Les anges me parlent, qu’en faire ?

« Ce qui est important, ce ne sont pas seulement les expériences extraordinaires dont l’ego est friand mais la transformation de l’être. Une personne donnée peut passer par diverses expériences exceptionnelles et ensuite les raconter. Mais en quoi ces expériences ont-elles vraiment changé cette personne ? L’essentiel c’est ce qui émane d’un être humain, la manière dont un homme ou une femme vit et rayonne dans le monde au milieu de ses semblables. »

Arnaud Desjardins, Regards sages sur un monde fou, Éditions La Table Ronde, 1997, p. 230.

Aujourd’hui, il m’arrive de plus en plus fréquemment d’être en contact, à travers mon site internet, avec des personnes qui, sous le prétexte qu’elles ont eu l’impression d’avoir vécu une expérience transcendante, et alors même qu’elles vivent parallèlement des émotions tout à fait ordinaires, sont persuadées avoir eu un « éveil spirituel » définitif.

Je rencontre également d’autres personnes séduites par les premières…

Il faut savoir qu’il y a ainsi chaque jour sur internet de nouvelles personnes qui – persuadées d’être « éveillées » – créent un site internet ou se mettent en scène sur YouTube, en prétendant pouvoir mener d’autres personnes à l’éveil.

La fabulation ne s’accompagne pas nécessairement de l’intention délibérée de tromper, la personne qui fabule peut se croire sincèrement transformée, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un comportement pathologique qu’il faut apprendre à discerner.

Pour ce faire, il faut garder à l’esprit que les pathologies des personnes qui prétendent être ce qu’elles ne sont pas s’exercent plus particulièrement dans trois domaines : l’abus de pouvoir, la sexualité et l’abus financier.

On peut estimer qu’une partie importante du chemin spirituel a été parcourue par celui dont le cœur peut s’ouvrir et s’exprimer sans se préoccuper de l’opinion des autres ; mais qu’en est-il de celui qui prétend ne plus se préoccuper de l’opinion des autres s’il n’a pas le cœur ouvert ?

On raconte qu’au Tibet1 il y avait un célèbre yogi qui vivait depuis des années en faisant ses pratiques avec ardeur dans une cabane de montagne.

Il vivait du soutien des villageois de la vallée et un jour de fête, il entendit que ceux-ci allaient venir lui rendre visite.

Le yogi balaya soigneusement sa cabane, nettoya les bols d’offrande sur son autel, fit une offrande spéciale à une divinité et lava ses vêtements. Puis il s’assit et attendit mais un sentiment de malaise l’envahit. Qui donc essayait-il d’être ?

Pour finir, il se leva, prit plusieurs poignées de poussière et les jeta sur l’autel.

Il est dit que ces poignées de poussière furent sa plus grande offrande spirituelle.

Le poète René Daumal écrivait :

« On ne peut pas rester au sommet éternellement. On doit redescendre… on grimpe et on voit ; on redescend et on ne voit plus mais on a vu. Il y a une manière de se comporter… en se souvenant de ce que l’on a vu là-haut. Lorsque l’on ne peut plus voir, on peut encore au moins savoir. »

Savoir c’est donc devenir capable de se souvenir constamment de ce dont on a été témoin.

Tant qu’il n’est pas plein, un vase ne pourra pas déborder, ce qui signifie que celui qui a encore besoin de se souvenir de son expérience ne vit plus son expérience, son vase ne s’est donc pas encore complètement rempli.

C’est le novice qui confond de manière illusoire les sensations extrasensorielles avec un éveil spirituel.

Le frère Jean rapporte cette anecdote2 avec le père Séraphim, du monastère de Saint-Sabbat, dans le désert de Juda, près de la mer Morte.

Quand vous êtes dans le désert vous jeûnez, vous priez, vous veillez. Très vite vous développez des sensations extrasensorielles : « Les anges vous parlent », dit-on communément.

« Un jour je me sentais vraiment exalté, je me sentais vraiment porté par la Grâce. Naturellement, ma première réaction fut d’aller le dire à l’Ancien.

– Père, les anges me parlent, je décrypte les textes évangéliques, je me sens en communion avec l’Univers dans l’Amour infini et puissant…

Le Père me dit, sans lever les yeux :

– Va balayer les latrines et regarde si les anges y sont toujours. »

Après la courte extase, doit prendre place la longue lessive3 dans les latrines puisque la vie spirituelle consiste à accroitre toujours davantage notre esprit de tolérance et notre acceptation inconditionnelle de ce qui est, de tout ce qui est.

