J’ai remarqué que beaucoup de personnes entreprennent un travail thérapeutique en s’imaginant qu’il est possible de guérir de ses « schémas » ou de ses « névroses » comme on guérit d’une mauvaise grippe.
Ainsi croient-elles que comme on chercherait à tuer un microbe pour recouvrer la santé, il suffirait de retrouver la ou les causes de ses troubles (le fameux traumatisme) pour en être libre, c’est-à-dire pour pouvoir définitivement sortir de sa prison.
Or ce n’est pas si simple.
Cette jeune fille n’a pas pu faire autrement, depuis son enfance, que de donner son assentiment aux injonctions et aux projections de ses parents toxiques qui ont réussi à lui faire croire qu’elle était mauvaise et égoïste et que sa naissance était à l’origine de tous les malheurs qui leur étaient arrivés à eux, minant ainsi peu à peu sa confiance en elle.
Devenue adulte, façonnée par les regards négatifs que ses parents ont constamment projeté sur elle, elle pense sincèrement que parce qu’elle est égoïste et mauvaise, elle ne peut que porter la poisse à ceux qu’elle rencontre. Conditionnée par les pensées qu’elle a sur elle-même, incapable d’entrer en relation, enfermée dans sa prison, elle souffre.
Peu à peu, au fur et à mesure de l’élaboration du travail thérapeutique de connaissance de soi-même et à travers le nouveau regard sur elle que lui renvoie son thérapeute, elle parvient à faire naitre chez elle une part « adulte » objective, capable de « voir les choses telles qu’elles sont » plutôt que de les interpréter à travers son schéma négatif, une part non conditionnée par son passé ni modelée par ses habitudes qui lui permet de prendre un peu confiance en elle.
Mais ce n’est pas parce qu’elle sera parvenue à faire naître en elle cette part objective qu’elle ne sera soudainement plus conditionnée par les souffrances occasionnées par « l’enfant perdu » en elle – qui pourra continuer pendant longtemps encore de lui instiller des pensées fausses sur elle-même.
Comme le dit Arnaud Desjardins :
« C’est l’enfant en vous qui souffre, c’est l’enfant en vous qui ne peut pas ne pas souffrir, c’est l’enfant en vous pour qui c’est terrible, affreux, insupportable. C’est lui qui transpose sur la situation actuelle vécue par le pseudo-adulte non seulement son émotion mais son schéma mental, c’est-à-dire sa conception, sa manière de voir ou plutôt de ne pas voir. »
Parce que rien, jamais, ne pourra faire que notre conditionnement n’a pas existé, il n’y a pas – dans la thérapie – un moment où (comme quand on recouvre la santé), on guérit définitivement parce qu’on a enfin exprimé ou compris quelque chose.
Ce qui est par contre possible c’est, grâce à une détermination et à un constant travail sur soi – éclairés par une lucidité sans faille – que ce conditionnement devienne progressivement de moins en moins prégnant, c’est-à-dire que cela devienne peu à peu de plus en plus aisé de ne plus lui obéir – parce qu’il aura été vu à l’œuvre. C’est donc cette capacité à repérer en soi ses conditionnements destructeurs qui permet de s’en libérer peu à peu. Le fait de voir « l’enfant conditionné en nous » aux commandes et d’oser lui désobéir est le moteur du changement que nous voulons pour nous-mêmes.
Pour nous libérer de la prison dans laquelle nous sommes enfermés, il ne suffit donc pas de simplement retrouver le traumatisme originel qui nous a contraint de nous y enfermer, il faut aussi avoir vu et revu comment ce traumatisme est encore actif en nous et comment il oriente nos manières de penser et d’agir maintenant, ce qui revient à oser mettre systématiquement en doute notre ancienne manière infantile d’appréhender la réalité.
Cela s’appelle reconnaître inlassablement ses conditionnements plutôt que de les justifier à travers sa mémoire traumatique comme bien souvent les personnes qui ont entrepris un simple « bout » de thérapie sans la mener à son terme le font en expliquant qu’elles « savent ».
Une femme pourra dire : « Si je ne m’engage pas dans une relation amoureuse stable, c’est normal, mon « papa » nous a abandonnés quand j’avais 12 ans et j’ai trop peur que ça recommence avec un homme » et ne pas dépasser le stade de la fillette abandonnée, qui est sa prison.
Par définition, on ne peut ni « faire grandir » ni « guérir » l’enfant blessé qui est en nous, mais – pour se libérer de son emprise – on peut apprendre à le reconnaître quand il se manifeste (par une peur anormale au vu des circonstances présentes) et apprendre à constater que l’on n’est plus cet enfant, c’est-à-dire se dissocier de lui.
C’est à ce prix qu’il devient progressivement possible de s’évader de sa prison, en sortant du monde de la victime pour entrer dans celui de l’adulte enfin devenu responsable de lui-même et de ce qu’il veut pour lui-même.
© 2015 Renaud & Hélène PERRONNET Tous droits réservés.
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Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)