Doit-on prendre sur soi pour faire plaisir à l’autre ?

Question posée par Lysiane :

Je côtoie une personne qui est toxique pour moi et je ne voudrais plus la voir. J’ai supporté son caractère critique pendant des années, j’ai fait des efforts, mais malgré ses sourires je sais qu’elle manque d’empathie et n’a que faire des autres. Je suis perturbée. Seulement c’est l’épouse de l’ami de mon mari, 50 ans d’amitié.

Que faire ?

Mes pistes de réponse :

Dans la vie, il y a des situations difficiles mais il n’y a pas de situations inextricables, et le drame c’est de faire d’une situation difficile une situation inextricable.

Il est d’autant plus important de comprendre cela que le fait de croire qu’une situation est inextricable nous condamne à la maltraitance contre soi-même. En croyant ne pas pouvoir choisir, vous vous condamnez à tolérer une situation intolérable pour vous.

Il vous faut donc partir de là où vous êtes. Qu’est-ce qui peut être toléré par vous ? Qu’est-ce qui ne peut pas être toléré ?

Êtes-vous certaine de ne pas pouvoir tolérer l’épouse de l’ami de votre mari ? Vérifier cela vous permettra de vous rapprocher de vous-même et de ce qui est important pour vous. Il est possible que votre hésitation, votre tolérance à tolérer ce que vous vivez comme insupportable cache votre difficulté à vous respecter vous-même.

Les choses passent nécessairement par vous puisque c’est de vous dont il s’agit. Être soi demande à chacun un véritable courage, et c’est ce courage d’oser être vous-même qui va vous aider à devenir très claire sur ce que vous pouvez supporter ou pas.

Tant que vous considérerez qu’il est trop cruel de devoir choisir, vous vous obligerez à ne pas pouvoir choisir, vous persisterez dans l’hésitation, c’est-à-dire que vous laisserez perdurer une situation pour vous désastreuse. Et c’est cela qui est le plus insidieusement maltraitant.

Un être qui a peu d’estime pour lui-même se néglige, il ne sait pas ce qui est important pour lui et ne connaît pas bien ses besoins. Il s’abuse souvent, en se racontant à lui-même qu’en ne choisissant pas ce qu’il veut il est bon pour les autres. Or la générosité par manque de confiance en soi est une escroquerie vis-à-vis de soi-même (et des autres par la même occasion !)

C’est notre peur de vivre en nous assumant qui nous contraint à la petitesse et à la dépression. Marcher sur la pointe des pieds sans nous assumer nous incite à mourir à petit feu en renonçant à ce qui à l’intérieur de nous a besoin de s’exprimer pour fleurir. Marcher sur la pointe des pieds sans oser faire de choix nous condamne aussi à la rancune sourde, à l’envie et au ressentiment.

Le lierre de notre peur de vivre prend notre place et nous étreint, il étouffe jour après jour ce qui en nous ressent le besoin de se déployer pour vivre. C’est ainsi qu’insidieusement on en arrive à renoncer à vivre.

Swami Prajnanpad dit : « Sans détachement, le renoncement extérieur renforcera votre vanité et provoquera de la haine envers les autres. Renoncer sans être détaché, c’est garder intacte la possibilité d’être pris au piège par le sens de la possession. Le renoncement est une non­-vérité ; seul le détachement est la vérité. » 1

Qu’est-ce à dire ? Qu’on s’abuse volontiers soi-même.

A supporter la toxicité de l’épouse de l’ami de votre mari, vous pourriez penser (en vous abusant), que vous en êtes détachée alors que vous ne l’êtes pas parce que vous la subissez. A penser ainsi vous vous contraignez à ne pas voir que vos efforts non consentis sont à la fois dangereux pour vous-même et vains. Les efforts non consentis sont un poison contre soi-même, ils nous condamnent non seulement à l’hypocrisie vis-à-vis des autres, mais sont aussi une maltraitance vis-à-vis de nous-même qui mène à la complaisance et à la vanité, au faux plaisir de paraître par incapacité à être. En fait vous êtes comme vous êtes et vous ne pouvez pas tricher, à moins de vous mettre à mal vous-même en vous divisant, ce qui provoquera inévitablement en vous du ressentiment envers les autres.

Si, vous sentant prise au piège, vous sentez que vous n’en pouvez plus de devoir faire des efforts pour côtoyer cette femme, il devient parfaitement juste et légitime pour vous de ne plus vous contraindre à la côtoyer. Ce n’est pas un caprice de votre part mais une nécessité, il est impératif que vous vous respectiez.

Seul un vrai détachement (par rapport au pouvoir que cette femme a sur vous), pourrait vous permettre d’entrer en relation avec elle de manière à la fois sereine et pacifiée, mais ce n’est pas le cas. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas le cas, vous ne pouvez pas forcer les choses ; respecter votre ressenti actuel, c’est vous respecter.