Pour cela il faut nous souvenir que si nous allons vers les autres avec 99% de bienveillance et 1% de colère, c’est la colère qu’ils ressentiront.

A l’un de ses disciples qui lui demandait s’il existait un critère qui permettrait que l’on dise d’une personne qu’elle était éveillée, Swami Prajnanpad a évoqué le test qui ne pouvait pas tromper : celui pour un homme de « présenter son certificat de sagesse signé par la main de sa propre épouse ! »

Jeter de la poudre aux yeux des autres est relativement aisé mais celui qui vit en couple a la chance de ne pas pouvoir tricher car seul(e) celui ou celle qui nous fréquente de très près peut savoir qui nous sommes réellement.

L’écrivain Yvan Amar affirmait :

« On n’est pas là pour être des anges.

On est là pour être de la chair vivante,

Des corps vivants.

La spiritualité, c’est la responsabilité au sein de la matière,

Pas de l’angélisme. »

L’angélisme est une attitude spirituelle qui croit devoir se conformer à un type particulier d’idéal qui ignore les réalités humaines. Tout l’opposé de la responsabilité au cœur de la matière puisque c’est notre chair même qui doit parvenir à s’éveiller.

Cela signifie que l’expérience d’éveil ne pourra jamais être un refuge (un acquis) qui nous permettrait de nous dispenser une fois pour toutes de l’adhérence à la vérité de l’impermanence.

Quelle que soit l’expérience bouleversante que nous prétendons avoir vécue, le chemin de l’éveil n’est pas linéaire mais circulaire. Ainsi pour 99% des pratiquants, les phases d’éveil à la réalité ne peuvent qu’alterner avec des phases d’enfermement et de peurs.

Jusqu’au moment où – à force de travailler l’intention de notre cœur et la sincérité de notre motivation – les anges continueront à nous parler au milieu des latrines.

© 2023 Renaud Perronnet. Tous droits réservés

Illustration :

Ange apparu à Saint François d’Assise (Détail d’une peinture de l’École Italienne du XVIIème siècle)

Notes :

1. Cette histoire est racontée dans le livre de Jack Kornfield, Après l’extase la lessive, Éditions La Table Ronde, 2001, p. 146.

2. Cette histoire est racontée dans le livre d’Éric Edelmann, Plus on est de sages, plus on rit, Éditions La Table Ronde, 1992, p. 43.

3. Je fais ici allusion au livre écrit par Jack Kornfield, Après l’extase la lessive, Éditions La Table Ronde, 2001.

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7 Commentaires
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Marie

On peut ressentir de l’amour spirituel quand on est dans une église et se sentir entourée d’amour.
En effet, je pense qu’on peut tous le vivre juste en ouvrant notre cœur.
J’ai cependant une question, quand on n’est pas dans son corps qu’on ne l’habite qu’à moitié qu’on a plus l’impression d’être à côté de son corps, qu’on a l’impression d’être là mais pas vraiment là où sommes nous spirituellement ?

Marie

Merci pour ce poème que je comprends tellement.
Vivre pleinement ou à moitié.

Claudio

Un grand MERCI pour cet article imagé, drôle, à fortes résonnances intérieures! Beaucoup à dire mais allons à l’essentiel. OUI les anges nous parlent, nous aident, nous guident mais nous ne les écoutons pas le plus souvent. Témoignage personnel: l’écoute d’une émission radio France Inter un dimanche matin, Les racines du Ciel avec Annick de Souzenelle qui est interviewée par F lenoir son livre “Cheminer avec l’ange”. Trois jours plus tard je rencontrais Annick de Souzenelle dont je n’avais jamais entendu parlé jusqu’alors, à une conférence qu’elle donnait à l’Institut d’Anthropologie Spirituelle sur Angers, un mois plus tard je prenais… Lire la suite »

Chris

Bonjour,

j’ai juste envie de vous remercier pour ce bel article si riche d’informations et de citations de maîtres et d’écrivains, pour nous rappeler ce qu’est la vraie spiritualité, je retiens (mais entre autre car le partage tout entier mérite d’être redit), l’histoire du yogi qui après avoir soigneusement nettoyé sa cabane parce que les villageois allaient lui rendre visite, se ravisa car ne se sentant plus “lui-même” et jeta plusieurs poignées de poussière sur l’autel car initialement il “y avait de la poussière sur l’autel”, pourquoi vouloir changer les choses juste pour une question d’opinion des autres …

Merci