Indignation

La plupart des gens croient en la légitimité de l’indignation. Ils croient que leur propre sentiment de colère et d’injustice face à quelque chose qui heurte leur conscience morale va aider à ce qu’il y ait davantage de justice et d’harmonie dans le monde.

En apparence, le raisonnement semble imparable : il faut commencer par refuser les réalités qui nous paraissent insupportables.

Or l’expérience nous montre que l’indignation sera plus un obstacle qu’une aide à notre capacité à agir efficacement pour remédier à ce qui nous paraît injuste.

Qui s’imaginerait un ingénieur en aéronautique, décidé à faire voler un avion, commençant par s’indigner de l’existence même de la loi de la pesanteur sous le prétexte qu’elle s’opposerait à son projet ?

C’est au contraire parce qu’il admettra inconditionnellement la loi de la pesanteur qu’après en avoir compris le principe et le fonctionnement, il réussira à faire voler un avion.

Comme le disait le philosophe anglais Francis Bacon : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant. » Ce qui revient à dire que pour pouvoir agir sur la réalité « telle qu’elle est », nous devons préalablement nous y adapter – et cela en dépit de nos humeurs et de notre sentiment d’injustice.

Si l’indignation est un obstacle à l’obéissance, c’est-à-dire à la soumission préalable et nécessaire à la réalité telle qu’elle est, alors à quoi sert-elle ?

Loin d’être un gage d’empathie pour l’autre ou la cause que nous voulons défendre, elle parle d’abord de nous, de ce qui nous est « personnellement » désagréable, elle est la sœur de l’irritation qui consiste à refuser ce qui nous déplait.

Comme nous l’avons dit plus haut, pour pouvoir agir sur quelque chose et le transformer, nous avons besoin de commencer par le reconnaître comme vrai, et l’indignation nous en empêche puisqu’elle est une forme de déni personnel qui nous éloigne de la cause que nous semblons vouloir défendre.

Le bel essai-pamphlet de Stéphane Hessel : Indignez-vous ! (publié en 2010), auquel le public a été presque unanimement favorable, défend l’idée que l’indignation est le ferment de l’esprit de résistance mais il nous en montre en même temps les limites, puisque l’auteur lui-même a cru devoir lui faire suivre (en mars 2011) un texte plus complet sous le titre plus mobilisateur : Engagez-vous ! – qui démontre que pour servir une cause, on a davantage besoin d’actes que de déclarations, fussent-elles pieuses.

Imaginons que pendant l’Occupation, les Américains, les Anglais ou les résistants se soient contentés de s’indigner…

L’indignation est une émotion primaire au caractère épidermique et non rationnel qui ne coûte rien (qu’un peu de salive) et ne rapporte pas plus que les déclarations d’intention par nature non suivies d’effets. L’engagement, lui, pour une cause qui nous semble juste, entraîne une action délibérée et consciente qui ne peut exister qu’à partir de la reconnaissance des choses telles qu’elles sont.

© 2015 Renaud & Hélène PERRONNET Tous droits réservés. 


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Adeline

Des fois ça me fait du bien que des personnes s’indignent de choses qui me sont arrivées quand je leur raconte, même si elles ne peuvent pas agir, ça me réconcilie avec les émotions que je vis ou que j’ai vécu, je me sens moins seule et je peux passer à autre chose. Au contraire, quand d’autres ne réagissent pas et disent “c’est comme ça, il faut accepter”…ça me renferme dans ma solitude. Moi aussi parfois je m’indigne quand des personnes me racontent des histoires, j’ai des émotions fortes pendant un moment. Je pense qu’on s’entraide en faisant cela parfois.… Lire la suite »

