L’infantilisation des personnes âgées ou le parler condescendant

Extraits de deux articles lus sur le blog « Mythe-Alzheimer » : Une autre manière de penser le vieillissement cérébral : pour une approche qui assume la complexité.

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Le soutien social et les interactions sociales influencent de façon fondamentale la qualité de vie des personnes âgées résidant dans une structure d’hébergement à long terme.

Cependant, il apparaît que, trop souvent, ces structures ne répondent pas réellement aux besoins de soutien social des personnes âgées. Par ailleurs, l’analyse de la communication dans les structures d’hébergement révèle une relative absence de conversation, une conversation principalement orientée vers la tâche en cours et un langage qui encourage la dépendance. On observe ainsi assez fréquemment la mise en place d’un style de communication qui a été appelé le parler « personnes âgées » ou le parler condescendant.

En utilisant ce type de parler, les membres du personnel peuvent, sans réellement en prendre conscience, renforcer la dépendance et favoriser l’isolement ainsi que la dépression chez les résidents, ce qui contribue à une spirale de déclin physique, cognitif et fonctionnel.

Ce parler « personnes âgées » se caractérise par un rythme plus lent, une intonation exagérée, un ton de voix de hauteur élevée, un volume plus fort, de nombreuses répétitions, un vocabulaire et une grammaire simplifiés, l’utilisation de diminutifs (« mémé », « papy »…), la présence de petites questions ajoutées à la fin d’une phrase («…, n’est-ce pas ? »), l’utilisation de pronoms collectifs (« on est prêt pour notre bain ») ou encore l’adoption du tutoiement.

Ces modifications du langage découlent en grande partie des stéréotypes sur le vieillissement, qui amènent à considérer les personnes âgées comme moins compétentes dans la communication. Ce langage « personnes âgées » va en retour conduire ces personnes à une réduction de l’estime de soi, au retrait social, à la dépression et à une propension aux comportements de dépendance congruents aux stéréotypes.

Il a cependant été montré que la modification de la prosodie, les phrases plus courtes et un ralentissement de la parole ne suscitaient pas une meilleure compréhension de la part des personnes âgées, mais que ces changements étaient perçus négativement par elles. Ceci ne veut pas dire que des aménagements de la communication ne peuvent pas être envisagés, en particulier dans les interactions avec les personnes âgées qui présentent un vieillissement cérébral/cognitif problématique, mais ces aménagements devraient être conçus en ayant constamment à l’esprit le respect de la personne et de son autonomie.

Williams et al. ont évalué l’efficacité d’un bref programme (3 séances d’une heure) visant à accroître auprès d’aides soignants qualifiés leur prise de conscience des changements qu’ils adoptent dans la communication avec les personnes âgées (et notamment l’utilisation du parler « personnes âgées »). Il s’agissait aussi d’informer ces personnes sur les stratégies permettant d’augmenter la communication.

Des enregistrements audio des interactions entre les aides soignants et les personnes âgées ont été réalisés avant et après l’entraînement.

Le programme était constitué de très brefs exposés, de discussions en groupe et de jeux de rôle visant à pratiquer des manières différentes d’interagir. Un élément important de ce programme était la présentation d’enregistrements vidéo d’interactions réelles au sein d’une structure d’hébergement et d’interactions simulées par des comédiennes. Les participants étaient invités à critiquer les interactions visionnées  et à les reproduire en appliquant des stratégies plus adaptées. Ils visionnaient également des extraits de leurs propres conversations avec les résidents, afin de pouvoir évaluer leur propre communication.

Les résultats obtenus montrent des changements significatifs après l’entraînement dans différentes dimensions de la communication : réduction des diminutifs et des pronoms collectifs, augmentation de la longueur de phrases, accroissement du respect et réduction du contrôle et de la domination (ces dernières dimensions de la communication étant évaluées par un petit groupe d’évaluateurs, sur base d’extraits sélectionnés aléatoirement dans les enregistrements effectués avant et après l’entraînement). Aucune évaluation formelle de la réaction des résidents n’a été réalisée, mais certains comptes-rendus ponctuels indiquent que les résidents ont pris conscience des changements dans le langage des aides soignants.

Ces données montrent qu’un bref programme de sensibilisation et d’apprentissage peut conduire à modifier le parler « personnes âgées » chez des membres du personnel de structures d’hébergement à long terme. Des études ultérieures devraient être menées, afin notamment d’examiner le maintien à long terme de ces changements, les effets sur les plans cognitif et affectif auprès des résidents, sur l’implication de ces derniers dans la communication, ainsi que l’impact sur la résistance aux soins, en particulier chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique.

(…)

Il a également été montré que le parler « personnes âgées » était significativement associé à la résistance aux soins chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique ou une « démence ».

La résistance aux soins et le rejet des soins sont des phénomènes fréquents chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence ») et vivant dans une structure d’hébergement à long terme. Ces comportements contribuent fortement au stress et à l’épuisement des soignants, et donc aussi au renouvellement du personnel. Ils constituent également une source de frustration pour les soignants, pouvant conduire à une réduction des contacts avec le résident ou à une augmentation des épisodes de confrontation. Les résidents perçus comme opposants sont également plus à risque d’être contraints physiquement et de recevoir des antipsychotiques.

Les auteurs ont analysé les enregistrements vidéo de 80 interactions entre 20 résidents présentant une « démence » et 52 membres du personnel, les participants ayant été recrutés au sein de 3 structures d’hébergement à long terme. Les interactions ont été enregistrées durant les interventions des membres du personnel dans des activités de base de la vie quotidienne. Les enregistrements ont été analysés afin d’examiner, au plan psycholinguistique, la présence d’un langage « personne âgée » et au plan comportemental, la fréquence et l’intensité de comportements problématiques perturbant les interventions durant les activités de base de la vie quotidienne (13 comportements étaient évalués comme par exemple, repousser, se tourner, dire non, menacer, etc.). Les personnes qui décodaient les enregistrements avaient reçu un entraînement intensif de plusieurs mois afin d’aboutir à une fidélité très élevée du codage.

Des analyses statistiques élaborées ont effectivement mis en évidence que la probabilité de résister aux soins (ou de rejeter les soins) s’accroît significativement en présence d’un langage « personnes âgées », en comparaison à un langage normal.

© A.-C. Juillerat Van der Linden, chargée de cours à l’Université de Genève et M. Van der Linden, professeur de psychologie clinique aux Universités de Genève et de Liège.

Vous trouverez les articles originaux en cliquant sur ces liens :


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Martine

Les surveillants des services font de plus en plus attention au langage soignant-soigné. La personne âgée ne nous appartient pas. Elle n’appartient qu’à elle et à son histoire et nous lui devons le respect. Le respect à part entière, et quelle que soit sa pathologie (démence), le respect de son identité, le respect de son droit de vote, le respect de se mouvoir, le respect de ses désirs et de ses plaisirs. Tout commence par un seul mot “Bonjour”. De nos jours, il faut réapprendre à dire “bonjour”. Un jour, je suis rentrée dans une chambre et j’ai dis :… Lire la suite »

Manuela

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