Projections

Lors d’un dîner, un homme prend la parole pour expliquer aux autres invités que, de nos jours, les gens sont devenus terriblement égoïstes :

–     Hier, alors que je me rendais au restaurant avec une amie, nous avons vu un pauvre homme renversé par une voiture, qui gisait à terre, presque inconscient. Parmi tous ceux qui le regardaient, personne n’avait l’idée de l’aider. Eh bien, après avoir fini de manger, quand nous sommes sortis du restaurant, figurez-vous que ce pauvre homme était toujours à la même place !

Cette histoire est à la fois cruelle et commune. C’est ainsi que nous agissons et pensons. Cet homme est tellement obnubilé par son jugement sur les autres qu’il ne voit pas qu’il se critique lui-même.

Dans l’ensemble, nous interprétons les comportements des autres sur la base de nos projections sur eux et de ce qui nous met personnellement mal à l’aise :

– Tu as vu comme Sarah se méfie de nous, dit Alain à son ami Rachid, je n’ai jamais vu une fille aussi prétentieuse !

En réalité Sarah est juste un peu timide et Alain projette sur elle (malgré lui) sa propre peur des femmes.

Nous projetons sans arrêt notre monde personnel sur le monde réel ; nous ne voyons pas Sarah, nous voyons « notre » Sarah ; nous vivons dans « notre » monde et non dans « le » monde.

Projeter, c’est « jeter en avant avec force » nous dit le Petit Robert, et cette force démasque celui qui en est la victime. En psychologie c’est un mécanisme de défense qui nous fait attribuer à l’autre un sentiment ou un état affectif que nous éprouvons nous-mêmes. Ainsi – de peur de nous voir nous-mêmes – nous créons une confusion entre nous et l’autre. En réalité nous sommes tous régis par des motivations inconscientes qui nous manipulent à notre insu et qui nous amènent à nier nos propres difficultés en supposant chez les autres des intentions qui – en réalité – sont le reflet des nôtres.

Nous pouvons penser par exemple : « Jean-Marc me fait la gueule, il n’a pas répondu à mon sourire. » En fait Jean-Marc vient d’apprendre que sa mère a le cancer et il n’a même pas vu que je lui souriais.

Nous créons notre propre enfer en restant braqué sur nos peurs (celle de ne pas être reconnu, aimé, en l’occurrence) qui nous empêchent de nous ouvrir à l’autre.

L’un des aspects du travail thérapeutique est de nous permettre de rencontrer nos projections en comprenant que leur mise à jour nous aidera à nous délivrer de ce que nous ne tolérons pas chez nous.

Par exemple, un homme malheureux parce que sa femme sort souvent sans lui se sentira trahi. Mais lui a-t-il seulement exprimé son besoin de tendresse et a-t-il écouté le sien (de sortir, de voir du monde) ? Si cet homme prend conscience qu’il a toujours entendu son père traiter de volages les femmes qui sortaient sans leurs maris et magnifier les hommes « sérieux » qui rentraient immédiatement à la maison après leur travail, il découvrira la projection qu’il fait sur le comportement de sa femme. Il pourra alors (peut-être) prendre peu à peu en compte ses besoins réels en lui parlant ouvertement de ce qui lui manque plutôt que de « projeter » indéfiniment sur elle ses propres inhibitions (sa peur qu’elle le quitte).

Nous confronter à nos difficultés c’est oser nous confronter à nos propres faiblesses et c’est le plus sûr moyen que nous ayons à notre disposition pour devenir plus justes et honnêtes dans notre relation à nous-même et aux autres.

Ainsi quand un être humain découvre qu’à l’origine de ses projections, se trouve un déplaisir personnel donc une part d’ombre dont il peut prendre soin par lui-même (et cela indépendamment du comportement de l’autre à son égard), il devient peu à peu responsable de lui-même pour son plus grand équilibre et celui des autres avec lui.

La prise de conscience de nos propres projections nous aide à nous méfier de nos interprétations (puisque toute interprétation est une projection potentielle), et à tout mettre en œuvre pour « voir les choses telles qu’elles sont ». Et cela revient à nous donner le moyen de transformer ce qui dépend de nous en arrêtant de croire que les causes de nos malheurs se trouvent à l’extérieur de nous.

Comme l’affirme C.J. Jung : « Plus les projections interposées entre le sujet et son environnement sont nombreuses, plus il devient difficile au moi de percer à jour ses illusions  (…) Il est souvent tragique de voir à quel point d’évidence un homme gâche sa propre vie et celle des autres sans pouvoir, pour rien au monde, discerner dans quelle mesure toute la tragédie vient de lui-même et se trouve sans cesse alimentée et entretenue par lui même. » 

© 2015 Renaud & Hélène PERRONNET Tous droits réservés. 


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sandra

Bonsoir,

je suis D’accord avec vous. L’exemple du mari qui se sent trahi quand sa femme sort. J’ai le même problème, à cause de mon père qui m’a toujours parlé des hommes comme infidèles et des femmes comme sérieuses.

Donc prendre en compte ses besoins en expliquant ce qu’il nous manque serait selon vous la guérison…

Mais, il s’agit dans ce contexte, que de peurs de l’infidélité en résonance avec les propos de mon père?
C’est des peurs infondées donc avec ou sans affections elles sont présentes comment les éviter?

Merci

piri

Merci monsieur Perronnet pour ce nouveau texte!

C’est un texte très parlant, et en vous lisant, j’ai l’impression de soulever un coin de nappe sur une table pas lavée depuis longtemps 🙂
Celà étant, une fois une projection cernée, comment savoir ce qu’elle exprime? Ce qu’elle cache comme vieille blessure? Comment interroger cette projection?

Lidia

Bonjour, quand on est en effet conscient de ces projections, le fait de se séparer de l’autre veut dire que l’on se sépare aussi de ces “défauts” ? ou est ce que ça veut dire qu’on les fuit?

J’ai rencontré quelqu’un il y a un mois et je me rends bien compte que ce qui m’agace profondément chez lui est une part importante chez moi. Je fais un véritable rejet. D’ou ma question plus haut.
Merci pour vos articles

marie

Bonsoir,
L’article sur les projections me parle beaucoup. Mais comment reconnaître que nous sommes en train de projeter nos propres craintes sur autrui ?
Merci.