- Pour y voir plus clair…
- Trois définitions essentielles.
- Le droit de chacun aux soins palliatifs.
- La nécessaire formation des soignants.
- Les risques de l’acharnement.
- Où en est la loi ?
- Une objection qui ne tient pas.
- La position des religions.
Dans le domaine – très sensible – de la fin de vie, dans le domaine de la mort – taboue et sujette à la désinformation – les mots sont remplis de pièges, ce qui alimente les passions et rend le débat difficile.
C’est pourquoi nous allons commencer par trois définitions essentielles :
ACHARNEMENT THERAPEUTIQUE : Attitude qui consiste à “poursuivre une thérapeutique lourde à visée curative, qui n’aurait comme objet que de prolonger la vie sans tenir compte de sa qualité, alors qu’il n’existe aucun espoir raisonnable d’obtenir une amélioration de l’état du malade.(1)”
EUTHANASIE : Étymologiquement, ce mot créé par le moine érudit Roger Bacon au 13ème siècle, à partir du grec eu (bien) et thanatos (mort), signifie “mort douce et sans souffrance”, c’est-à-dire “aération de la chambre, attention portée à la position du malade dans son lit, présence des proches, abstention de tout recours inutile à la chirurgie et traitements symptomatiques et palliatifs.(2)” Ce mot signifiait donc au 13ème siècle ce que nous entendons aujourd’hui par soins palliatifs.
De nos jours, ce mot désigne l’acte qui consiste à mettre délibérément et rapidement fin à une vie pour mettre fin à une souffrance. Il signifie donc donner la mort et est assimilé à un homicide.
SOINS PALLIATIFS : Ce sont des “soins actifs dans une approche globale de la personne en phase évoluée ou terminale d’une maladie potentiellement mortelle.(1)” Il s’agit de l’art d’alléger les souffrances du mourant en l’accompagnant et en prenant – au besoin et dans certaines conditions – la décision d’arrêter des traitements devenus inutiles et dérisoires (arrêt thérapeutique).
Se mettre d’accord sur ces définitions, c’est se donner les moyens de comprendre les propos de Marie de Hennezel (3) :
“Arrêter un traitement ou administrer à hautes doses des antalgiques ou des sédatifs dans l’intention de soulager, même au risque d’écourter la vie, ce n’est pas de l’euthanasie.”
Les soins palliatifs ont pour objectif d’accompagner la personne jusqu’à la mort dans des conditions qui préservent sa dignité (lutte contre la douleur, soutien psychologique du malade et de sa famille) sans accélérer nécessairement le processus.
Pour la Société des Réanimateurs, arrêter un respirateur artificiel qui envoie l’air dans les poumons du malade ou en diminuer le flux est un geste qui ne relève pas de l’euthanasie mais de l’arrêt des soins actifs lorsque la fin est inéluctable. Ce geste doit être accompagné d’un traitement antalgique afin que le malade ne ressente pas l’étouffement. On voit que permettre de mourir n’est pas donner la mort.
La réalité des pratiques des services de réanimation, selon une étude récente(4), estime à 50% les décès dus à un arrêt des machines, donc à une intervention des médecins.
Une position différente :
Les partisans de l’euthanasie (qui souhaitent choisir l’heure de leur mort afin d’éviter toute déchéance) assimilent cela à une “euthanasie passive” qui, pour eux, relève de la même démarche qu’une injection létale (“euthanasie active”. (4))
Dans ce contexte, nous devons savoir qu’environ 90% des demandes d’euthanasie disparaissent si les malades en fin de vie peuvent se sentir moins seuls (soutien psychologique) et se trouver soulagés de leurs souffrances (anti-douleur.)
Ainsi Monsieur M., hospitalisé pour insuffisance respiratoire a-t-il été placé pendant 45 jours sous respirateur artificiel. Isabelle, infirmière(4), se souvient : “Quand il est arrivé, il nous demandait de tout arrêter, il n’y croyait plus et voulait mourir. On l’a soutenu à fond, et, aujourd’hui, le résultat est là, il est ressuscité, on se dit que cela en valait la peine.” Monsieur M. peut aujourd’hui se passer du respirateur artificiel, il s’asseoit dans son lit, écoute la petite radio apportée par sa femme et joue aux dames avec son fils aux heures de visite.
