Avant de lire son partage, précisons que Vanina est ASG (Assistante de Soins en Gérontologie), ce qui signifie qu’elle est une AS (Aide Soignante) expérimentée dans la prise en charge de personnes âgées en grande dépendance.
Pour devenir ASG, Vanina a suivi une formation spécifique de 140 heures. Les textes officiels disent que les compétences d’une ASG sont « d’assurer avec attention, vigilance et sollicitude tous les actes qui soulagent une souffrance, créent du confort, restaurent et maintiennent une bonne qualité de vie de la personne âgée. Dans sa tâche, elle écoute, conseille, soutient et guide l’aidant de la personne âgée et l’accompagne dans le choix de l’adaptation, parfois nécessaire, de son cadre de vie. »
Cette fois-ci, Vanina témoigne de la distance qu’il y a entre ce qu’on demande aux soignants de savoir faire en formation, les valeurs attachées à leur présence auprès des personnes âgées souffrantes, et la réalité du terrain.
Elle m’a écrit en m’envoyant son article : « c’est violent, même si ce n’est pas nouveau. »
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« LE PROBLÈME C’EST VOUS ! »
24/10/17 – Libre partage de Vanina :
Cet été, je suis revenue vers ma directrice à cause de la récurrence de situations de fin de vie qui m’interpellent : pas d’annonce formalisée des aggravations, pas de réflexion interdisciplinaire sur les stratégies thérapeutiques d’accompagnement, pas de réajustement du projet de soin ni du plan de soin (il faut attendre que les malades soient en stade terminal pour que les infirmières nous permettent de les laisser se reposer dans leur lit car elles ont peur des escarres), pas d’anticipation des complications prévisibles, non reconnaissance des signes de l’agonie et distance ou non-investissement des soignants auxquels nulle analyse des pratiques n’est sérieusement proposée a postériori. Ce qui fait que l’équipe ne progresse pas sur ce sujet de première importance en EHPAD (établissement hospitalier pour les personnes âgées dépendantes). La dynamique d’évolution est tuée dans l’œuf par la banalisation de ces évènements. Le médecin-coordinateur a même pu dire à propos d’un décès du même ordre : « l’œdème aigu du poumon est la façon la moins anxiogène de mourir pour une personne âgée. »
Je lui explique qu’aux transmissions, la psychologue a proposé aux collègues présentes lors du décès de Mme D de s’exprimer. Dans un premier temps, réticentes, elles ont fini par relater une situation somme toute fréquente en gériatrie : fausse-route / dyspnée aigüe / insuffisance respiratoire / détresse respiratoire.
Je lui explique que ces situations sont des urgences médicales car le pronostic vital est alors engagé, qu’elles sont associées généralement à une anxiété majeure, une sensation d’étouffement très inconfortable entrainant une agitation et souvent des douleurs, un épuisement respiratoire massif lié à l’hypoxémie et une hypoxie. Il y aurait donc bien des choses à mettre en place (et/ou à anticiper) pour les personnes vivant un épisode de cet ordre.
La directrice me dit dans un premier temps que mes interrogations sont légitimes et m’invite à les formuler :
Quel a été le message téléphonique délivré au médecin par l’IDE ? Ce sont deux choses différentes d’annoncer une fausse route et une dyspnée aigüe sévère d’évolution rapide.
Quelles ont été les constantes mesurées et prises en compte au cours de l’évolution défavorable de l’épisode.
Pourquoi n’a-t-elle pas fait appel au SMUR ?
Pourquoi le médecin ne s’est-il pas déplacé auprès de cette personne de 103 ans, très vulnérable, vivant cette situation critique ?
La dyspnée, la pâleur, les sueurs, l’agitation, l’hyper sialorrhée, la température, l’encombrement, l’épuisement ont bien été décrits par mes collègues AS. Ce sont des signes cliniques très évocateurs induisant une réaction rapide. L’insuffisance respiratoire est une urgence médicale.
Si le médecin décide une limitation ou un arrêt de traitement, il est tenu d’obligations : recherche des souhaits du patient, décision motivée et tracée dans le Dossier Médical, mise en œuvre des soins palliatifs, soulagements des symptômes de fin de vie.
Mes formations me disent des pratiques recommandées : respect de la déontologie, de la législation de fin de vie (droit d’accès aux soins palliatifs), reconnaissance des situations critiques, anticipation des complications prévisibles (ici fond d’insuffisance cardiaque sur personne très âgée), rôles propres de chacun et interdisciplinarité.
Je lui relate aussi que le médecin-coordinateur, après ma question : « le médecin ne s’est pas déplacé ? » a prématurément clos le sujet en disant que les médecins ne pouvaient pas se déplacer pour la moindre fausse route et qu’il aurait fait de même à sa place et il a ajouté : « de toute façon, il n’y avait rien à faire ». A propos d’un autre décès dans des conditions similaires, il avait assuré à l’équipe que l’œdème aigu du poumon était la façon la moins anxiogène de mourir pour une personne âgée et ce disant, s’il avait réconforté certaines collègues, il en avait sidéré d’autres.
