De l’autre côté…

Chloé est une jeune infirmière qui n’avait jamais été hospitalisée. Un beau jour, elle s’est retrouvée « de l’autre côté »… comme patiente angoissée. Elle nous livre ses impressions, ses réflexions.

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L’EXPÉRIENCE D’UNE JEUNE INFIRMIÈRE

19/07/2013 Libre partage de Chloé

Profession : Infirmière

Pour la première fois de ma vie, je me suis retrouvée de l’autre côté…

Après avoir été pendant trois ans et demi à l’école en tant qu’étudiante infirmière et quasiment quatre ans en tant que soignante, je me suis retrouvée soignée…

Ce 4 mai, j’avais eu la merveilleuse surprise de découvrir, grâce à un test acheté à la pharmacie, que j’étais enceinte. Quelques jours plus tard, confirmation par la prise de sang.

Je n’avais averti personne à part mon compagnon, car j’attendais un rendez vous chez le spécialiste pour la fin du mois. J’avais continué à travailler normalement (en essayant toutefois de ne pas en faire trop).

J’ai dû avancer ce rendez-vous de onze jours car j’ai eu des saignements… et ça a été la panique.

Je savais ce que ça signifiait, j’avais déjà entendu des femmes qui avaient eu ces symptômes : « je fais une fausse couche » me disais-je.

Je tremblais, j’avais peur, je sentais que j’étais en train de paniquer complètement, que je ne contrôlais plus rien. J’étais seule chez moi, personne n’était au courant de mon état, que faire ?

Je me rappelais qu’une amie avait eu le même souci. Je l’ai appelée, lui ai expliqué ma situation, et lui ai demandé des conseils. Elle m’a dit alors d’appeler la maternité, d’expliquer mon problème à une sage femme.

Ce que j’ai fait et la sage-femme m’a dit de venir immédiatement.

Vingt minutes de trajet… je ne me rappelle même plus comment j’y suis arrivée mais j’y suis arrivée. L’amie que je venais d’appeler était venue me soutenir. Elle me dit alors : « je sais dans quel état tu es, j’ai vécu la même chose alors je sais à quel point on apprécie que quelqu’un nous soutienne et soit avec nous ».

J’avais voulu gérer ça toute seule, ne voulant inquiéter personne… mais j’étais tellement contente qu’elle soit là, de n’être pas seule.

Aussi loin que je puisse me souvenir, je n’ai jamais ressenti un tel état de panique, je tremblais sans arriver à me contrôler.

Le médecin est arrivé, m’a auscultée. Verdict : il y avait effectivement un risque de fausse couche avec présence d’un hématome et le traitement était : repos strict et traitement hormonal…

Ce que j’ai fait.

Entre temps, étant en arrêt maladie prolongé, je décide d’avertir ma famille, certaines de mes amies proches et mes collègues. Tout le monde était content pour moi… mais moi j’étais beaucoup moins enthousiaste : et si je faisais une fausse couche ? Il faudrait que je le dise à tout le monde…

J’ai donc continué ma vie en étant au « repos obligatoire » et avec mes nausées de femme enceinte. Le médecin a dit : tant qu’il y a des nausées c’est que le fœtus est toujours là.

C’est la première fois que j’ai prié pour avoir des nausées…

Malheureusement, une semaine après  j’ai à nouveau saigné…

Il est 20h… je stresse à nouveau, je panique… mais cette fois je ne suis pas seule, mon compagnon est là.

Comme convenu lors du dernier rendez vous avec le médecin, j’appelle une sage femme qui me dit de venir directement…

La sage-femme nous reçoit.

Elle était jeune, je pense qu’elle avait à peu près mon âge. Je remarque immédiatement la douceur de cette soignante : elle a une voix douce, calme, paisible, rassurante. Elle me parlait clairement, me demandait des précisions, essayait de me détendre, elle faisait des petites blagues qui, je dois l’avouer, me détendaient un petit peu.

Je pense que si j’étais tombée sur une sage-femme « froide », sèche, voire antipathique… je me serais sauvée.

Elle commence par remplir un dossier : nom, prénom, date de naissance…

Je me dis : elle doit voir que je suis totalement paniquée… calme-toi…calme-toi.

Elle me demande ce que je fais comme métier ; « je suis infirmière » ; elle esquisse un petit sourire et me demande dans quel hôpital et dans quel service je travaille et s’engage alors une petite discussion sur nos deux métiers.

