Comment s’y prendre pour changer sa vieille mère ?

Question posée par Simon :

Ma mère veut tout contrôler. Son mari, l’intendance, sa famille, l’argent… Elle a toujours raison et sait tout sur tout. Elle est hypocondriaque, souvent malade et fait régulièrement des analyses médicales. La seule fois où elle a réellement été confrontée à elle-même en psychothérapie, elle a changé de thérapeute. Je l’aime mais elle est difficile à vivre. Elle a 78 ans.

Comment l’aider à évoluer ?

Mes pistes de réponse1 :

Je vous invite à investiguer l’hypothèse que si votre vieille mère vous épuise, ce n’est pas parce qu’elle veut tout contrôler, mais plutôt parce que vous lui résistez en pensant que si vous ne lui résistez pas vous allez vous faire dévorer par elle.

Que ce sont donc vos propres craintes, et vos besoins d’avoir raison face à elle qui vous font gaspiller beaucoup d’énergie et sont à l’origine de votre façon de la trouver difficile à vivre..

Dans ce contexte – inconscient de votre propre participation active à votre épuisement – vous en arrivez à aspirer à ce que ce soit elle qui change.

Je ressens votre question comme étant à la fois honnête et sincère et en même temps – inconscient du refus qui est le vôtre de l’accepter telle qu’elle est – vous arguez qu’il faut l’aider à évoluer. C’est ainsi que vous en arrivez à transformer en « relation d’aide » (qu’elle n’a pas demandée) votre besoin personnel d’évolution de votre mère.

Or vouloir aider l’autre parce que son comportement nous est intolérable, n’est qu’une manière d’échapper à soi-même.

Pour pouvoir changer, un être doit en ressentir préalablement le besoin. C’est parce que son besoin devient conscient pour lui qu’un être peut trouver en lui-même la motivation pour y répondre. Cela veut dire qu’un être qui ne ressent pas intimement dans sa chair le besoin de changer ne changera pas.

Aucune relation d’aide ne pourra jamais fonctionner sans le consentement explicite de l’aidé. De plus, à vouloir aider votre mère à changer sans son consentement (donc à projeter votre besoin à vous sur elle), vous courez le risque de la braquer.

C’est ainsi que, sans que vous en ayez conscience, votre désir, en apparence bienveillant, d’aider votre mère à évoluer, pourrait facilement devenir un obstacle supplémentaire et nouveau entre vous et elle.

Vous partagez que votre mère est difficile à vivre mais que vous l’aimez. Il va donc vous falloir choisir entre la mettre à l’écart parce que vous la trouvez insupportable et tenter de vous rapprocher d’elle parce que vous sentez que vous l’aimez.

La véritable question est celle de la nature de votre amour pour votre mère. Dans une relation d’amour, ce ne sera certainement pas celui ou celle qui tient le moins à l’autre qui fera le premier pas pour aller vers lui. Autrement dit, c’est invariablement celui ou celle qui aime le plus l’autre qui s’adapte à lui ou à elle. Je ne suis pas en train de dire qu’il « faut aimer ses parents », personne n’a jamais à se sentir obligé(e) à devoir aimer qui il n’aime pas, chacun a le droit d’estimer pour lui-même qui il aspire à aimer, mais que si vous ressentez de l’amour pour votre mère, vous allez devoir chercher à vous adapter à elle.

Le plus souvent nous souhaitons que nos vieux parents changent pour nous, qui sommes enfermés à l’intérieur de nos propres besoins d’enfant, qu’ils s’adaptent à nous. Nous nous sommes rarement imaginés capables de nous adapter à eux… quitte à respecter nos propres limites en les fréquentant moins.

S’adapter à une personne qui nous épuise ne devient risqué et dangereux que pour celui ou celle qui pense qu’il n’a pas d’autre choix que de s’adapter (on entend si souvent les personnes s’esclaffer qu’elles n’ont « pas le choix » !) Votre adaptation – pour être réelle et effective – doit être consentie, elle doit provenir de votre cœur et non de votre sentiment d’obligation, de votre culpabilité ou de votre croyance abusive que vous n’auriez pas d’autre choix que celui de vous adapter.

Votre travail est donc de parvenir à sentir avec lucidité la différence entre ce à quoi vous consentez et ce à quoi vous ne consentez pas. C’est souvent parce que nous sommes incapables de savoir vraiment ce que nous voulons, incapables de percevoir nos propres limites, que nous rejetons la faute sur les autres en les accusant d’exiger de nous ce que nous croyons devoir leur donner (pour être un bon fils, une bonne fille) et qu’en réalité nous ne sommes pas prêts à leur donner parce que nous n’y consentons pas. Divisés que nous sommes entre une part qui culpabilise en pensant qu’il faut donner et une autre part qui le refuse, nous nions cette division et la retournons contre les autres sous forme d’agressivité.

