La belle expérience de Vanina qui – parce qu’elle était présente à elle-même et qu’elle a su faire confiance à son intuition – a été l’instrument d’un jaillissement de la vie chez une personne âgée déclarée démente.
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PETIT MIRACLE EN GÉRONTOLOGIE
18/07/2014 Libre partage de Vanina
Soeur Josepha a plus de 97 ans. Durant toute sa vie, elle a dirigé avec brio des services de soins psychiatriques pour sa communauté religieuse. Depuis des années déjà, elle ne s’exprime plus que lors des toilettes ou des repas durant lesquels elle communique sa désapprobation par des griffures ou des morsures. L’équipe, pas bien à jour des connaissances gérontologiques actuelles, se plaint tous les jours de devoir user de la force pour la laver, l’habiller, la faire manger et la traite sans ménagement (« on n’est pas là pour se faire battre »). Plus les soignantes forcent, plus Josepha se défend.
En dehors de ces moments, Soeur Josepha passe la majeure partie de ses journées et de ses nuits en effectuant toujours le même geste répétitif de passer sa main sur son crâne en l’accompagnant d’un petit bruit parfaitement rythmé : han… han… han… han… sauf lorsqu’elle parvient à trouver le sommeil.
Un dimanche, après le repas de midi, alors que toutes mes collègues avaient déserté les services pour partager le gâteau dominical proposé par la déléguée syndicale de l’établissement, je poursuivais mes programmes de soins.
Je passai alors devant la chambre fermée de Josepha et quelques mètres plus loin, je m’arrêtai net : Je n’avais pas entendu le petit bruit de Josepha qui rythmait habituellement le silence du couloir à cette heure-là. Je ne sais pas, peut être une intuition m’a fait revenir sur mes pas et ouvrir la porte.
Son fauteuil-coquille était dans l’entrée de sa chambre, comme abandonné là, sans le moindre souci d’une disposition favorable.
La bascule du fauteuil n’avait pas était remise en arrière comme il se doit après le repas et Josepha avait glissé pour se retrouver le thorax au niveau de l’assise et la tête coincée par la contention abdominale qui elle n’avait pas bougé.
Elle était blanche, des gouttes de sueur froide perlaient sur tout son visage, elle était immobile, le regard fixe, ne respirant plus, les voies aériennes obstruées par le bol alimentaire remonté jusque dans le nez.
Je comprends, je déclipse la ceinture, me positionne derrière elle pour la plier vers l’avant.
OUF !! Elle tousse et évacue l’encombrement… elle re-respire.
Josepha, inerte mais vivante sur mes genoux, j’appelle une collègue à l’aide avec mon portable de service.
Nonchalante, ma collègue vient m’aider à changer sa chemise et à l’allonger sur son lit, puis va finir son gâteau, visiblement sans se rendre compte de ce qui venait de se passer (c’était elle qui avait raccompagné Soeur Josepha dans sa chambre).
Choquée et aussi blanche que Josepha, je suis restée à son chevet jusqu’à ce que l’IDE de coupure revienne ! Une heure et demi après la fin de mon service et sans qu’aucune collègue ne soit venue s’enquérir de la situation, je suis restée près d’elle, lui nettoyant doucement le visage, le nez, la bouche, lui parlant d’une voix maternante. Elle revenait lentement à elle mais était exténuée.
Les constantes étaient revenues à la normale, j’ai fait mon récit très factuel à l’IDE qui m’a répondu que je pouvais faire une transmission sur l’ordi mais « sans rentrer dans les détails ». Je quittai alors Josepha.
Le lendemain, au début de mon service, je m’empresse d’aller la voir. Elle dormait sur son lit. Je lui prends la main et la réveille doucement en la saluant.
Elle ouvre les yeux et me voit (je fais toujours attention à son regard en tunnel).
Son regard tout d’un coup est présent, elle ne me voit plus, elle me regarde et…
« Ah ! c’est vous ?… vous allez mieux ?… » me dit elle d’une voix claire, grave et d’autant plus surprenante que je ne l’avais jamais entendue auparavant.
Les yeux écarquillés de surprise et de bonheur, j’ai le temps de lui répondre : « oui Josepha, ça va, moi, et vous, comment ca va ? »
Puis elle perd son regard présent et n’est déjà plus avec moi.
Ce fut un des évènements les plus marquants de ma carrière (il y en a eu bien d’autres) et je ne l’oublierai jamais.
Il est très riche en sujets de questionnements mais ici, il en est deux que je voudrais particulièrement partager :
- lorsque l’on croit que les capacités fonctionnelles, notamment cognitives, sont réduites à néant, prenons garde qu’elles ne soient pas juste mises en veille comme nous le suggère l’émérite professeur Louis Ploton. Parfois elle peuvent être remises en marche à l’occasion d’évènements relationnels riches en émotions positives ou négatives. Une non-prise en compte de cette approche dans le soin réduit de façon dommageable nos possibilités d’actions favorables pour la personne (notamment celle de fournir au patient un environnement respectueux, calme, sécurisant, serein, favorisant la communication et les fonctionnalités restantes).
- cette mise hors service des fonctions cognitives, très mobilisatrices de réseaux neuronaux, pourrait servir à une économie favorable au maintien d’autres fonctions et/ou à inhiber la conscience d’un vécu trop insupportable pour eux (les patients).
Je trouve que cet exemple clinique illustre à merveille les nouvelles approches de la démence que nous proposent les auteurs reconnus en psycho gérontologie.
Merci d’avoir, par cette lecture, partagé mon expérience.
Vanina, assistante de soins en gérontologie.
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Avertissement aux lectrices et aux lecteurs :
Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)