Comment enlever toute trace de méchanceté dans mon cœur ?

À propos de la dualité, de l’ombre et de la lumière

Question (anonyme) :

Comment enlever toute trace de méchanceté dans mon cœur ?

Mes pistes de réponse :

Votre question est à la fois touchante et naïve dans la mesure où elle laisse croire que le respect des autres passe par l’éradication de sa propre méchanceté.
Vision sacrificielle et manichéenne de l’existence qui amène à croire que dans un monde duel dans lequel le bien est relatif au mal, le mal relatif au bien, il serait possible et souhaitable d’effacer le mal au profit du bien.

Il m’arrive fréquemment de tendre une feuille de papier aux personnes avec lesquelles je travaille pour leur demander de ne m’en donner que le recto. Et c’est avec plaisir que je les sens confrontées à leur impuissance, premier pas sur le chemin de leur compréhension et de leur respect d’elles-mêmes et des autres.
Tout est duel et les contraires sont inséparables : il n’y a pas de naissance sans mort, pas de concave sans convexe, pas de relation sans séparation, pas de lumière sans ombre, il n’y a aucun choix possible, il nous faut donc « tout prendre », plutôt que de croire devoir choisir.

Swami Prajnanpad répétait « Tout est neutre », cela signifie que la méchanceté n’existe pas en soi, qu’elle est l’interprétation que nous faisons du comportement de l’autre quand il ne correspond pas à nos attentes.

Il n’y a donc rien à mettre à l’écart ni à jeter, juste à rééquilibrer. À vouloir éliminer la part de la dualité qui ne correspond pas à nos besoins, on créé la division en soi et la guerre avec les autres. À créer la division on renforce inconsciemment ce que justement on cherche à éliminer.
Nous n’avons donc pas d’autre choix que celui de faire avec le haut et le bas, l’envers et l’endroit, le bien et le mal, le plaisir et la peine, pas d’autre choix – dans la dualité – que celui de la réconciliation des contraires pour qu’ils s’accordent enfin.
Faire s’opposer les contraires c’est la fameuse « lutte du bien contre le mal », issue du vieux principe romain « Si vis pacem para bellum » (Si tu veux la paix, prépare la guerre.) Qui peut encore oser prétendre que la guerre peut mener à une paix durable ? Qui peut sérieusement attendre l’équilibre de la terreur et de la répression ?

L’ombre n’est que la résistance à devenir soi-même. Toute évolution passe par un certain désordre qui ne doit pas nous effrayer, car c’est à travers ce désordre, ces contradictions, que nous parviendrons à l’équilibre, c’est-à-dire à ce que « l’ombre travaille au service de la lumière. »
Carl Gustav Jung définissait l’ombre comme « quelque chose d’inférieur, de primitif, d’inadapté et de malencontreux, mais non d’absolument mauvais. »

Cherchez, nous avons tous nécessairement les défauts de nos qualités et les qualités de nos défauts ; rassurez-vous, nous n’avons pas d’autre choix que celui de devoir passer par un certain désordre pour atteindre la lumière.

Résister, vouloir s’échapper, sous le prétexte de vouloir être bon, est inapproprié. Réconcilier les contraires, c’est devoir tout prendre. Tout prendre c’est permettre à ces contraires de cohabiter en nous-même en faisant bonne figure. C’est, par exemple, parce qu’une personne reste lucide et consciente de sa réaction possible de rejet, que parvenant à ne plus craindre son emportement, elle pourra l’accueillir et s’apaiser. C’est en intégrant son émotion qu’un être pourra la sublimer, pas en la réprimant.
Il nous faut ruser, c’est en nous acceptant tels que nous sommes avec nos contradictions que nous parviendrons à la cohérence : quand des forces égales et opposées se rencontrent, elles s’annulent tout naturellement.
Parvenir à rester stable, c’est – pour celui ou celle qui a compris que le choix était impossible – ne plus vouloir choisir entre l’ombre et la lumière en soi-même.

Héraclite disait :

« L’homme ne saisit pas qu’en se contredisant, les choses s’accordent. »

C’est en acceptant, en intégrant les contradictions de ce que nous sommes que nous nous équilibrerons, il n’y a donc pas de place pour l’amertume ni pour le regret.

Comme l’écrit le poète Rainer Maria Rilke dans une lettre à Monsieur Kappus : « Quand une inquiétude passe, comme ombre ou lumière de nuage, sur vos mains et sur votre faire, vous devez penser que quelque chose se fait en vous, que la vie ne vous a pas oublié, qu’elle vous tient dans sa main à elle et ne vous abandonnera pas. »

Ainsi, nous ne parviendrons pas à « être bons » en cherchant à « enlever toute trace de méchanceté dans notre cœur », (ce qui aurait pour effet de réveiller l’autre aspect de la dualité en nous). Pascal nous a prévenu qui disait : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. ».
Nous parviendrons donc à être bons en trouvant la bonté qui est déjà en nous-même et en lui permettant avec douceur et patience de s’exprimer.
Il y a là une manière de s’y prendre, une pratique, à laquelle nous pouvons nous entraîner.

C’est là, je crois, le sens profond de ce dicton maori :

« Tourne-toi vers le soleil, l’ombre sera derrière toi. »

Illustration :

Martine Chassé : Juste un peu d’ombre.

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Emma

Ce texte a résonné en moi extrêmement fort.
Je l’ai lu au moins 10 fois et chaque fois, une autre lumière s’allume !
Il rejoint l’idée (que je défends) qu’il y a une part dans chacun de nous, de “bon”. Il rejoint l’idée également qu’il faut parfois renoncer (ne pas lutter contre mais accepter la situation) pour gagner en sérénité.
Merci !