Quoi se dire pour supporter la mort de ses parents et devenir capable de ne plus les voir ?

Question posée par Jean-Pierre.

C’est vrai que la mort – parce qu’elle est irrémédiable – parait le plus souvent inhumaine à celle ou à celui qui vit dans la peur de la perte de l’autre.

Ainsi, à force de nous laisser conseiller par notre peur, nous pouvons nous laisser enfermer dans une solitude glacée et mortifère.

L’écrivain Yvan Amar nous montre le chemin pour en sortir :

« Nous ne pouvons empêcher la souffrance de l’autre, mais nous avons une responsabilité dans le regard que nous portons sur lui. »

Il peut nous arriver de croire (quand nous confondons l’amour avec la peur), que c’est l’amour qui nous retient de parler à l’autre de ce qui nous brûle… Auquel cas des êtres qui croient s’aimer restent parfois, chacun de leur côté, murés dans leur silence mutuel de peur de faire souffrir l’autre et se condamnent à la solitude et à l’enfermement.

Regarder les choses en face c’est convenir que la peur de la mort de l’autre nous rapproche paradoxalement du déni de la mort de l’autre, et que le déni de mort se venge toujours en déni de vie.

A contrario, s’aimer, donc prendre sa responsabilité par rapport à la souffrance et à la mort de l’autre, c’est se rencontrer, partager sa peur plutôt que l’enfermer muette à l’intérieur de soi-même. Une peur partagée est déjà un peu moins contraignante parce qu’elle respire.

En vérité quoi de plus humain que la perte de l’autre ?

Le poète Jacques Prévert l’exprime à sa manière :

« La mort est dans la vie, la vie aidant la mort.
La vie est dans la mort, la mort aidant la vie. »

Il y a sans doute moins « quelque chose à se dire » pour supporter la mort de l’autre, qu’à être vrai avec les émotions qui nous appartiennent en les partageant avec simplicité avec ceux qu’on aime (y compris avec ceux dont on redoute la mort.) La parole est thérapeutique parce qu’elle libère.

Ce faisant, peut-être arriverons-nous – ainsi familiarisés avec ce qui nous faisait si peur – à envisager plus sereinement la perte de l’autre, c’est-à-dire à accepter qu’il s’en aille, plutôt que de nous recroqueviller sur nous-même.

Cette anecdote, racontée par le Dalaï-Lama à l’occasion d’une interview, m’a personnellement beaucoup aidé à réfléchir sur ce que je prends pour ma peur égocentrée de la mort de l’autre :

« J’ai un ami, député et moine du monastère de Ganden, qui vient d’apprendre qu’il avait une tumeur cancéreuse à l’estomac. Il est venu me voir la semaine dernière. Le diagnostic une fois confirmé, il a lui-même décidé que la situation était sans espoir et qu’il était temps de partir. Il n’éprouve aucune inquiétude. Je lui ai simplement dit : « Si vous pouvez guérir, c’est bien, si vous devez mourir, c’est bien aussi. » Nous avons même plaisanté un peu. (…) Sans aucun doute nous sentions tous les deux que ces adieux nous séparaient de manière définitive, mais nous n’éprouvions ni inquiétude ni souffrance. »

Cette formule partagée avec un vieil ami : « Si vous pouvez guérir, c’est bien, si vous devez mourir, c’est bien aussi », peut sembler inhumaine alors qu’elle met en évidence le fait que la mort fait partie intégrante de la vie, qu’elle en est un simple moment particulier et que nous ne choisissons rien.

Alors, pourquoi se soucier de ce sur quoi nous n’avons aucun pouvoir ?

Sur ce chemin, découvrir que nous avons sans doute moins peur de la mort de l’autre que de vivre notre séparation d’avec lui, nous permettra de remettre les pendules à l’heure par rapport à notre soi-disant peur de la mort de l’autre.

Nous pourrons alors aller encore plus loin dans notre découverte de nous-même en répondant à cette question : cette peur de la séparation ne parle-t-elle pas de nous-même, de nos manques, de nos vides et de la manière souvent frustrée dont nous menons notre vie ?

Pour elle plus loin, lisez : Le travail de deuil

Illustration : Edvard Munch, Près du lit de la mort.

© 2020 Renaud PERRONNET Tous droits réservés. 


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Marie-Claire

« Il a lui même décidé que la situation était sans espoir… ». C’est là où , pour moi, nous avons peut être un pouvoir, le pouvoir de se battre contre la maladie, en faisant tout ce qu’il est possible de faire pour guérir. La maladie n’est pas pour moi une fatalité, qui nous indique qu’il est temps pour nous de partir, et elle a peut être un autre message à nous délivrer? Un message qui peut aussi nous faire grandir. J’ai l’impression qu’ici la mort est presque banalisée, or la vie n’est elle pas précieuse?

Bascha

Bonjour,
Voice mon témoignage ; j’avais 12 ans, mes parents sont morts dans un accident, je me suis dit que ma crainte la plus redoutée venait de m’arriver et que je devais aller de l’avant sans crainte dorénavant … Cette expérience m’a donnée une force intérieure, une force de vie. J’ai maintenant 51 ans.
(Merci Renaud pour toute l’énergie positive de votre site.)