Aider ceux qui aident leurs proches, c’est ce que Jocelyne accomplit avec tact et douceur dans son activité de bénévole. Grâce à son empathie pour un proche-aidant, elle parvient à prendre le temps nécessaire à la maturation des décisions difficiles…
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POUR NE PLUS CONFONDRE ÉGOÏSME ET ESTIME DE SOI
29/07/2013 Libre partage de Jocelyne
Profession : Animatrice bénévole
Je suis animatrice depuis quatorze ans d’un groupe d’entraide pour proches-aidants, au Canada. Le groupe se compose de gens qui prennent soin d’une personne âgée en perte d’autonomie. Cette personne peut-être un parent, un ami, un voisin. Chacun est accueilli avec beaucoup de respect, c’est-à-dire à l’endroit où il est rendu dans son cheminement personnel. Ces rencontres d’échanges ont pour but de permettre aux participants de se raconter en toute confidentialité, d’échanger avec d’autres proches-aidants sur ce qui les préoccupe dans leur engagement et dévouement.
Une fois par mois ils ont un lieu pour sortir leurs émotions, comme la colère parce que leur vie bascule, ils se retrouvent avec plus de responsabilités, ils vivent l’incompréhension dans le changement physique de l’aidé, il y a les larmes qui sont signes de fatigue, de manque de sommeil, les frustrations parce qu’ils se sentent seuls, dépassés. Souvent le proche-aidant est enfant unique, donc tout repose sur ses épaules.
Comme animatrice, mon rôle premier est de donner la chance à chacun de mes participants, la place nécessaire pour s’exprimer dans une démarche d’écoute, et une ouverture à l’estime de soi, car il est primordial de garder sa santé mentale, émotionnelle, physique en prenant du temps pour soi sans se sentir égoïste, afin de ne pas tomber dans un épuisement total qui amène souvent à la dépression. Ils réalisent aussi qu’ils ne sont pas seuls, et qu’ils peuvent bénéficier de l’expérience des plus anciennes, ils découvrent les ressources de la communauté comme par exemple des bénévoles pour faire le ménage, aider à faire l’épicerie, à amener l’aidé à ses rendez-vous chez le médecin, tout cela dans le but d’alléger l’aidant.
Un jour, une dame de plus de 80 ans, avait entendu parler de ce groupe de soutien. Elle est arrivée à la rencontre complètement épuisée, les yeux ternes, le sourire scellé. Elle prenait soin de son mari, lui aussi de plus de 80 ans, qui souffrait de la maladie d’Alzheimer. Pendant quelques mois, cette dame n’a pas parlé beaucoup, elle écoutait les témoignages des autres participants. Puis tranquillement elle s’est ouverte au groupe en décrivant son quotidien et ce qu’elle vivait avec lui. Son mari n’était plus dans le moment présent. Il se levait en pleine nuit pour lui demander si le souper était prêt, il allumait les lumières partout dans la maison, il mettait des vêtements par dessus son pyjama parce que dans sa tête, il devait aller au travail, il ne voulait plus se laver, il lui arrivait de prendre sa femme pour sa mère. Cet homme, qui avait toujours été doux avec elle, devenait brutal en mots. Elle ne dormait plus que quelques heures par nuit, mangeait peu. Elle était constamment sous pression à le surveiller, à lui répéter plusieurs fois la même réponse à ses questions : quel jour sommes-nous aujourd’hui, l’heure, quand on mange. Cette situation durait depuis plus d’un an. Elle savait avec sa tête que la santé de son mari se dégradait de plus en plus et que dans un avenir pas très lointain ses besoins seraient plus exigeants, mais son cœur ne se sentait pas prêt à le placer dans un établissement sécurisé avec des soins adaptés à sa maladie. Après plus de 50 ans de mariage avec cet homme, elle se sentait coupable de le placer, elle regardait cela comme un divorce, dans lequel elle mettait son mari en dehors de la maison.
J’ai demandé à cette dame quel visage prenait la culpabilité en elle, de quoi elle se sentait coupable ? Est-ce que pour elle le fait de placer son mari était le signe de moins l’aimer, de l’abandonner ? Est-ce que vouloir prendre soin de soi était mal ? Si elle avait le sentiment d’avoir échoué ou de trahir son engagement de mariage ?
Le but n’était pas qu’elle en fasse moins pour son mari, mais qu’elle réalise qu’elle avait le droit de penser à elle, de prendre soin d’elle. Oui, elle avait une forme de certitude de trahison envers ses vœux de mariage, la peur d’être jugée par son entourage. Elle se sentait emprisonnée dans de fausses croyances d’une vie à deux.
La culpabilité ne vient pas de l’extérieur, c’est une petite graine en nous qui a été semée par notre éducation familiale ou religieuse, et pour cette dame, il y avait les deux. Elle n’avait pas appris à se choisir, à se respecter, ni à prendre soin d’elle. Après son mariage, elle avait délaissé un travail qu’elle aimait, certaine que son devoir était de prendre soin du bien-être et du bonheur des siens, c’était la normalité du temps.
Lorsque la maladie s’était installée dans son quotidien d’une manière de plus en plus lourde, elle ne savait pas comment faire pour trouver des solutions, elle n’avait personne à qui parler, se raconter. Petit à petit, à son insu, une toile d’araignée s’était tissée autour d’elle jusqu’à lui faire perdre son identité et, en oubliant ses rêves, ne plus avoir de liberté.
Depuis maintenant deux mois, son mari est placé. Cette dame n’est plus la même, elle a des étoiles dans les yeux, le sourire illumine son visage. Elle a reconnu que les rencontres d’entraide lui avaient fait découvrir sa valeur en tant que personne humaine, son droit à prendre soin d’elle. Elle est arrivée à se pardonner d’avoir placé son mari parce qu’elle a pu réaliser que c’était le plus que parfait qu’elle pouvait faire, et que pour lui, la qualité des soins et la sécurité étaient sa priorité. Elle va voir son mari même si ce dernier ne la reconnaît pas toujours, et elle continue à venir aux rencontres de soutien car pour elle c’est un moyen de continuer à s’épanouir et mettre en pratique les outils de l’estime de soi dans sa vie.
Jocelyne, animatrice bénévole de groupes d’entraide au Canada.
Pour aller plus loin, vous pouvez lire sur ce site :
- Pourquoi prendre soin des soignants ?
- Prendre soin de soi pour aider l’autre
- Comment gérer ses émotions dans la relation d’aide ?
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Avertissement aux lectrices et aux lecteurs :
Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)