Quelle liberté humaine ?

Une pierre, par exemple, reçoit d’une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement, et l’impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion d’une cause extérieure.

Et ce qui est vrai de la pierre, il faut l’entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu’il vous plaise de lui attribuer et si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une autre à exister et à agir d’une certaine manière déterminée.

Imaginez maintenant que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, pense et sache qu’elle fait effort, autant qu’elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que parce qu’elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder : elle consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs désirs et ignorent les causes qui les déterminent.

 

Baruch Spinoza, Lettre à Schuller