Le droit aux soins palliatifs et la nécessaire formation des soignants :
Le 9 juin 1999, le Parlement français a voté à l’unanimité, une loi sur le droit d’accès pour tous aux soins palliatifs. Les soignants sont donc les premiers à devoir mieux respecter les droits des malades, grâce à leur capacité de discernement, basé sur leurs qualités d’écoute et de cœur.
Ils ont besoin d’apprendre à parler avec les mourants de leurs craintes et de leurs désirs, sans avoir peur de leur propre impuissance. Car tant qu’ils considéreront la mort comme un échec, ils n’oseront pas en parler, et à l’inverse, quand la mort leur apparaîtra comme normale et naturelle, ils oseront donner au mourant “la permission de mourir.”
“Former les soignants, ce n’est pas leur donner des recettes, ni apporter des réponses toutes faites, mais leur permettre de sortir du déni, du silence, de l’illusion de maîtrise et de toute-puissance dans laquelle leur formation initiale et l’attitude de notre société les cantonne. Il faut leur offrir la possibilité de parler de ce qu’ils vivent, de ce qui les touche, de ce qui les émeut, de leur propre conception de la mort, de leurs difficultés face aux patients. Ainsi découvrent-ils qu’ils ne sont pas seuls à se sentir mal à l’aise ou déroutés. Ils ont souvent une expérience et une connaissance inestimable de ce que vit le patient. Quand on leur donne l’occasion d’en parler, ils réalisent qu’ils savent plus de choses qu’ils ne l’imaginent. Ils ont du cœur, de l’intuition et du bon sens. C’est le rôle des groupes de soutien que de permettre l’expression de ces qualités mais aussi d’inviter chacun à discerner ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire” , rappelle Marie de Hennezel (3).
Les risques de l’acharnement thérapeutique :
L’inhumanité commence là où les règles institutionnelles des établissements de santé priment sur le besoin des personnes. Ainsi le professeur Bernard Glorion, président du conseil de l’ordre des médecins, dans un entretien à Marie de Hennezel(5) plaide-t-il coupable : “les médecins ont failli dans leur devoir d’accompagnement. La médecine performante de cette fin de siècle a fini par oublier l’homme.”
Ainsi, Alain, aide-soignant (4), l’exprime-t-il : “Nous sommes au contact direct du malade, nous le portons, le lavons, nous voyons son corps se dégrader petit à petit. On sent quand il est à bout, et lorsqu’on nous demande de continuer encore les examens, les prélèvements, on se dit parfois que ce n’est pas humain.”
Un autre chef de service (4) d’un service de réanimation s’exprime avec beaucoup de lucidité :
“Compte tenu de la puissance des moyens dont nous disposons, nous pouvons maintenir en vie des patients pendant des semaines, et c’est ce que nous faisions avant. Aujourd’hui les choses ont évolué. Ce qui nous apparaissait hier comme un échec, aujourd’hui, nous l’appelons fin de vie. Il ne s’agit pas d’un abandon. Nous continuons à soigner notre patient, à lui assurer une vie décente, à lui éviter les escarres et la douleur. On passe d’une attitude curative à une attitude palliative. On accepte qu’il meure, tout simplement. Le problème, c’est que, pour le moment, on peut nous traîner en justice, car rien ne nous protège dans la loi.”
Et justement, où en est la loi ?
Les mentalités ayant évolué, elle se doit de changer, observons les propos de la proposition de loi(6) sur la fin de vie, qui complète les articles 37 et 38 du code de la déontologie médicale et le code de la santé publique pour renforcer les droits des malades, et sécuriser la situation juridique des professionnels de santé :
Du point de vue des droits des malades :
- Si le malade est conscient et en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, il peut décider une limitation ou un arrêt des soins. Le médecin (après l’avoir informé des conséquences de son choix) doit respecter sa volonté en lui dispensant des soins palliatifs.
- Si le malade est conscient mais n’est pas en phase terminale, il peut refuser l’alimentation artificielle. Pour que sa demande soit prise en compte, il devra préalablement rencontrer plusieurs médecins qui auront tenté de le convaincre du traitement.
