivant ! »

Retirez la vitesse, la course, les chicanes et les virages. Que reste-t-il ?

« Je suis vivant »

Il reste ce que les bouddhistes tibétains nomment « Cette précieuse vie humaine. »

Comme l’a écrit Rabindranath Tagore4 :

Je sens que toutes les étoiles palpitent en moi.
Le monde jaillit dans ma vie comme une eau courante ;
les fleurs s’épanouiront dans mon être.
Tout le printemps des paysages et des rivières
monte comme un encens dans mon cœur, et le souffle
de toutes choses chante en mes pensées comme une flûte.

C’est la conscience d’être vivant qui vous aidera à remettre en question l’idée mortifère selon laquelle il serait nécessaire de s’être senti(e) aimé(e) pour se donner le droit de vivre. Être vivant c’est n’avoir le besoin de l’autorisation, de la caution de personne pour être ni pour se sentir être.

Se sentir vivant peut être une forme de désobéissance pour un être qui court le risque d’attendre éternellement une explication qui ne viendra jamais parce qu’il ne peut pas y avoir d’explication totalement satisfaisante pour celui qui ne s’est pas senti aimé par sa mère.

Pourquoi devriez-vous conditionner votre légitimité à vivre au regard de votre mère, puisque né de votre mère, vous êtes aujourd’hui vivant, indépendamment d’elle ? Indépendamment de ses jugements comme de ses appréciations sur vous ?

Montaigne5 a écrit :

« La vie, c’est notre « être », c’est notre tout. (…) C’est une chose contre nature que nous nous méprisions et que nous fassions peu de cas de nous-mêmes ; c’est une maladie qui est particulière à l’homme et qui ne se voit dans aucune autre créature que de se haïr et de se dédaigner. C’est par une pareille puérilité que nous désirons être autre chose que ce que nous sommes. Le profit d’un tel désir est nul pour nous parce qu’il se contredit et s’embarrasse en lui-même. »

Nous avons tous le droit de sortir du syndrome de l’imposteur qui nous empêche de vivre pleinement notre vie quand nous la subordonnons au désir d’avoir été reconnus et aimés par nos parents.
Puisque la vie, est notre être, puisqu’elle est notre tout, nous sommes tous légitimes – quelles que soient les vicissitudes qui ont été les nôtres – à nous l’approprier en revenant inlassablement au présent (donc en laissant le passé dans le passé), en osant ressentir que la vie nous aime puisque nous sommes vivants.

Et là, oser être pour la réaliser, vous réaliser.

Notes :

1. Lire à ce sujet : à propos des parents aux comportements toxiques

2. Lire à ce sujet : La vie n’est pas injuste mais elle est cruelle

3. Lire à ce sujet : Parent efficace ou parent conscient ?

4. Rabindranath Tagore, L’Offrande lyrique, La Corbeille de fruits.

5. In Les Essais, Livre II, chapitre III. Adaptation de André Lanly. Éditions Gallimard. 2009.

Illustration :

Dessin photographié sur une boite.

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2 Commentaires
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DAM

Vous êtes d’utilité PUBLIQUE!
Merci de donner de votre temps, expérience, savoir, énergie à nous, êtres humains en questionnements, errance parfois, voire sur la voie de la sérénité.

Mélanie

Cet article est particulièrement bien écrit. Comme si vous, Renaud, vous étiez à l’extérieur de nous, humains, et que vous puissiez écrire, dire et mettre des mots sur ce qui se passent dans nos vies – qui sont finalement des histoires banales. Là où est la complexité c’est dans notre interprétation et ce dont nous en faisons. Je trouve cette distance NECESSAIRE, très bien décrite et imagée, pour notre survie et ne pas passer notre temps à faire des noeuds dans notre tête. J’ai beaucoup apprécié la manière dont vous retournez les choses pour que nous soyons en face de… Lire la suite »