Nyls

Merci pour ce partage, je trouve l’idée intéressante, et je la prends pour ce qu’elle est 🙂 Puisqu’à un moment j’allais dire, tout comme Freyja, que la comparaison avec l’ingénieur aéronautique est peu pertinente. Parce que dans mon esprit je dissociais l’acceptation qu’on pouvait avoir pour ce qui relève de la nature, et ce qui relève de l’action humaine. C’est-à-dire qu’il est plus facile pour moi d’accepter l’idée que la vie soit cruelle, qu’elle n’a pas à être “juste” (comme expliqué dans une autre réflexion), que de le faire pour par exemple des actes de cruautés commis par des humains… Lire la suite »

mat

Bonjour
Je partage tout à fait cette réflexion sur l indignation.
Aussi l’indignation et plus généralement la sensiblerie sont des oeillères.
J’ ai peur de ces phénomènes ou réactions exacerbés.
En espérant être lisible
Merci

Marie

En fait, vous voulez dire que l’indignation est un moyen pour ne pas écouter ce qu’on ressent comme quand on se met en colère contre une personne au lieu de chercher pourquoi on est en colère ?

Freyja

Bonjour! Cet article ne m’a pas vraiment convaincu. Selon moi, l’analogie avec l’ingénieur en aéronautique qui n’arriverait à rien s’il s’indignait contre la pesanteur est vraiment mal choisi. Il n’y a là effectivement rien qui prête à l’indignation, tout comme l’eau qui mouille ou le feu qui brûle. D’un autre côté, un exemple vécu: le voisin qui torture son chien au quotidien fait sonner une alarme en moi, je suis indignée car je repère ce comportement comme déviant et engendrant des souffrances. Je ne suis pas dans le déni, ni dans l’acceptation du comportement récurent. Ceci dit, cela EST, comme… Lire la suite »

Nefelejcs

Bonjour,

Je trouve très bien l’exemple de la pesanteur, et depuis longtemps, pour arrêter mes propres indignations inutiles, j’utilise un exemple similaire, le soleil ou la pluie. On peut s’indigner contre ces éléments mais cela ne donnerait pas grand-chose. J’ai raconté votre analogie à mon mari qui est ingénieur et il l’a trouvé aussi bon.
Et je trouve aussi que l’indignation est contre-productif.
Merci de votre billet.

Marie

Quand j’ai lu votre article ça m’a fait penser à une musique que j’écoutais beaucoup quand j’étais jeune de Mano solo, il ne suffit pas, c’est peut être pour ça que quand je fais une promesse à mon fils j’essaie toujours de la tenir car il ne suffit pas de promettre…j’écoutais cela quand j’avais 15 ans et hier je me suis mise à réécouter ce qu’il chantait, j’avais bien enfoui cette période et maintenant à mon âge tout prend un sens. En fait, votre réflexion vaut pour tous les moments de la vie oui pour la faim dans le monde… Lire la suite »

Isabelle

S’indigner, ce peut être une façon de défendre l’autre, de ne pas rester muet face au tort qu’on lui fait. Cela a été pour moi, deux fois dans ma vie professionnelle, une manière de résister contre un employeur. Evidemment, cela m’a coûté mon emploi par deux fois. La première fois, je travaillais auprès de mamans en difficulté sociale et la directrice venait de décider de renvoyer une jeune femme avec ses jumeaux de six mois parce qu’elle avait un caractère trop insoumis. J’ai osé dire que je n’avais pas eu de problème avec cette jeune-femme. J’ai tenté de trouver des… Lire la suite »

Catherine

Bonjour, oui justement je me disais que par exemple sur les réseaux sociaux on s’indigne beaucoup, on s’engage peu, je ne vais pas dire que je ne m’indigne que pour des causes où je peux m’engager, sinon je n’aurais pas le temps, car il y en a beaucoup. Oui c’est facile de s’indigner, vous donnez comme exemple les alliés et les résistants, ils étaient armés et nous étions en guerre. Alors quand on manifeste sans armes et qu’on peut se faire tuer, on s’indigne et on manifeste encore en sachant qu’une banderole contre une grenade, ce n’est pas le même… Lire la suite »