- Si le malade est inconscient, les décisions de limitation ou d’arrêt des traitements ne peuvent être prises en compte que dans le cas de procédures collégiales (avec consultation de la famille, d’un proche ou de personnes de confiance.) Seules les directives anticipées rédigées par le patient moins de trois ans avant son état d’inconscience seront prises en compte.
Du point de vue de l’organisation des soins :
- Dans chaque grand service de soins palliatifs, un médecin référent est nommé afin de permettre au malade dont l’arrêt des soins a été décidé, de bénéficier d’une prise en charge adaptée (notamment de la douleur.)
Du point de vue de la protection des médecins :
- Le médecin ne sera plus pénalement responsable d’un arrêt des soins actifs (contrairement à celui qui s’en affranchit) s’il satisfait aux obligations de transparence et de collégialité.
Ainsi, Marie de Hennezel (4) commente-t-elle la proposition de loi : ce texte “renforce le droit des malades et permet aux médecins d’accepter le refus de soins de son patient sans courir le risque d’un procès pour non-assistance à personne en danger, comme c’était le cas jusqu’à présent. Y compris lorsque le malade n’est pas en fin de vie comme Vincent Humbert (7). Dorénavant, chacun pourra refuser la ventilation ou l’alimentation artificielle, tout en recevant les antalgiques nécessaires pour ne pas en souffrir. Ceux qui dénoncent la cruauté d’une telle mort oublient qu’injecter un produit mortel comme le chlorure de potassium fait beaucoup souffrir, même si la mort est plus immédiate.”
Une objection qui ne tient pas :
Dans ce contexte, un médecin (4) estime que la distinction entre limitation des traitements et euthanasie est très théorique : “Le résultat est le même lorsque tu arrêtes un respirateur ou que tu injectes du chlorure de potassium.” Un de ses collègues lui répond : “Peut-être, mais toi, tu n’as pas commis le même acte.”
Nous pouvons donc tout à fait comprendre que beaucoup de médecins refusent le terme ambigu “d’euthanasie passive”, pour préférer celui d’arrêt thérapeutique, car laisser mourir n’a rien à voir avec donner la mort.
Une infirmière (4) se souvient de son premier stage, dix-huit ans plus tôt : le médecin avait laissé une prescription, “c’était un cocktail mortel, mais moi, je n’en savais rien, j’ai fait l’injection prescrite en croyant qu’il s’agissait d’antalgiques. Je n’ai compris qu’après, c’était horrible, c’est moi qui l’avais tué.”
Au-delà des débats passionnés :
Par delà les tabous et la passion avec laquelle les débats sur l’acharnement thérapeutique sont animés, il est toujours difficile pour les êtres humains d’accepter que les choses non satisfaisantes perdurent :
- C’est ainsi qu’ils mettent – justement – tout en œuvre pour qu’elles puissent devenir satisfaisantes. Dans ce contexte, le professeur Didier Dreyfus(8) rappelle : “80% de nos malades sont sauvés grâce aux moyens que nous mettons à leur disposition. Sans nous, ils ne seraient plus là, ne l’oublions pas.”
- Mais cette difficulté est aussi un écueil car ils peuvent s’y perdre, comme l’exprime ce médecin réanimateur (4) en colère qui se penche sur le dossier de cet homme de 89 ans, arrivé transféré directement du service de chirurgie, allongé sur le dos, inconscient, et qui respire au rythme de la machine : “Pourquoi ne l’a-t-on pas laissé mourir en chirurgie sans l’intuber ? Cet homme n’a plus d’intestin grêle et ne pourra plus jamais manger normalement. Il a besoin d’une machine pour l’aider à respirer. Il va vivre pendant des mois à l’hôpital, dans un environnement agressif. Lui a-t-on vraiment rendu service en le réanimant quand il a fait une détresse respiratoire ? Lors d’une première hospitalisation, nous avions inscrit dans son dossier que nous ne voulions plus le reprendre en réanimation. Nous sommes mis devant le fait accompli.”
