Question posée par @laurence :
Après plusieurs années d’absence, mon compagnon a pu récupérer son autorité parentale, droit de visite et droit de communication. Malheureusement les appels ne se passent pas très bien, mon compagnon a du mal à s’imposer car il doit encaisser les paroles blessantes de ses enfants (je te déteste, tu n’es rien…) et impossible d’avoir un commun accord pour les visites.
Comment faire pour qu’il puisse créer un lien de confiance avec les enfants et renouer avec eux par le biais du téléphone ?
Mes pistes de réponse :
Quelle que soit la manière dont ils seront traités, les enfants, parce qu’ils sont avides d’amour, aiment leurs parents de manière inconditionnelle, quitte à les idéaliser, jusqu’au moment où leur souffrance de ne pas se sentir aimés en retour crée une rupture qui rend très difficile le retour en arrière.
Quelles qu’aient été les épreuves traversées par votre compagnon, ses enfants ont – à coup sûr – terriblement souffert de ce qu’ils ont vécu comme un abandon de la part de leur père, il vous faut donc comprendre, pour vous en souvenir en toute occasion, que leur ressentiment d’aujourd’hui contre lui s’exprime à la mesure de cette souffrance.
Dans son besoin d’attachement, un enfant qui aspire à être rencontré, aimé et compris par son parent, peut être amené à croire qu’il le hait quand celui-ci ne parvient pas à être à la hauteur de ses besoins vitaux.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, la désolation intérieure de vos enfants s’est muée en ressentiment, sinon en haine contre leur père.
Un enfant privé de l’amour de ses parents (un amour inconditionnel qui n’attend rien ni ne demande rien), croit d’abord que c’est de sa faute si son parent s’est conduit comme il s’est conduit avec lui, il porte le poids de la culpabilité de n’avoir pas su être à la hauteur des attentes de son parent.
Puis, en grandissant, sentant le désarroi et la difficulté à tenir debout de celui dont il se sent confusément avoir besoin pour grandir, il s’ingénie à le déstabiliser, il cherche à le faire trébucher, à le mettre à l’épreuve, comme pour se prouver à lui-même que ce qu’il ressent de lui est faux. C’est ainsi que moins les parents sont à la hauteur de leur rôle (plus ils sont faibles), plus ils s’exposent potentiellement à la dureté de leurs enfants perdus.1
Si votre compagnon est lucide, il devra donc considérer les paroles blessantes de ses enfants non pas comme la conséquence d’un désir de le blesser en se vengeant de lui mais comme le résultat d’années d’éloignement.
Car vos enfants risquent de conserver un ressentiment coriace contre leur père pendant longtemps, si un changement radical d’attitude de celui-ci n’opère pas.
Il va falloir que votre compagnon comprenne que le message : « Je te déteste parce que tu n’es rien » signifie en vérité : « J’ai souffert à l’extrême quand tu n’étais pas là », et qu’il en prenne la pleine mesure.
Et s’il n’y parvient pas, le tragique quiproquo perdurera avec des enfants de plus en plus en colère et un père perdu, de plus en plus immature et accablé, parce qu’incapable de comprendre ce qui se joue chez ses enfants.
Vous me demandez comment créer un lien de confiance avec un enfant blessé et expliquez que votre compagnon a du mal à s’imposer. Ce qui est certain c’est qu’on ne peut pas créer un lien de confiance avec ses enfants autrement que par le respect et l’amour inconditionnel, et que la création d’un tel lien demandera à votre compagnon une très grande habileté, beaucoup de tact et de compréhension en même temps qu’une forte confiance en lui-même. Il lui faudra être patient s’il veut vraiment retrouver une relation avec eux. Y aller doucement. Peut-être les voir séparément, leur proposer des sorties qui leur feront vraiment plaisir…
Il faudrait que votre compagnon soit suffisamment solide pour devenir capable de montrer à ses enfants qu’il les aime, plutôt que de leur montrer qu’il se sent blessé par eux quand ils expriment leur colère.
Un père qui se comporte en victime de son enfant se rend incapable de regagner son estime. Un parent ne doit pas donner à son enfant le pouvoir de le blesser (en amour, l’amour propre n’existe pas). Celui qui montre à son enfant qu’il le blesse, court le risque de se montrer sous un jour insupportable pour lui puisqu’un enfant, pour se développer et prendre pleinement sa place dans l’existence, a besoin de se confronter à un parent qui tient la route, à un parent fort.
C’est ainsi que pour réparer la relation à ses enfants en colère contre lui, votre compagnon aura besoin de réussir à montrer à ses enfants qu’il passe à travers leur ressentiment sans en faire un problème personnel.
Reconquérir la confiance de ses enfants lui demandera d’être suffisamment solide pour se rendre lui-même ouvert, sans protection et vulnérable devant eux : à oser reconnaître et s’excuser d’avoir été à l’origine de leurs souffrances, sans ressentir le besoin de se trouver des excuses ou des justifications que ses enfants ne pourraient pas entendre. C’est à ce moment précis qu’il parviendra à leur faire ressentir que non seulement il les aime, mais qu’il a – aujourd’hui – un fort désir de rattraper le temps qu’il a perdu avec eux.