Il faut parvenir à « constater » les choses à l’intérieur de soi plutôt que de s’abuser soi-même en croyant qu’il nous faudrait être ce que nous ne sommes pas. Parce que vous avez atteint votre limite, personne, aucune morale extérieure à vous-même n’a la légitimité de vous contraindre à aller à l’encontre de votre ressenti : vous n’avez à être l’esclave de personne.

Il est donc parfaitement légitime de votre part de ne plus consentir à être en relation avec la femme de l’ami de votre mari. Et c’est ainsi, en conséquence, que vous allez devoir également renoncer à chercher à être aimable avec une personne qui vous perturbe, sous le mauvais prétexte (que vous sous-entendez) que vous aimez votre mari.

Il est possible justement que vous n’arriviez pas à vous résoudre à courir le risque de déplaire à votre mari ? Dans ce cas, cela parlerait de votre relation de couple, de votre philosophie de la vie et de la manière dont vous seriez persuadée qu’il est des situations inextricables dans lesquelles on ne peut que devoir en baver.

Dans la vie il est possible et juste de choisir, même si nos choix sont susceptibles de déplaire aux autres. Que serait une relation de couple à l’intérieur de laquelle on n’oserait pas faire ce qui est bon pour soi, sous le prétexte que cela ne ferait pas plaisir à l’autre ? Les personnes qui vivent en couple doivent se souvenir que ce n’est pas le faux (parce que non consenti) renoncement de soi qui permet au couple de croître, mais la liberté.

Le couple ne peut demeurer en équilibre que parce que chacun est prêt à consentir à renoncer à certains de ses besoins, le cœur ouvert, pour l’autre ; mais aussi parce que chacun – sentant que l’autre est aux prises avec ses propre limites et incapacités, les accepte, quitte à renoncer lui-même à certains de ses désirs.

Concrètement cela signifie que si vous constatiez qu’il est au-dessus de vos forces de continuer de voir la femme de son ami, il serait injuste de la part de votre mari d’exiger de vous que vous la voyiez. Mais il faudrait déjà que vous lui parliez de votre malaise. L’avez-vous fait, à un moment où il pouvait vous entendre ? Avez-vous tenté de lui parler de vos difficultés, le cœur ouvert ?

En fait et pour le moment, vous êtes divisée entre deux aspects de vous-même irréconciliables : la part de vous qui ne souhaite plus supporter l’insupportable et une autre part qui aspire à faire plaisir à son mari.

C’est donc avec l’aide de la personne avec qui vous vivez (votre mari), qu’il vous faut sortir de cette division pour parvenir à l’unification de vous-même.

Dans la relation de couple, l’idée selon laquelle on devrait vouloir toujours faire les choses ensemble est nécessairement maltraitante puisque le couple est toujours composé de deux personnes évidemment différentes, n’en déplaise aux romantiques niais qui pensent que s’aimer devrait nous contraindre à avoir les mêmes désirs que l’autre au même moment.

Le couple, pour vivre et devenir, ne peut que « faire avec » la différence de l’autre ; il demande même d’appliquer ce proverbe anglais : « Leave it, change it or love it » (Laisse-le, change-le ou aime-le.) donc de parvenir à apprécier cette différence.

Chaque membre du couple prenant l’autre tel qu’il est, s’adapte constamment à lui, et c’est de cette manière qu’il montre son amour à l’autre.

Il me semble intéressant de faire ici, pour vous comme pour mes autres lecteurs, l’hypothèse que la vraie difficulté pourrait être moins de cesser de voir l’épouse de l’ami de votre mari, que d’oser exprimer ce désir (peut-être même d’oser « l’avouer », si votre mauvaise conscience à le faire est à l’œuvre ?) à votre mari. Auquel cas votre difficulté mettrait plus précisément en lumière la relation à votre mari.

Évidemment si dans votre couple vous n’avez jamais envie de faire les mêmes choses ensemble, vous pouvez vous demander ce que vous faites ensemble, mais s’il vous arrive de ne pas avoir le désir de faire les mêmes choses ensemble, ça doit être considéré à la fois comme légitime et « normal », puisque vous êtes deux personnes différentes.

Occasion, pour chacun, de vérifier qu’il aime suffisamment l’autre pour le laisser vivre selon son désir à lui, c’est-à-dire de ne pas chercher à l’obliger avec des sous-entendus d’autant plus maltraitants qu’ils exercent une pression affective souvent insupportable pour lui.

L’amour que nous ressentons pour une personne nous met nécessairement au défi de tenir compte d’elle.

En réalité, dans un couple, on n’est pas deux mais trois : soi, l’autre et la relation. Être en couple c’est prendre la responsabilité de prendre soin de la relation en la nourrissant, et cela passe par le respect des désirs de chacun alors même que, par exemple, on se sent soi-même dans l’incapacité à faire les choses avec l’autre.

Un couple sain et en équilibre est donc un couple dont les membres peuvent assumer de faire ce qu’ils se sentent mutuellement avoir le besoin de faire, sans devoir y renoncer sous le mauvais prétexte qu’ils pensent devoir le faire avec l’autre.