Il n’est pas rare que, dans ce contexte, des médecins démissionnent ou changent de spécialité, comme celui-ci (4) qui quitte la réanimation pour se réorienter vers l’anesthésie et qui préfère parler d’escalade plutôt que d’acharnement : l’escalade “commence souvent ailleurs qu’ici, dans un autre service, à la maison de retraite ou au domicile du malade, quand le Samu est appelé pour une détresse respiratoire et se trouve quasi obligé de d’intuber sur place. C’est difficile de jeter la pierre à qui que ce soit, car il faut prendre une décision rapide. Mais franchement, je ne voudrais pas qu’on impose à mes grands-parents ce que l’on fait endurer à certaines personnes âgées aujourd’hui.”
Pour terminer, voyons comment les différentes religions voient le problème :
Les protestants comme les bouddhistes sont les plus nuancés, qui ne condamnent pas l’arrêt thérapeutique et laissent une ouverture en fonction des situations individuelles.
- “Accéder à certaines demandes de fin de vie se situe dans le prolongement des soins palliatifs, la mort n’est pas un échec”, nuance Jean-François Collange, professeur d’éthique à la faculté de théologie protestante de Strasbourg et également membre du CCNE.
- “Si l’amour s’exprime par rapport au bonheur de l’autre, la compassion, elle, s’exprime par le souhait de voir l’autre libéré de la souffrance”, précise Didier Chevassut, bouddhiste et médecin à la consultation de la souffrance à l’hôpital Nord de Marseille.
Le 30 novembre 2004, à la quasi unanimité, la proposition de loi qui définit un droit au “laisser mourir” sans légaliser l’euthanasie, a été votée par le Parlement français. Elle prévoit que les traitements ne doivent pas être poursuivis “par une obstination déraisonnable”, expression préférée à celle d’acharnement thérapeutique. Elle stipule qu’une personne en phase terminale peut décider “de limiter ou d’arrêter tout traitement” et autorise l’administration de médicaments anti-douleurs, même s’ils accélèrent le décès.
Notes :
(1) Charte des soins palliatifs et de l’accompagnement, énoncée en 1984 et mise à jour en 1993.
(2) Patrick Verspieren, Face à celui qui meurt, Éditions Desclée de Brouwer, cité par Marie de Hennezel dans “Nous ne nous sommes pas dit au revoir”, Éditions Robert Laffont.
(3) Marie de Hennezel, psychologue et psychothérapeute, a travaillé plus de 10 ans au sein d’une équipe de soins palliatifs à Paris. Elle donne des conférences et participe à des séminaires de formation à l’accompagnement de la fin de la vie. En octobre 2003, le Ministre de la Santé, Monsieur Jean-François Mattéi, lui a confié la mission d’établir un rapport sur “la fin de vie et l’accompagnement” que vous trouverez ICI. Elle est l’auteur de “La Mort intime” aux Éditions Robert Laffont et de “Nous ne nous sommes pas dit au revoir”, d’où est extraite cette citation.
(4) La Vie n° 3091, du 25 novembre 2004, reportage sur une équipe du service de réanimation de l’hôpital Louis-Mourier à Colombes (Hauts-de-Seine.)
(5) Entretien du 29 mars 1999, cité par Marie de Hennezel dans “Nous ne nous sommes pas dit au revoir”, Éditions Robert Laffont.
(5) Proposition de loi relative au droit des malades et à la fin de vie sur le site de l’Assemblée Nationale.
(7) Vincent Humbert, jeune tétraplégique muet, qui ne parvenait pas à bouger plus qu’un seul doigt de la main. En décembre 2002, il a écrit une lette au Président de la République, lui sollicitant le droit de mourir. Quelques temps plus tard, Marie Humbert, sa mère, lui a injecté une dose de barbituriques. Plutôt que de le laisser “s’étouffer peu à peu” après avoir débranché la machine qui l’aidait à respirer, le Dr Chaussoy a explique avoir jugé qu’il était de son “devoir de médecin” de “l’aider” à mourir comme il l’avait réclamé. Il mourra le 26 septembre 2003, deux jours après son admission en réanimation dans son service, au Centre héliomarin de Berck-sur-Mer.
(8) Entretien avec le professeur Didier Dreyfuss, La Vie n° 3091 du 25 novembre 2004.
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