Ce que toute jeune mère et tout jeune père vont vivre et qu’il est bon qu’ils sachent pour ne pas se perdre.
« Si nous voulons la réalité, nous devons sacrifier nos illusions.
On ne peut pas avoir la réalité et conserver ses illusions. »
Lee Lozowick
Ce texte a été écrit par Polly Döge (élève de Lee Lozowick) :
« Tu ne peux pas être un bon parent tant que tu ne t’avoues pas à toi-même que tes gosses t’emmerdent. »
Cette remarque m’a conservée saine d’esprit – et mes enfants en bonne santé – en maintes occasions. (…) La vie avec des enfants est pénible. Elle est merveilleuse, pleine de gaieté, magique, à couper le souffle, alchimique, fantastique – mais elle est pénible aussi. Les côtés pleins de gaieté, magiques, à couper le souffle, alchimiques et fantastiques dans l’éducation des enfants nous posent peu de problèmes parce que nous ne sommes pas dans le déni par rapport à eux. Mais sous sommes dans un profond déni quant au côté pénible de l’éducation des enfants.
Quand un homme et une femme se mettent ensemble, c’est comme le mélange de deux produits chimiques dans la même éprouvette. Ce qui se produit dépend des éléments que l’on a mis en présence : certains dégagent de la fumée, certains font des bulles, certains changent de couleur, certains émettent des gaz. Quelle que soit la réaction, elle sera spectaculairement intensifiée si le contenu de l’éprouvette est chauffé au-dessus d’un bec Bunsen1. Les enfants sont ce bec Bunsen. Le fait de vivre avec des enfants nous confronte aux névroses que nous avons niées toute notre vie. Les petites fêlures dans nos relations deviennent soudain de véritables fissures quand nous avons un enfant. Le manque de sommeil, le manque de temps pour nous-mêmes, le manque de liberté de mouvement, et n’importe laquelle de ces interruptions post-natales d’une vie sexuelle qui, par ailleurs, fonctionne avec régularité, réclament bientôt leur tribut en rendant les partenaires irritables, grincheux et rancuniers.
Les marques de grossesse, la prise de poids, les cicatrices de l’épisiotomie, les seins affaissés, auxquels s’ajoute le fait de ne pas pouvoir prendre une douche, couper leurs ongles de pieds, laver leurs cheveux ou même changer leurs slips régulièrement ôtent aux femmes leur séduction et les rend non aimables et non aimées. L’absurdité de mettre des vêtements qu’elles aiment pour que ceux-ci soient immédiatement tachés d’une façon ou d’une autre fait qu’elles se trimbalent jour après jour dans des vêtements dont elles n’ont que faire, ce qui aggrave leur perte d’estime de soi. De toute façon, les hommes ont de sérieux problèmes à surmonter le tabou d’être l’amant d’une mère ; que les changements physiques de leur femme pendant et après la grossesse soient un véritable problème ou juste une excuse, une période de retrait de l’intimité physique est très fréquente à cette occasion.
Bien que les femmes n’aient souvent que peu ou pas de désir sexuel pendant un certain temps après l’accouchement, elles ont désespérément besoin d’être rassurées quant au fait qu’elles sont toujours aussi séduisantes, désirables et aimées en tant que mères qu’elles l’étaient en tant qu’épouses ; aussi ce retrait de la part de leur partenaire survient-il à un moment où elles sont particulièrement vulnérables. Qui plus est, la liberté de mouvement des hommes est en général assez peu entravée, si ce n’est pas du tout, après la naissance d’un enfant, alors qu’une femme qui prend au sérieux les besoins de son enfant se verra contrainte d’accepter une véritable réclusion solitaire pendant des mois, voire des années. Même au sein d’une relation où il y a suffisamment d’intimité et d’intelligence pour que les partenaires partagent leurs besoins et leurs peurs, l’accumulation des facteurs ci-dessus mentionnés conduit fréquemment à d’insurmontables problèmes ; là où l’intimité ou l’intelligence sont faibles ou absentes, la relation commence à se dégrader presque immédiatement après l’accouchement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus dans la maison qu’une mégère critique, tranchante, jalouse, amère et vindicative et un prétendu Casanova indifférent qui prend comme excuse le manque de séduction croissant de sa femme pour s’échapper. L’augmentation rapide du nombre de « relations » qui ne parviennent pas à passer le cap du premier anniversaire de leur progéniture en est la preuve.
Dès leur plus jeune âge, nos enfants nous renvoient, avec une honnêteté scrupuleuse et un regard qui scrute sans pitié, chaque aspect du déni que nous avons longtemps caché : notre résistance, notre égoïsme, notre refus de servir, notre besoin de manipuler, dominer et contrôler, notre cruauté, notre rage et notre tendance à la violence quand ce besoin particulier se trouve contrarié, notre souffrance quand les besoins de nos enfants nous rappellent nos propres besoins d’enfant, réprimés depuis longtemps, qui n’ont pas été vus, apaisés et sont restés sans réponse. C’est le plus grand cadeau que nos enfants puissent nous offrir, le plus grand cadeau que quiconque puisse nous offrir. Le plus compétent des psychothérapeutes, le plus coûteux, ne peut pas nous mettre en contact avec notre propre psyché en dix années de thérapie de la façon dont nos enfants le font en six mois – si nous le leur permettons. Aucune littérature « profonde », quel que soit le nombre de livres que nous lisions, aucune participation à des séminaires de développement personnel ne peuvent nous mettre en contact avec notre propre psyché de la façon dont nos enfants peuvent le faire – si nous le leur permettons. Et, en fait, personne ne nous aimera jamais non plus comme nos enfants le font – si nous le leur permettons.
Polly Döge, Le Chemin de l’Intimité, Éditions A.L.T.E.S.S., 2003.
Notes :
1. Bec Bunsen : brûleur utilisé en laboratoire qui porte le nom de son inventeur, le chimiste allemand Robert Wilhelm Bunsen.
Illustration :
Egon Schiele, Young mother, 1914.
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Si vous avez apprécié la lucidité avec laquelle ce texte est écrit dans sa relation aux choses telles qu’elles sont, je vous invite à lire :
- Pour une éducation consciente, de Lee Lozowick, Éditions Le Relié Poche, dont vous trouverez le premier chapitre ici.
- Relations parents / enfants / parents
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