Un homme par exemple, assumera son désir d’aller voir ses parents un dimanche après-midi seul, quelle que soit la raison pour laquelle sa compagne préfère rester à la maison.

Une femme pourra se sentir heureuse d’aller passer une soirée avec une amie quand son compagnon, fatigué par une grosse journée de travail, préférera, lui, se coucher tôt.

Je vous invite donc à assumer ce que vous nommez vous-même votre « perturbation », c’est-à-dire à vous y prendre de telle manière avec votre mari que vous vous sentirez le droit de ne plus devoir côtoyer une personne qui vous apparaît comme toxique pour vous-même.

Vous permettre d’assumer que, pour le moment, vous préférez ne pas sortir, quitte à laisser votre mari voir son cher vieil ami seul.

D’autant plus que dans la relation, l’égoïsme n’est souvent pas là où on pense qu’il est. Bien souvent, nos actes prétendument altruistes, censés illustrer l’amour, montrent que nous sommes prêts à tout donner pour ne pas devoir accepter l’autre tel qu’il est !

Est égoïste, non pas celui ou celle qui agit en harmonie avec son besoin à lui (ou à elle), mais celui ou celle qui demande à l’autre d’agir conformément à son besoin à lui (ou à elle). C’est l’égoïsme d’un être qui le pousse à vouloir faire changer l’autre à son profit, quitte à le manipuler en cherchant à lui prouver que s’il l’aimait, il agirait selon ses besoins à lui.

Mais dans ce cas précis, peut-être votre mari ne vous a-t-il rien demandé clairement, persuadé que les deux couples, le vôtre et celui de son vieil ami, étaient naturellement amenés à se voir et à faire des choses ensemble. Peut-être est-ce vous toute seule qui vous êtes enfermée dans le « il faut » ?

Si aujourd’hui beaucoup de personnes ont tendance à penser quand il s’agit des autres, que s’ils ne se conforment pas à leurs prétendus besoins, ils sont égoïstes, c’est parce que la plupart d’entre nous avons été très largement manipulés dans notre enfance par les désirs égocentriques de nos éducateurs. Ayant appris à nous croire égoïstes quand nous obéissons à ce que nous ressentons, nous projetons cet égoïsme sur l’autre en le pensant égoïste quand il ne fait qu’obéir à ce qu’il sent.

Qui n’a pas entendu : « Tu sais très bien qu’en agissant ainsi tu fais de la peine à ton père (ou à ta mère), alors arrête tout de suite ! » C’est ainsi qu’alors que nous agissions en harmonie avec ce que nous ressentions, nous en sommes arrivés à nous sentir en malaise avec nous-mêmes. 

Cependant – quel qu’ait été notre passé – le couple est le terrain sur lequel chacun peut vivre deux opportunités : celle d’apprendre à se respecter soi-même dans sa liberté, en même temps que celle d’apprendre à respecter l’autre dans sa liberté.

C’est ainsi que, en ne prenant plus sur vous pour faire plaisir à l’autre, en ne courant plus le risque de vous laisser manipuler par l’autre, donc en commençant par parler avec votre mari, vous agirez en correspondance avec ce que vous ressentez, en même temps que vous découvrirez que vous pouvez aimer votre mari et vous abstenir de faire des corvées pour ce que vous croyez (avez cru jusque-là) qui lui faisait plaisir.

© 2022 Renaud Perronnet. Tous droits réservés

 Notes :

1. Swami Prajnanpad, La Connaissance de soi, Éditions Accarias L’Originel, p. 200.

Illustration :

Félix Vallotton, Verdun, (peinture de guerre).

Pour aller plus loin, je vous invite à lire :


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4 Commentaires
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Lysiane

Merci pour votre réponse.

Anavlis

Je me reconnais dans ce que vous dites. Renoncer n’a fait qu’approfondir mon angoisse et donner à croire à l’autre qu’il peut faire ce qu’il veut avec moi.
Se détacher, c’est mieux se voir et voir l’autre tel qu’il est réellement, sans fard et comprendre comment la relation a fonctionné jusqu’à présent.
C’est aussi un message pour l’autre, que tu es une personne à part entière et mérite d’être traitée de la sorte.
Merci de vos posts plein de sagesse.

Jorence

Merci beaucoup pour cette article. Je suis intriguée par la différence que vous faites entre renoncement et détachement. Dans mon travail, je prends mon mal en patience : je suis hypocrite devant mon chef et lui dit ce qu’il veut entendre. L’année dernière, j’ai failli voir ma titularisation me passer sous le nez. J’ai cru qu’avec mon ancien chef nous formions un binôme mais je me suis trompée. Depuis, j’ai cette peur qui m’empêche de dire ce que je pense et quand je vois mon chef actuel qui refuse d’entendre les critiques, me culpabilise ; et quand je sais le… Lire la suite »