Accompagner jusqu’au bout

Nouveau partage de Vanina et de sa pratique discrète et silencieuse avec un patient en fin de vie.

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05/06/2015 Libre partage de Vanina

Monsieur P., c’est ce grand vieillard tout maigre de 94 ans, célibataire sans enfant, ancien militaire qui a « fait les quatre guerres, moi Madame ! » et que plus personne ne visite depuis longtemps.

Insuffisant cardio-respiratoire et très dénutri, encouragé par un certain désinvestissement de l’équipe, il ne veut quitter son lit mais garde une gentillesse poignante, un humour très fin, les souvenirs d’instants pénibles qui reviennent à lui sous forme de cauchemars ou de réminiscence mais aussi ceux de sa mère, emplis de tendresse. Monsieur P. garde aussi son tempérament « du tonnerre de dieu » et toutes les soignantes ne peuvent réaliser les soins dont il a besoin car il tient à distance celles qu’il détecte intuitivement ou implicitement trop brusques.

Mais l’état général de Monsieur P. s’est aggravé et je m’attache à l’accompagner avec une proximité et une attention encore plus forte que d’habitude. Je le connais bien, je sais qu’il est frileux et que tout son thorax le fait souffrir. De poser un long moment mes mains chaudes à plat sur sa poitrine lui fait du bien. Il se laisse faire. Il ne parle plus, ses yeux dans mes yeux il me sourit, on se sourit. C’est la fin, il le sait, je le sens mais ça va quand même. Le lendemain, c’est la phase d’agonie, il est dans un semi-coma et je vais le saluer une dernière fois, lui répète qu’il est un homme formidable et que je suis heureuse de le connaitre. En sortant de sa chambre, l’infirmière me dit que l’ambulance arrive pour l’hospitaliser car elle et le docteur ont « peur de passer à côté de quelque chose ». Monsieur P. ne vivra pas cette ultime péripétie et mourra avant que l’ambulance n’arrive. Je me suis dit que parce que le docteur a eu peur de je ne sais quoi (!) nous avons manqué d’envoyer Monsieur P. mourir dans le couloir des urgences, nous avons manqué de passer à côté sa mort. Monsieur P. en aura décidé autrement.

Chapeau bas Monsieur P.

« Au-delà des mots. Les interactions tardives, au moment de la mort du vieillard, c’est le partage d’un moment unique : la présence, l’approche et le toucher. (…) La communication se situe au niveau du visage et des lèvres, du regard et des mains. Au moment de mourir, les interactions tardives deviennent des moments intenses de silence, de gestes partagés, de dignité et de complicité. »

Antoine Lejeune. Neurologue.

C’est vrai, je le vis bel et bien, ça ne fait pas mal, n’est possible que dans l’authenticité d’une relation de confiance réclamant savoirs théoriques, motivation et lucidité des personnels intervenants.

Merci par cette lecture d’avoir partagé mon expérience.

Vanina, assistante de soins en gérontologie.

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Extrait de mon dernier échange de courrier avec Vanina, qui peut être éclairant pour vous :

J’ai été convoquée au bureau de la directrice après cet évènement pour avoir osé questionner l’IDE sur la décision médicale d’hospitalisation. J’en ai profité pour rappeler à ma hiérarchie la primauté du recueil de directives anticipées, de la nomination de la personne de confiance (dans les cas d’extrême solitude, c’est souvent le tuteur) et bien sur de la prise en compte de la légitimité de ces mesures lorsque leur mise en place a été possible. Dans le cas de Monsieur P., une équipe soignante formée aux symptômes de fin de vie et à leur prise en charge aurait pu atténuer les tensions interpersonnelles qui ont entouré l’évènement. Et il va sans dire que, comme autrefois, il est très mal vu qu’une aide-soignante porte ce genre de questionnement sur le bureau.


Vous êtes aidant (éducateur, travailleur social, thérapeute, psychologue, professeur, bénévole…) Vous êtes soignant (infirmière, aide-soignante, médecin, sage-femme…) Vous êtes parent ou « aidant naturel » (de vos vieux parents, d’un voisin…) Vous souhaitez témoigner, vous avez quelque chose à dire ou à crier. Votre partage touchera ceux qui vous liront et qui pourront vous répondre. N’hésitez pas à m’envoyer votre texte que je pourrai publier dans l’espace dédié aux aidants ! Pour ce faire, CLIQUEZ ICI


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Très belle histoire, remplie de sensibilité, d’intuition et de tendresse, en un mot d’humanité…

LEGROS

Bonjour,

après avoir passé 19 ans sur le terrain en tant qu’aide à domicile, puis auxiliaire de vie, puis spécialisée dans la fin de vie et l’extrême dépendance, je suis devenue formatrice dans les domaines médico sociaux afin de faire partager ma vision des choses. J’apprécie vraiment l’article sur la fin de vie, une de mes formations s’intitule: ne pas accompagner la fin de vie, accompagner la vie jusqu’à la fin.
Quelle jolie aventure de permettre à son prochain de vivre décemment et dans la sérénité ses derniers moments de vie!!!

Françou

Bonjour Vanina, J’ai envie et je le fais, je vous dits « MERCI » pour lui. Un merci aussi pour la grande sensibilité et l’approche humaine dont vous avez fait preuve avec ce Monsieur si « attachant » pour vous et inversement, et qui sans doute par votre relation à tous les deux, emprunte de ce respect commun, mutuel et d’un lien invisible mais bien réel, vous a permis de l’accompagner et de lui tenir la main. Il n’en demandait pas plus, et vous étiez là et il le savait. Merci pour le partage que vous en faites, je n’ai… Lire la suite »

vanina

Bonjour Françou,
Votre petit retour est drôlement gentil et c’est vrai, lorsque je rédigeais mon petit texte, je me suis surprise à regarder les cieux et à penser : “Voyez Monsieur P., je pense à vous et vous vivez encore à travers ce que vous m’avez donné de vous”.
Merci beaucoup de votre solidarité.
Vanina.