La réparation du lien à ses enfants va lui demander d’être non seulement convaincant mais aussi de parvenir, par ses comportements, à déraciner les souffrances enkystées chez ses enfants quant au fait qu’il les a abandonnés.
C’est à ce prix que ses enfants pourront changer la perception qu’ils ont de leur père.
Ce travail demandera de l’implication, de la constance et surtout de la présence, c’est dire à quel point la tentative de la création d’un lien par téléphone restera inappropriée quelle que soit la manière dont il s’y prendra. Pour parvenir à se sentir enfin aimé, un enfant qui s’est senti abandonné a besoin de preuves d’amour.
Pour recréer un lien brisé avec un être (à fortiori avec son enfant), on aura besoin de la forte détermination de celui qui parce qu’il aime est prêt à oser renverser tous les obstacles. Cette détermination ne pourra donc être perçue par l’enfant qu’à travers une implication de tous les instants de la part de l’adulte aimant.
Dans un tel contexte, un « vrai » père ne ressentirait pas le besoin de cacher ses comportements passés, il deviendrait ainsi capable de les reconnaître, d’en convenir sans ressentir le besoin d’en avoir honte. Il parviendrait ainsi à avoir des comportements, des paroles et des regards toujours conformes à la vérité de ce qui s’est déroulé dans le passé et qui signifierait : « Je prends aujourd’hui pleinement conscience de la manière dont mon absence et mes silences ont été insupportables pour vous pendant ces années. Je comprends votre souffrance, je comprends que vous soyez dans le rejet et la colère contre moi. Sachez que je suis prêt à prendre en compte ce que vous éprouvez le besoin de me dire, et cela pendant le temps dont vous en aurez besoin.
Sachez simplement qu’aujourd’hui, et quoi qu’il advienne, parce que je vous aime et que je réalise les manquements qui ont été les miens, je suis déterminé à être présent pour vous et à mettre (par exemple) en place avec votre mère des accords qui faciliteront au mieux notre nouvelle relation afin de la réparer, et cela y compris à travers votre besoin de temps pour réfléchir à votre relation avec moi, votre besoin éventuel de continuer de prendre de la distance avec moi compte tenu de votre ressenti.
Sachez que dorénavant et quoi qu’il advienne, je serai là pour vous. »
Dans le contexte d’une grande hostilité (donc d’une grande souffrance), l’enfant pourra rester de marbre face à la main tendue de son parent. Comment parvenir à croire celui qui nous a fait douter pendant si longtemps ? Le parent n’aura alors pas d’autre choix que celui de devoir attendre que son enfant soit en demande pour pouvoir répondre à ses questions.
Mais il ne faut pas oublier que seul celui qui tente quelque chose permet au changement espéré d’advenir et que le simple fait d’avoir montré à son enfant qu’on prenait avec sincérité ses responsabilités de parent, face aux souffrances qui sont les siennes, peut semer une graine d’ouverture.
À vous lire, votre compagnon semble avoir du mal à exister par lui-même, ce qui signifie qu’à travers ses faiblesses, il ne peut vraisemblablement qu’encaisser les paroles blessantes de ses enfants, c’est-à-dire en être la victime, toujours incapable de comprendre leur souffrance.
Tant que votre compagnon se sentira obligé de battre en retraite devant les comportements blessants de ses enfants, il demeurera incapable de gagner leur confiance.
Votre compagnon ne semble donc pas être – pour le moment – prêt à passer l’épreuve du feu avec ses enfants. En fait c’est à lui qu’il faudrait poser la question, c’est lui qui aurait dû m’écrire, et le fait que vous interveniez pour poser la question à sa place m’interroge aussi sur votre relation à cet homme dont vous ne parlez pas. Il est par exemple possible que votre désir qu’il devienne un père pour ses enfants, en l’absence de motivation de sa part, interfère sur sa détermination à être un père pour ses enfants et soit un obstacle à sa prise de responsabilité.
La réparation du lien à un enfant hostile demande de passer l’épreuve de la vérité dans l’amour. Cette épreuve de vérité ne se contentera bien sûr pas seulement de mots, mais se nourrira d’écoute, de regards bienveillants, de gestes, de comportements et d’actes réparateurs qui se doivent de les accompagner pour ébranler la certitude de l’enfant d’être en danger en présence de son parent.
Ce qui s’est passé entre nous et nos enfants s’est passé, il n’existe pas d’autre chemin que celui de convenir entre nous et eux, sans peur, de la vérité de ce qui s’est passé. Le passé douloureux ne peut être guéri que parce qu’il est assumé2. C’est à ce prix, au prix pour le parent de se rendre vulnérable face à son enfant, qu’il est possible de faire vivre et grandir, entre nos enfants et nous, entre nous et nos enfants, la confiance jusqu’alors méconnue.
© 2024 Renaud Perronnet. Tous droits réservés.
Illustration :
Ruth Tietjen : In the Father’s Embrace, oil on Canvas 2004
Notes :
1. Lire l’article : Ce que votre ado ne peut pas vous dire
2. Lire l’article : Esquiver ou digérer
Pour aller plus loin, je vous invite à lire :
- Pour ne plus avoir peur de la bonté ni de l’impuissance
- Comment rencontrer la souffrance de son adolescent ?
- Pourquoi sommes-nous agressifs avec nos enfants et comment y remédier ?
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