Elle décide d’aller appeler mon gynécologue (de garde dans cet hôpital) et nous laisse quelques minutes seuls dans la salle.

Je sens que mon compagnon est encore plus paniqué que moi, il ne montre rien mais je le sens. Il s’inquiète, c’est moi qui le rassure.

La sage-femme revient et me dit que le médecin préfère me garder une nuit en hospitalisation et ainsi me voir demain à la première heure. Je lui réponds que je pourrais tout aussi bien dormir chez moi et mon compagnon acquiesce . Elle me sourit mais insiste : « Je sais qu’on est mieux chez soi mais il est préférable que vous restiez ici cette nuit pour être sur place pour que le médecin vous voie demain, et pour vous éviter les trajets .»

J’avais autant envie de rester la nuit que d’aller au bagne… Je n’avais prévu aucune affaire, rien…

La sage-femme m’explique alors qu’elle allait me perfuser, me faire une prise de sang.

Pendant qu’elle préparait tout le matériel, j’essayais de faire gonfler mes veines « déformation professionnelle », me dit-elle, sûrement… mais les veines ne sortaient pas. La faute au stress ! Moi qui ai « de bonnes veines » d’habitude ! Super…

Pour tenter de me détresser, la sage-femme engagea la conversation : « je n’aurais pas pu faire infirmière moi… ».

Je lui répondis : « ah bon ? Pourtant sage-femme c’est pire non ? ». On rigolait toutes les deux.

Elle continua :  « Sage-femme c’est différent : les décès c’est très très rare ; en général, c’est que du bonheur une naissance. Et puis les gens sont là quelques jours puis partent, on n’a pas vraiment le temps de s’y attacher, alors qu’infirmière… entre les fins de vies, les personnes âgées qui restent parfois des semaines… ça serait trop dur pour moi, j’emporterais tout ça à la maison… ».

J’allais lui répondre quand j’entendis mon compagnon partager : « c’est dur pour elle, elle rentre parfois avec pleins de choses sur le cœur, elle m’en raconte certaines, tristes ou pas, elle a déjà pleuré… mais je pense qu’en parler lui fait du bien ». Je confirmai ces dires mais j’étais complètement bouche bée.

Elle me pique… je ne regardais pas, je sentais juste la piqûre, je pensais que ça ferait plus mal que ça. Première fois qu’on me perfusait, je m’attendais à pire.

Il était presque 21h, j’étais perfusée, on m’avait fait une prise de sang, mis une blouse d’opéré, accompagnée en chambre, donné une bouteille d’eau, montré comment fonctionnait le lit, demandé si je n’avais besoin de rien. On me redit de bien me reposer, que s’il y avait le moindre souci, je devais appeler.

La soignante me souhaite une bonne nuit et s’en va.

Une « bonne nuit »…comment passer une bonne nuit dans un endroit qui n’est pas sa maison et dans un lit qui n’est pas le sien ? Je me connais, je vais sûrement très mal dormir mais je n’ai pas le choix.

Mon compagnon doit également me laisser, il est vingt deux heures, les heures de visite sont depuis longtemps terminées. Il part… Je vois à son visage qu’il est encore plus triste que moi… sois forte me dis-je, tu es infirmière alors tu ne vas pas pleurer parce que tu dois rester une nuit à l’hôpital !

Je me retrouve donc seule avec moi même, dans une chambre double, « côté fenêtre ». Pas de voisine de chambre pour l’instant ; peut-être que cette nuit il y aura une admission… j’espère que non… je préfère être seule… Tiens, ça me fait penser à certains de mes patients qui me disent très régulièrement : « je veux une chambre seule », mais c’est comme ça, il y a des chambres seules et des chambres doubles…

Pas de télévision (elle est payante et comme j’étais arrivée le soir…).

Mon téléphone portable pour seul objet d’occupation : j’en profite pour appeler mes parents « ne vous inquiétez pas… juste une nuit pour surveillance… tout va bien ».

A leurs voix, j’ai bien senti qu’ils s’inquiétaient quand même.

Pour moi l’hôpital, le lieu même, est devenu tellement banal. J’y travaille parfois cent cinquante heures par mois, alors pour moi c’est un endroit comme une autre (enfin presque) mais pour les gens de l’extérieur comme mes parents, l’hôpital est souvent synonyme de « grave ».

« Quand on va à l’hôpital c’est qu’on a quelque chose de grave » me disaient souvent mes parents et mes grands parents. Ils ne savent pas qu’on peut y aller pour une surveillance, pour des examens plus ou moins bénins, donc ils s’inquiètent, et les sentir inquiets m’angoisse, me fait culpabiliser.