Les retours de la directrice au long de l’entrevue ont été les suivants :
Que le temps d’expression prévu sur ces évènements devait me contenter et qu’elle ne comprenait pas pourquoi à chaque fois qu’une situation similaire se produisait (décès dans de mauvaises conditions), je me tournais vers elle.
Que j’avais la fâcheuse habitude de me buter quand les réponses qui m’étaient fournies ne me convenaient pas.
Que ce que je venais de lui dire la faisait se questionner sur mon niveau de confiance en l’équipe qui a certainement les mêmes connaissances que moi et sur mon degré de sensibilité (presque sur mes capacités de travailler en EHPAD).
Que je ne réalisais pas que dans un service de 64 personnes, on ne pouvait espérer prendre en charge chacune des situations individuelles de ce genre.
Que je n’avais pas le droit de critiquer une décision médicale et que si j’avais le sentiment d’une maltraitance, je n’avais qu’à faire un signalement.
Je lui ai dit que j’avais pressenti sa réaction et lui ai rappelé que mon souci premier était l’absence de discussion collégiale et non arbitraire après un évènement et que la confiance ne se donnait pas aveuglément.
Nous devions aborder un autre sujet de controverse après celui-ci mais elle a pris congé de moi en m’avertissant d’une convocation officielle à venir. J’ai vraiment eu l’impression qu’elle me prévenait d’ores et déjà d’un avertissement.
J’ai décidé de laisser l’été se passer, de me donner à nouveau un temps de réflexion sur mon investissement dans cet établissement (depuis six ans déjà), contre vents et marées (ostracisme impressionnant et tentatives de déstabilisation, voire menaces), dans la constance de mes convictions professionnelles. Malgré mes nombreuses formations (ASG, colloques et séminaires à Lyon, Paris et Bordeaux, Diplôme universitaire d’accompagnement et de soins palliatifs en gériatrie…), malgré ma persévérance et ma robustesse, je ne parviendrai à rien sans la volonté et le soutien de ma hiérarchie dans cette équipe difficile.
Mais ça s’est vite enchainé et je fus rapidement convoquée, seule face à l’équipe de direction au complet accompagnée d’une infirmière, tous solidaires dans l’expression de leur mécontentement par rapport à mon comportement. (Je rappelle ici que je n’avais qu’osé timidement demander pourquoi le médecin ne s’était pas déplacé.)
Je me suis donc rendue à la convocation et ce fut, comme je l’avais pressenti, une avalanche de critiques, de propos dévalorisants et dépréciatifs. Chacune de mes tentatives de justifications fut systématiquement Interrompue, récriée et invalidée.
Très brièvement voici ce qui s’est passé :
L’infirmière, qui s’était « courageusement » (dixit la directrice) jointe à l’équipe de direction, m’a reproché ma défiance qui la mettait mal à l’aise. Le médecin-coordinateur lui m’a reproché ma « toute puissance » traduite selon lui par mes demandes d’explications systématiques alors que les infirmières et les médecins n’ont pas de compte à rendre aux aides-soignantes : « vous avez le droit de vous poser des questions mais pas de les poser car ce sont des accusations », « vous n’avez pas à revenir sur les évènements déjà abordés et sur les décisions prises », « le problème c’est vous – qui ne supportez pas la souffrance des résidents ».
La directrice a souligné sa lassitude de la répétition des plaintes contre moi, du temps que je faisais perdre en conséquence à l’équipe de direction auprès de laquelle je n’avais pas le droit de m’exprimer comme je le faisais. Elle m’a rappelé qu’il y avait des fiches de signalement pour les dysfonctionnements. La cadre a eu à mon encontre les critiques mensongères les plus diffamatoires et blessantes en me disant que 80% de l’équipe se plaignait de moi, que mon souci de prodiguer des bons soins perturbait leur rythme de travail, que je n’étais pas faite pour travailler en équipe, que je choisissais les personnes que je prenais en charge en fonction de mon affectivité. Ce fut le coup de grâce.
Depuis toujours soucieuse de faire pour le mieux mon travail dans sa globalité, passionnée des soins et accompagnements gérontologiques de tous ordres et attachée aux valeurs du soin aux personnes fragiles, ces dernières et redondantes accusations de la part de ma cadre m’ont sidérée.
Je me suis sentie humiliée dans mon identité professionnelle et personnelle. Choquée, j’ai demandé à ma directrice une rupture conventionnelle puisque visiblement, on ne voulait pas de moi dans l’équipe et j’ai quitté la réunion pour me rendre chez mon médecin.
Vanina, assistante de soins en gérontologie.
Note :
Vanina a déjà publié plusieurs articles sur mon site : Prenez le plus grand soin d’eux ! et Accompagner jusqu’au bout.
Pour aller plus loin, je vous invite à regarder l’émission « Pièces à conviction » du 19/10/17 sur France 3 : Maisons de retraite : les secrets d’un gros business
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Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)