Une personne que je rencontre régulièrement dans mon cabinet me confiait son malaise quand – à la fin d’une session de « développement personnel » – elle s’est retrouvée face à l’animatrice qui, voulant la soutenir et sans véritablement connaître son histoire, lui a asséné : « en tout cas, il y a une chose dont tu peux être certaine, c’est que ton père t’a aimée. »
Pourquoi cette personne s’est-elle crue obligée d’émettre une telle affirmation ? Si on le lui demandait, elle répondrait à coup sûr : par compassion. Or s’il s’agit de véritable compassion, le cœur ouvert, la personne qui la « reçoit » ne peut pas ressentir de malaise.
On confond souvent la compassion avec une sorte de gentillesse niaise et moralisatrice à la sauce individualiste New Age.
C’est ainsi que Chögyam Trungpa dénonçait le risque de ce qu’il appelait la « compassion idiote », une tendance névrotique (à la mode) à projeter ses propres difficultés sur les autres.
La « compassion idiote » n’est pas une ouverture du coeur, elle est fondamentalement égoïste puisqu’elle se déclenche toujours sur la base du besoin confus de celui qui (parce qu’il ne supporte pas de voir l’autre souffrir), prétend l’aider – en disant sans trop réfléchir ce qu’il croit que l’autre aurait envie d’entendre, ou ce qu’il aurait envie de croire lui-même (en l’occurrence, que son père l’a aimé).
Etty Hillesum, auteure du beau livre « Une vie bouleversée », explique cela finement : « A vouloir modeler l’autre sur l’image qu’on se fait de lui, on finit par se heurter à un mur et l’on est toujours trompé, non par l’autre, mais par ses propres exigences. Et ces exigences sont à vrai dire bien peu démocratiques, mais c’est humain. (…) On ne réfléchira jamais trop à la nécessité de se libérer vraiment de l’autre, mais aussi de lui laisser sa liberté en évitant de se former de lui une représentation déterminée. »
Beaucoup de personnes utilisent leur représentation de l’idéal bouddhiste de compassion pour justifier le mépris qu’elles ont d’elles-mêmes. Vouloir – sous prétexte de résonance émotionnelle personnelle – convaincre un être humain qu’il a été aimé quand il ne l’a pas été, parce qu’on pense qu’il faut être gentil avec lui, est à l’opposé d’une attitude compassionnelle.
La vraie compassion accepte et aime l’autre tel qu’il est sans essayer de minimiser sa souffrance et sans s’en protéger.
© 2014 Renaud & Hélène PERRONNET Tous droits réservés.
Moyennant une modeste participation aux frais de ce site, vous pouvez télécharger l’intégralité de cet article au format PDF, en cliquant sur ce bouton :
Compteur de lectures à la date d’aujourd’hui :
2 370 vues
ÉVOLUTE Conseil est un cabinet d’accompagnement psychothérapeutique et un site internet interactif de plus de 8 000 partages avec mes réponses.
Avertissement aux lectrices et aux lecteurs :
Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)