 Pour aimer votre mère, pour rendre votre amour accessible (donc pour qu’éventuellement elle puisse le percevoir, donc le recevoir), vous devez commencer par vous respecter vous-même. C’est toujours dans cet ordre que l’amour de l’autre devient possible : commencer par vous aimer, respecter vos limites, pour pouvoir aimer et respecter l’autre.

Nous ne pouvons aimer les autres qu’à travers l’amour que nous nous portons à nous-mêmes. Un être qui ne s’aime pas lui-même ne peut pas aimer les autres. S’il n’y a pas de respect de soi-même, il y aura de la violence contre soi-même et cette violence contre soi-même s’exprimera en violence contre l’autre. Nous savons tous que quand nous nous contraignons à être aimables vis-à-vis des autres, nous allons tôt ou tard, ressentir le besoin de le leur faire payer. Il nous faut absolument nous souvenir de cette évidence : personne n’a le pouvoir de se forcer à être bon. La bonté vient du cœur, à un moment « m », le cœur est ouvert ou il ne l’est pas. Nous ne pouvons pas l’ouvrir de force, par contre nous pouvons travailler à être moins maltraitants et de plus en plus doux et habiles avec notre propre cœur, pour qu’il s’ouvre un jour.

 C’est ainsi que cela fonctionne, vous parviendrez petit à petit à accepter le besoin de contrôle de votre mère en commençant par vous laisser toucher par elle. (Ce ne devrait pas être trop difficile puisque vous l’aimez, en même temps, notez que plus vous la jugez comme difficile à vivre, plus vous diminuez la possibilité pour vous de vous laisser toucher par elle.) Nos jugements sur les autres sont toujours des obstacles à pouvoir les rencontrer.

Parallèlement, considérez que ce rapprochement ne deviendra pour vous possible que dans la mesure où vous ne vous mettrez plus vous-même dans la contrainte d’être un « bon garçon » pour elle. Ce qui signifie que votre tolérance vis-à-vis d’elle grandira à la mesure de votre non-violence pour vous-même.

L’enfant que vous avez été a sans doute souffert des comportements excessifs et autoritaires de sa mère. Si c’est lui qui est aux commandes aujourd’hui dans la relation à sa mère, il ne peut qu’avoir le désir qu’elle change (en croyant sincèrement vouloir l’aider pour éviter la culpabilité), il est donc incapable de l’accepter telle qu’elle est.

Or votre mère, à 78 ans, ne changera pas, c’est une chose certaine, être conséquent avec vous-même puisque vous dites l’aimer, c’est parvenir à faire le deuil de la mère sereine et tolérante que vous auriez aimé avoir… pour vous ouvrir à la mère qui est la vôtre.

Il n’existe pas d’autre chemin que celui qui vous mènera à la prendre telle qu’elle est, si vous voulez être en paix avec elle, avant qu’elle ne parte pour toujours.

On entend souvent dire « il faut se sacrifier pour son parent », c’est exactement l’inverse que je vous propose. Aimer votre mère ne doit pas vous faire courir le risque de devenir sa victime, ce serait de l’amour masochiste n’est-ce pas ?

Pour aimer, il faut commencer par comprendre que personne n’est « tenu » à aimer un autre. Puis apprendre à changer le regard que nous portons sur cet autre (comment pourrions-nous aimer quelqu’un que nous jugeons ?) Aimer votre mère c’est l’accepter peu à peu telle qu’elle est, tout en vous souvenant – au même moment – que personne n’est tenu de devoir supporter ce qui lui pèse. Cela signifie que votre amour a besoin d’être délibéré et non contraint pour exister de manière sereine. Que représenterait pour nous un amour non serein ?

 Il nous faut aussi comprendre que le plus souvent – et en particulier dans les relations filiales – nous ressentons le besoin d’être entendus, reconnus et même compris, par des parents qui ne peuvent ni nous entendre, ni nous reconnaître, ni nous comprendre. (Ils le « devraient » pensons-nous souvent, mais ils en sont incapables quand ils sont eux-mêmes restés des êtres immatures.)

S’il est vrai qu’une relation ne peut grandir que dans le jeu mutuel des renonciations et des consentements, il vous faudra vraisemblablement apprendre à renoncer à vous sentir compris par votre mère pour faire grandir la relation. Voir et comprendre qu’elle est d’autant plus « difficile à vivre » pour vous que vous ressentez le besoin d’être approuvé par elle. Votre besoin de compréhension est une dépendance qui est sans doute votre talon d’Achille dans votre relation à votre mère.