Je les rassure donc comme je peux, puis j’essaye de m’occuper avec mon téléphone portable : internet, sms…

Enfin, je me mets à scruter mon environnement.

Cette sonnette accrochée au lit que je ne voyais même plus sur mon lieu de travail : deux boutons pour la lumière (je les teste), un bouton rouge pour les appeler elles.. les soignantes… en même temps je prie pour ne pas avoir besoin de le faire, car ça signifierait que j’aurais un gros souci…

Les commandes du lit : ah tiens, elles ne sont pas comme chez nous… je teste : je monte la tête, un peu, trop, pas assez ; je monte les pieds un peu, trop, je baisse complètement.

Je regarde ma perfusion : le point de ponction, le pansement transparent qui la maintient (elle aurait pu en mettre un plus grand) ; et si dans la nuit j’arrachais ma perfusion sans faire attention ? (me vient d’un coup en tête l’image d’une patiente, qui pendant mon poste de nuit, s’était arraché sa perfusion par inadvertance : il y avait du sang partout, une catastrophe).

Je regarde dehors : rien, il fait nuit.

J’écoute ce qui se passe dans le couloir : les soignantes travaillent… j’essaye d’identifier des bruits : seringue, ampoule, chariot.

Il faut que je dorme…

Malheureusement les heures tournent, je ne dors pas… Je m’endors par à coups… la nuit est longue, je suis seule dans cette chambre sombre. J’ai pour seule lumière celle du couloir qui passe à travers les pourtours de la porte et celle d’un réverbère dehors, que je vois à travers ma fenêtre.

Puis me vient une peur : celle de l’entrée en pleine nuit d’une soignante qui vient voir comment je vais. Puisque moi aussi je fais le tour en poste de nuit, parfois je réveille des patients avec ces portes de chambres tellement bruyantes.

Mais je ne l’ai pas entendue passer… peut-être que je me suis endormie… peut-être qu’elle n’est pas passée me voir… je ne le saurais jamais…

Je regarde l’heure : 6h…

J’entends des voix : ça doit être le poste du matin qui arrive. Elles ont l’air de bien s’entendre, elles plaisantent, elles rient.

Ça me rend nostalgique : cela fait trois semaines que je n’ai pas vu mes collègues. Les fous-rires me manquent, la bonne ambiance… chacune d’entre elle me manque. Elles sont ma vie sociale quotidienne, je les vois plus que certains membres de ma famille, on a partagé des choses extraordinaires, des choses difficiles aussi ; chacune a son petit caractère et c’est ça qui est super. Est ce que je leur manque aussi ? Je ne sais pas… en tout cas quelques anecdotes me viennent à l’esprit, je me mets à sourire en y pensant…

En pensant à tout ça, j’ai dû me rendormir car quelques minutes plus tard je me fais réveiller par une infirmière du poste du matin, qui allume la lumière de ma chambre : « bonjour, comment ça va ? La douleur, ça va mieux ? Je vous ramène les médicaments… ». Ma voix encore engourdie de la nuit parvient tout juste à lui répondre « oui, oui, d’accord ». Une autre soignante entre… je reconnais la tenue d’étudiante que j’avais aussi à l’époque : « je viens vous prendre la tension et la température ».

Tout était bon.

Son côté beaucoup plus disponible que sa collègue me saute immédiatement aux yeux… je me permets donc de lui demander si il me serait possible d’avoir un gel douche et une serviette de toilette. Elle acquiesce, et me ramène tout dans l’instant. J’entends l’infirmière lui dire : « change aussi sa perfusion, elle est presque vide », l’étudiante s’exécute.

Je me retrouve à nouveau seule avec ma perfusion, ma blouse d’opérée, un gel douche hospitalier et une serviette et je me mets à cogiter : c’est donc ce sentiment là que les patients ressentent face à une étudiante ? Je m’étais déjà rendu compte qu’en tant qu’élève infirmière on est plus disponible que d’autres soignants (et les patients le sentent) mais être de l’autre côté, être là en tant que patient et le ressentir moi-même ça m’a bouleversée.

Je me ressaisis et me lève péniblement pour aller à la salle de bain. N’oublie pas ta potence, me dis-je, sinon tu vas faire un bain de sang…

Sept heures, on frappe : « bonjour Madame, vous buvez quoi au petit déjeuner ? »

Toujours avec ma voix un peu enrouée, je réponds : « un café au lait s’il vous plaît »

La soignante me sert mon plateau du petit déjeuner avec un grand sourire. L’odeur du café me fit totalement oublier le reste.

