Se retrouver seule, en relation avec un vieux Monsieur mourant qui souffre et refuse qu’on appelle sa famille pour ne pas l’angoisser n’est certes pas facile. Mais c’est compter sans les trésors d’intuition, de délicatesse et d’humanité de Martine… qui découvre que ce Monsieur est le père d’une amie de quartier, au moment où l’imam entre dans la chambre pour les prières…
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COMMENT NE PAS ETRE MALADROITE POUR AIDER UN PATIENT EN FIN DE VIE ET A LA CULTURE DIFFERENTE DE LA MIENNE ?
09/05/2010 Libre partage de Martine
Profession : Aide-Soignante
La chambre 21.
Je ne sais pas pourquoi, mais je suis toujours attirée par cette chambre. Il est là, dans son fauteuil, son peignoir sur ses épaules, assis face à la télévision qui reste ouverte jour et nuit ; comme s’il voulait entendre les bruits, les sons, la musique, la présence, la vie quoi !
Ses yeux ouverts, le regard profond, tantôt ses yeux se ferment.
Sa voix est à peine perceptible et ne demande jamais rien. Il y a comme une douce odeur de l’Orient dans sa chambre.
Quand il se sent épuisé, il émet des ah ! ah! des gémissements très durs à entendre. Il sait, il sait et à peur.
“Vous avez mal, Monsieur, voulez-vous un cachet pour la douleur ? Vous n’avez pas pris vos médicaments du soir, pourquoi, monsieur ?”
Il refuse son traitement, il ne veut pas dormir, il veut entendre, entendre, il veut voir défiler les images sur son écran de télévision.
“Voulez-vous que je prévienne votre famille ?” il est tard dans la soirée, et je lui dis qu’un proche peut passer la nuit à ses côtés.
Non! il ne veut pas sa famille, car il ne veut pas l’effrayer.
“Que puis-je faire pour vous, Monsieur ?” Il me fait signe qu’il voudrait s’allonger un peu. Il est très grand, tient debout, droit, oui droit avec beaucoup de force, que j’ai même la sensation qu’il veut m’aider, pour ne pas que je sente son poids, il me dit : “merci, merci”
A tout à l’heure , Monsieur !”
Une heure du matin, il est assis au bord de son lit et pousse des gémissements terribles à entendre, ah ! ah !
Il refuse toujours ses médicaments et veut aller sur son fauteuil, j’ai peur, j’ai peur qu’il tombe, il est mal !
Je m’assoie sur son lit à ses côtés et je lui prends ses mains : “Vous êtes fatigué, Monsieur et vous avez mal,” Il ne répond pas.
Je lui masse les épaules et son dos, alors en douceur, je m’appuie contre lui dos à dos, il se laisse aller et je sens sa tête sur la mienne. J’étais comme devenue le dossier de son fauteuil, sa respiration est plus calme, je le rallonge dans son lit.
Trois heures du matin, Monsieur est dans son fauteuil, face à sa télévision, sa respiration est saccadée, il salive un peu.
Affolée, je m’approche de lui, je me fâche un peu : “Monsieur, vous n’êtes pas raisonnable, vous allez tomber, vous n’êtes pas bien, vous souffrez, il faut vous allonger, n’ayez pas peur, Monsieur, je suis à vos côtés.” Entendez-moi ! Monsieur ! Entendez-moi !
Comme un guerrier, il se met debout, et je le réinstalle dans son lit.
Je comprends, je comprends qu’il va partir, ses yeux se retournent et il fait des pauses respiratoires, lentement je lui installe son peignoir sur ses épaules, et je me permets, je lui fait une bise sur son front, je l’entoure de mes bras, je suis là avec vous monsieur, les larmes coulent sur mon visage. Sa respiration est de plus en plus espacée.
Avec l’infirmière, nous prévenons sa famille. Sa fille nous demande, s’il est dans son lit.
“Oui, Madame votre papa est dans son lit”
Ils sont dix ! vingt ! dans la chambre, il y a des pleurs, il y a des cris, ils sont tous sur lui.
C’est plus fort que moi, je leur dis : “Non ! non ! non ! ne lui faites pas peur, s’il vous plaît!
“Il est mort ?”
“Mais non ! il n’est pas mort, il respire, il se prépare seulement à partir, laissez-lui de la place s’il vous plaît !” alors que l’épouse me donne raison, je prends la fille en cris dans mes bras et je la serre tout fort contre mon coeur, l’épouse nous rejoint et on est là toutes les trois entremêlées à verser des larmes. L’épouse me dit “merci, merci !”
L’infirmière, sans rien dire pousse la porte de la chambre, je me sens transportée au milieu de tous, dans la petite chambre de l’hôpital.
Tout d’un coup, j’entends une petite voix m’appeler.
Elle me connait, mais oui je la connais, une amie de quartier, lorsque j’avais trente ans.
Djamila ! mais que fais-tu ici ?
“C’est mon papa”, me dit-elle
“Oh non ! ” alors je la serre dans mes bras !
C’était donc cela l’étrange attirance de la chambre 21.
L’imam arrive et fait ses prières, il me regarde, je lui dis gauchement, “il quitte son corps, c’est maintenant à la volonté de Dieu ou Allah”.
L’imam me répond “Dieu ou Allah, c’est pareil ! ”
Je ne sais pas ce qu’il me prend mais je lui serre très fort les bras et je lui dis “merci”
“C’est cela la vie, me dit-il ! C’est naître pour partir un jour ! ”
Je vois Monsieur assis dans son fauteuil.
Il a comme un diamant dans son regard, il me sourit et me dit : “Merci !”
Au revoir Monsieur !
Merci, merci, merci, me dit-il.
Martine, aide-soignante en gériatrie.
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