Je me souviens personnellement à quel point il l’était pour moi dans ma relation à mon propre père. Jusqu’au moment où Arnaud Desjardins2 m’a invité à regarder mon père d’une nouvelle manière, de voir non plus « mon père », encore moins « mon papa », mais cet homme que les autres appelaient « Monsieur Perronnet. »3 J’avais confiance dans l’accompagnement de cet homme de cœur et j’ai senti qu’il y avait là une réelle possibilité pour moi de voir4 mon père comme je ne l’avais jamais vu. Je l’ai donc fait. Je me souviendrai toute ma vie de ce jour où tout a basculé. Pour la première fois, je voyais non plus « mon père » à travers mes projections, mais un être humain comme un autre, il avait soudainement perdu le pouvoir que je lui avais donné depuis toujours, et cela provenait de la manière dont j’avais osé me situer moi-même vis-à-vis de lui. Ce moment a été d’une importance immense pour la suite de notre relation, c’est-à-dire pour ma propension à ne plus mendier sa compréhension et à rester moi-même en sa présence. Il a été aussi important dans ma relation aux autres en général, je peux vraiment dire qu’il y a eu un avant et un après.

En fait il est fort probable que votre vieille mère soit très précisément la personne qu’il vous faut pour apprendre à renoncer à votre dépendance vis-à-vis d’elle.

Devenir plus tolérant avec elle sera d’autant plus difficile pour vous que vous chercherez à avoir raison contre elle (il vous faudra alors rencontrer votre peur d’être dévoré par elle), votre but est donc de lui permettre d’avoir raison (et pourquoi pas contre vous) ou en tous cas d’avoir ses propres idées, différentes des vôtres, ce qui (nous l’avons vu), est différent de penser devoir lui obéir comme un enfant.

Nous sommes tous conditionnés par le regard que nous posons sur les choses et les êtres, et en particulier sur nos parents. Le comprendre est chose facile mais mettre en application ce que nous avons compris en est une autre, particulièrement précieuse. Je fais donc l’hypothèse que vous posez un regard particulier sur votre mère, un regard d’enfant dépendant qui ne la supporte pas, et c’est ce regard qui vous la rend difficile à vivre. Comprenez que, tant que vous la voyez comme une maman difficile, vous ne pouvez qu’être son enfant.

En allant dans cette direction il est possible que – plus tôt que vous ne vous y attendiez – votre mère en arrive à penser que son fils, avec lequel elle s’accrochait si souvent, a vraiment changé. Auquel cas vous pourriez même en arriver à penser que votre mère a vraiment évolué.

Nous pourrons alors convenir ensemble que le changement si étonnant de votre mère, aura été lié à votre capacité à vous à accepter et aimer un être si différent de vous.

© 2022 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.

Notes :

1. Je précise à mes lecteurs qu’il ne s’agit pas ici pour moi de leur dire ce qu’il faut qu’ils fassent avec leurs parents, mais d’une simple piste de réflexion que je propose à un homme qui m’a écrit son vécu paradoxal : « J’aime ma mère mais elle est difficile à vivre. » 

2. Pour en savoir davantage, lisez : Qui je suis ?

3. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez lire la lettre complète qu’Arnaud Desjardins m’a adressée à ce propos et qui figure page 126 du livre : Arnaud Desjardins, Pour une existence consciente, Lettres à ses élèves, Tome 2, Éditions Accarias L’Originel, 2021.

4. Dans le livre de R. Srinivasan Entretiens avec Swami Prajnanpad, Éditions Accarias L’Originel, 1984, p. 69, Swami Prajnanpad fait la différence entre « voir » et « VOIR », il explique que VOIR, c’est faire sa propre expérience et tirer ses propres conclusions, il précise même que les expériences des autres n’ont pas de valeur. Si vous êtes intéressé(e) par ce concept vous pourrez lire avec profit cette histoire : Dissiper l’illusion.

Illustration :

Dessins de Cosmo Animato.

Pour aller plus loin, vous pouvez faire le test : Êtes-vous adulte ou fusionnel dans la relation à vos parents ?

Pour explorer davantage la relation parent / enfant, je vous invite à lire mes articles sur les relations aux enfants.


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marylene

Bonjour a la mort de mon père il y a 7 ans ma mère a laissé libre cours à sa nette préférence pour ma soeur et beaucoup d’incompréhension et de tristesse en ont résulté pour moi. Un sentiment de colère et d’injustice m’a longtemps habitée ,jusqu’à que ce que je vois que je la maintenais dans le rôle de maman et moi de petite fille mendiant l’amour.je n’ai pas réussi à transformer la déception et la lucidité nouvelle en amour ,elle m’agace encore beaucoup mais j’ai réussi à mettre des limites et je me sens plus adulte, plus en paix.… Lire la suite »

claudie

c’est un très bel article, juste, parlant de la grandeur de la transformation quand elle peut advenir et de la possibilté d’amour qui en découle.

claudie

oui vous avez peut etre raison ..l’amour en amont permettrait la transformation ; ce serait la capacité d’éprouver de l’amour ou d’utiliser celui que nous avons en nous ? qui transformerait la situation .

SOURTOTATOB

MERCI INFINIMENT je vis la même “histoire” avec ma mère votre article tombe à point nommé !!! il va mettre utile …… c’est très surprenant mais je vais essayer de “voir” ma mère comme Madame X
MERCI MERCI