J’avais tellement faim.

Je m’assis à table et mangeai.

J’eus l’impression de découvrir de nouvelles saveurs… « n’importe quoi, me dis-je, un café et une tartine beurrée, ce n’est pas la première fois que tu en manges, qu’est ce qui te prend ? »

Aucune idée, en tout cas ce petit déjeuner me ravit et me donna un coup de fouet.

Je décide donc d’aller faire ma toilette. Problème de taille : la perfusion. Pas de douche pour moi.

Je me lave donc au lavabo… « tu parles d’une toilette »… j’avais toujours ma blouse d’opérée, pas de peigne, pas d’autres habits. C’est mieux que rien mais ce n’est pas terrible. J’avais vraiment envie d’une douche. Espérons que je rentre aujourd’hui.

Huit heures, mon médecin entre dans ma chambre suivi de l’infirmière, il commençait sa tournée.

Il me demande comment je vais, mes symptômes, et me dit qu’une fois sa tournée terminée il me fera une échographie.

Me voilà en salle d’échographie avec lui. Il dédramatise la situation en plaisantant, j’esquisse un sourire mais – je le sens au plus profond de moi – je joue un rôle : je fais celle qui est à l’aise mais je ne le suis pas du tout… j’ai envie de pleurer, de me plaindre « pourquoi moi ? », et surtout envie de lui dire : arrêtez de parler et faites-moi cette échographie, qu’on en finisse… Sauf que ce qui sort de ma bouche c’est : « oui », « non » ,« ok », tel un perroquet à qui on n’aurait appris que ces trois mots. C’est affreux ! Moi qui suis une personne bavarde, je ne me reconnais pas. Et plus je m’en rends compte, plus je me referme. L’horreur !

Il fait donc l’échographie. J’essaye de voir, de comprendre… puis avec un peu d’effort, je commence à voir, à comprendre. J’observe le visage du médecin : il est neutre. Bon ou mauvais signe ?

Je regarde l’écran… le médecin. J’ose lui demander : « alors ? », il me regarde et dit : regardez là et là, et il m’explique. Au fur et à mesure, je prends conscience que ce qu’il me dit est une bonne nouvelle, que tout va bien, que c’était un petit accident mais que tout semble aller pour le mieux, qu’il me faudra encore du repos, c’est tout.

Il me demande : « vous voulez rester ici deux ou trois jours pour vous reposer ? »

Je réponds « NON », un vrai cri du cœur… il se met à rire : « ah bon ? C’est drôle ça, venant d’une infirmière ».

Je décide donc de me reposer chez moi.

Je retourne au service, je cherche une infirmière pour lui dire fièrement : « vous pouvez me libérer de ma perfusion ». C’est l’étudiante qui vient m’enlever la perfusion. Je profite de ce moment pour lui dire mon ressenti : que c’était la première fois que j’étais de « l’autre côté », que maintenant je pouvais vraiment ressentir ce que je faisais « subir » aux patients (prise de sang, perfusion …). Elle était d’accord avec moi, elle me dit que ça avait dû être bizarre.

Je suis retournée dans ma chambre à vive allure, j’ai appelé pour qu’on vienne me chercher, j’ai pris mes affaires et je suis allée dire au revoir au personnel.

J’éprouvais un sentiment de liberté quand je suis sortie.

Quelle expérience…

Et dire que, là où je travaille, certains patients restent des semaines, voire des mois hospitalisés, que certains sont piqués plusieurs fois pour diverses raisons, qu’à cause de soucis internes (charge de travail, réduction de personnel) on ne passe pas les voir souvent ou alors en coup de vent. Ce que j’ai subi moi pendant une seule nuit, ce n’est vraiment rien, comparé à ce qu’ils vivent.

Moi qui essayais d’être empathique et qui pensais l’être… avant… Après cette expérience, je vais l’être encore plus, je pense… je l’espère…

Dans quelques mois, je serai à nouveau « de l’autre côté… » pour l’accouchement !

Chloé, infirmière en service de médecine.


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MERCADAL

Confirmation : seule l’expérience personnelle est une valeur sûre , tout n’est pas contenu dans les études et le travail , quand notre vie bascule le vrai sens des choses apparaît : c’est ce qui reste formidable … le combat victorieux face à la peur , vaincre la crainte , faire acte de reconnaissance . TOUTE difficulté est très utile !