Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine.
Guillaume Apollinaire.
(Une histoire de petits seins)
Question d’Alexandre :
Voilà, je sortais avec une femme depuis 1 an et demie. Elle avait un complexe. Sa poitrine. Pendant plus d’un an, elle n’a jamais enlevé son soutien-gorge. Pourquoi ? Elle disait qu’elle avait des cicatrices sur les seins. Pendant tous ces mois, j’ai essayé de lamettre de plus en plus en confiance, la rassurant sur le fait que je les aimerai moi ces cicatrices. Je lui ai même donné le nom d’un chirurgien qui aurait pu les lui enlever. On avançait à petit pas. Etape par étape. Seulement au bout d’un an, je n’en pouvais plus, elle avait beau avoir toutes les qualités du monde et j’avais beau être très heureux avec elle, c’était frustrant et plus parce qu’elle n’avait pas entièrement confiance en moi plus que parce que je voulais voir et sentir sa poitrine contre moi. Il y a deux mois, je l’ai mise face à un dilemme, si elle ne franchissait pas le cap je la quitterais.
Et elle s’est enfin révélée mais pas comme je le croyais. O stupeur depuis ses 12 ans elle portait du rembourrage, elle était hyper complexée par sa poitrine et pour que les mecs la laissent tranquille, elle a inventé ce mensonge de cicatrices. Pendant presque 10 ans, elle s’est privée de tellement de choses à cause de son complexe de petite poitrine. Seulement voilà, elle m’a menti, et après je n’arrivais plus à lui faire l’amour comme avant. Même si je trouve son corps sublime et qu’elle était maintenant toute nue quelque chose en moi a été cassée, j’avais perdu l’amour aveugle que j’avais pour elle. Et j’ai beau l’aimer encore parce qu’elle est géniale, je l’ai quitté il y a quelques jours. Mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez ? Elle a vraiment souffert pendant toutes ses années et là le fait qu’elle se soit livrée à moi est vraiment une preuve d’amour mais n’efface pas pour autant son mensonge. Qu’en pensez-vous ?
Ma réponse :
Pourquoi votre femme vous a-t-elle fait croire pendant si longtemps qu’elle avait des cicatrices sur les seins ? Parce que présupposant que vous ne l’aimeriez pas telle qu’elle est, donc par manque de confiance en elle-même, c’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour réussir à ne pas vous montrer sa poitrine.
La construction de son affabulation était directement proportionnelle à son complexe, c’est-à-dire à la crainte qu’elle avait que vous ne découvriez ses petits seins et à la certitude qui était la sienne que vous ne l’aimeriez pas ainsi.
Il est vrai que vous faisiez preuve d’amour en lui disant que vous aimeriez ses cicatrices… Vous ne pouviez pas deviner qu’en lui disant cela vous ne faisiez que faire grandir son malaise à elle. Elle s’était mise – sans le vouloir – dans la position impossible d’une femme, condamnée à être de plus en plus angoissée, au moment même où elle pouvait se sentir aimée pour elle-même.
Quand vous étiez persuadé progresser dans sa confiance, elle se sentait de plus en plus acculée dans son mensonge, censé la protéger !
Parallèlement à ses craintes qui l’avaient piégé, comment ne pas comprendre votre point de vue à vous, davantage frustré par l’absence de confiance qu’elle avait pour vous, que par le fait qu’elle vous cachait une partie de son anatomie.
Aujourd’hui – donc après que vous avez découvert la supercherie – vous butez sur le fait qu’elle vous a menti. Vous convenez pourtant volontiers (en la comprenant) que si elle vous a menti c’est parce qu’elle avait un complexe. Qu’est-ce que cela veut dire ? Jung définit le complexe par « des éclats de personnalité détachés, des groupes à contenus psychiques, qui se sont séparés du conscient et qui ont un fonctionnement arbitraire et autonome, une existence isolée dans l’obscure sphère de l’inconscient, d’où ils peuvent à chaque instant entraver ou favoriser certaines productions conscientes. » Chaque événement traumatisant de l’histoire d’un enfant est susceptible de déclencher la formation d’un complexe : depuis l’âge de 12 ans, (vraisemblablement à cause d’une humiliation, pour elle insoutenable), votre compagne souffrait de la petite taille de ses seins et portait du rembourrage, cette prothèse-mensonge lui permettant d’être en paix avec le regard des hommes, si ce n’est avec elle-même.
Evidemment, de votre point de vue à vous, du point de vue d’un homme capable d’aimer une femme à la petite poitrine, il est facile de conclure « elle s’est privée de tellement de choses », mais qu’en est-il de son point de vue à elle ?
Pendant 10 ans, grâce à cette illusion de coton, elle a pu gérer, tant bien que mal, son point faible en souffrance. Un jour, elle rencontre un homme qui prétend l’aimer, parce qu’elle se sent insuffisamment en confiance avec elle-même, elle se sent incapable de lui révéler son secret et se retrouve piégée par lui au moment où, lui-même troublé par son absence de confiance à elle, la met en demeure de lui montrer sa poitrine. Coincée à son tour, elle se soumet à son chantage et ose se révéler à lui « telle qu’elle est ».
On aurait pu rêver que l’histoire douloureuse de l’apprentissage de la confiance allait s’arrêter là… Qu’ils auraient pu enfin s’aimer tels qu’ils étaient. Mais ça aurait été sans compter sur sa réaction à lui. Est-il déçu par la révélation, n’aime-t-il pas les petits seins ? Non. Il parle toujours d’un corps « sublime » et d’une femme « géniale » mais il la quitte… Quelque chose a été cassé en lui, il dit ne plus pouvoir lui faire l’amour comme avant, « parce qu’elle lui a menti ».
Comme si son histoire personnelle à lui, le contraignait à faire rimer mensonge avec trahison, alors même que pour elle il ne rime qu’avec protection ?
Qu’est-ce qui, au moment même où vous vous approchez très près de votre compagne en la comprenant, « elle a vraiment souffert pendant toutes ces années, et là le fait qu’elle se soit livrée à moi est vraiment une preuve d’amour », vous force à conclure que cela « n’efface pas pour autant son mensonge » ?
Si vous admettez que le mensonge de votre compagne n’est que la part visible de sa souffrance, pourquoi en faites-vous une histoire personnelle ? En quoi, ce mensonge devrait-il vous remettre en cause ? Ne parle-t-il pas d’elle plutôt que de vous ? Qu’est-ce qui est le plus important pour vous ? Est-ce de l’aimer ou de vous sentir blessé par une femme qui ne faisait que tenter d’apaiser sa souffrance comme elle le pouvait ? Pourquoi faire un problème d’un non problème ? Vous semblez comme choisir de vous sentir personnellement blessé par elle, pouvez-vous dire pourquoi ?
Peut-être que si vous l’avez quittée, n’est-ce pas parce qu’elle a commis une erreur en vous mentant, mais parce que votre ego est frustré dans son besoin insatiable d’être confirmé, reconnu et adulé ?
En d’autres termes, je me demande vraiment si vous l’avez jamais aimée…
© 2011 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.
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Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)