Mauvaise conscience

L’autre jour sur mon blog, une jeune femme qui commençait à prendre conscience de la manière dont elle n’avait pas été respectée par ses parents tout au long de son enfance, partageait avec lucidité : « tout est paradoxal dans ma relation à mes parents. (…) J’ai l’impression qu’ils ne m’aiment pas moi mais ce que je représente, je représente leur enfant fantasme. » Et, après avoir évoqué « ce regard de domination, de supériorité, de sadisme lorsque je pleurais à cause des coups ou des mots de mon père », elle poursuivait : « Ils ne se rendent pas compte de leurs mots, gestes. Ils ont été élevés comme ça et conservent une certaine rancune envers leurs parents. Sauf que ça c’est moi qui le paie. Et j’ai cette culpabilité de penser ça d’eux parce que je n’en ai pas le droit. Il y a des parents alcooliques, incestueux… Je ne me sens pas le droit de m’en plaindre. (…) Il y aura toujours cette emprise, du moins elle sera présente encore de nombreuses années, j’en suis sûre, je n’ai pas le choix. (…) Il faudrait une discussion, des remises en question. Et ça ne sera jamais possible, car si j’ai cette capacité de remise en question elle ne m’a été léguée par aucun de mes parents. Quoi que je fasse rien ne changera, du moins pas en bien. Je n’ai que la possibilité de subir et de culpabiliser de penser ces choses. »

Que se passe-t-il pour cette jeune femme ? Que vit-elle à travers sa souffrance lucide ?

En fait, elle constate qu’elle ne peut pas agir « sur » ce qu’elle découvre de ses parents à cause des préjugés de sa conscience qui portent un jugement sur ce qu’elle ressent. Il lui paraît impossible de se soustraire aux injonctions et aux préjugés de sa conscience alors même que – tragiquement – elle sent bien qu’elle s’enferme dans un piège de souffrance.

Elle est pourtant – comme chacun de nous – née innocente avec une conscience vierge de toute notion de bien et de mal. Cette conscience a été forgée au bien et au mal (au contact de ses parents) et la juge désormais en lui interdisant de faire ce qui serait bon pour elle.

L’unique façon pour elle d’abandonner les préjugés de sa conscience, c’est de prendre le risque d’avoir mauvaise conscience. Ce risque lui paraît impossible à courir car sa conscience lui affirme qu’elle n’a pas d’autre possibilité que de subir la maltraitance et de culpabiliser de penser ce qu’elle pense.

Comme l’exprime le psychothérapeute Bert Hellinger qui a créé une méthode de thérapie familiale appelée « constellation familiale » : « Nous suivons un mouvement de la conscience qui exige de nous un type de pensée et un comportement qui nous apportent la certitude de pouvoir appartenir au groupe qui est important pour nous, en premier lieu notre famille d’origine. Ce mouvement de la conscience a un effet positif pour nous : en lui, nous nous sentons bien et en sécurité. »

C’est pour cette raison que c’est si difficile de sortir du monde des préjugés de la conscience et d’affronter l’insécurité et la culpabilité dans laquelle la mauvaise conscience nous met.

Tant que nous ne pouvons pas remettre en cause notre appartenance aux valeurs de notre famille d’origine, nous nous condamnons à rester enfermés dans notre prison.

Bert Hellinger ose même affirmer qu’il ne peut pas y avoir de libération sans mauvaise conscience.

Crédits :

– Mauvaise conscience, merci à Gwichin.

© 2014 Renaud & Hélène PERRONNET Tous droits réservés.


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6 Commentaires
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Alves da silva

Tout d’abord, merci pour cet article au travers de ce témoignage d’une lucidité époustouflante. J’ai également grandi dans une famille dysfonctionnelle et maltraitante. Prise entre une mère d’une grande fragilité et alcoolo-dépendante et un père dominateur et tyrannique, lui aussi avec des excès de boisson, plus subtile, si j’ose dire. Néanmoins, ils sont tous les deux partis des conséquences de leur alcoolisme. Évidemment, je me sentais mal, d’autant que j’étais toujours « victime » de relations toxiques et destructrices. Comment pouvait-il en être autrement..A 30 ans, j’étais suicidaire. J’ai vraiment commencé un travail sur moi à 36 ans avec une… Lire la suite »

Ronan

Merci Renaud pour cette réflexion n°34 ! Aujourd’hui j’ai 51 ans et j’ai mis 49 ans à comprendre que la psychologie de ma famille (ma mère et celle de mon frère) est à peu prêt équivalente à celle d’un poireau. J’ai, durant toutes ces années, cherché leur reconnaissance mais dès l’origine, je n’étais pas désiré et donc considéré comme en trop (sauf pour mon père mais il est “parti” trop tôt). Aujourd’hui je n’ai absolument plus mauvaise conscience de leur dire ce que je pense de leurs comportements toxique avec une distance remarquable. Je suis moi ! Il y a… Lire la suite »

Ronan

Avec plaisir Renaud, c’est un juste et très modeste retour des nombreuses années de lecture de votre Blog que je recommande souvent, soit à des amis, soit à mes patients. Merci pour la clarté de tout ce que vous mettez en ligne à peu de frais et qui est très éclairant.

soly

Grand merci Dussol, et tenez bon ! votre témoignage est très éclairant. La mauvaise conscience c’est aussi affronter le regard de la société, les bien-pensants ! Je vous trouve très courageuse, vraiment ! il n’y a pas de mal à s’exiger du respect pour soi même, il n’y a que vous pour le faire, même si c’est dur. Je crois ainsi on retrouve une force que l’on utilise pour soi et non contre soi, c’est ce que je comprends en passant par la mauvaise conscience. Bonne continuation et Merci pour cet article

Dussol

Cet article arrive à point nommé. J’éprouve moi aussi de la mauvaise conscience et de la culpabilité envers ma mère, bien que mes besoins de respect et de paix intérieure n’aient jamais été respectés. Elle a eu une enfance très difficile, orpheline de mère à 8 ans et elle et ses 2 soeurs maltraitées par leur père et leur belle-mère, traitées un peu comme Cosette. Donc évidemment, comment me plaindre moi quand enfant j’allais mal ? Les traumatismes qu’elles ont subi ont été importants, une de ses soeurs s’est supprimée à 45 ans en tuant auparavant ses 4 enfants, et… Lire la suite »