…et tout a basculé

(Observation d’une interprétation)

« L’autre est mon aventure. Prendre le risque de l’autre. »

Yvan Amar. 

C’est nous qui acceptons d’être blessés.

G.I. Gurdjieff.

En vacances depuis plusieurs jours au bord de l’eau, ma petite personne se prélassait, allongée sur sa serviette de bain, le corps couvert d’une mince pellicule de crème anti-UV.

Fort du bon droit qu’a à se reposer celui qui a travaillé toute l’année – sans en avoir conscience – elle se laissait aller à son importance. C’est ainsi qu’elle se permit insidieusement quelques appréciations mentales pour ses congénères…

« Tiens, comme celui-ci est gras du bide ! » pensé-je, m’étant personnellement permis quelques incartades à mon équilibre alimentaire.

« C’est fou comme les gens ne respectent pas la paix et la tranquillité des autres, ils semblent ne même pas m’avoir vu », me dis-je en ayant reçu sur la jambe, la balle de l’un de ces jeux de raquette auxquels certains se livrent les pieds dans l’eau.

Et me voilà soupçonneux et agacé, enfermé dans la certitude de mon droit à la tranquillité. Lorgnant du coin de l’œil l’éventuelle maladresse d’un joueur qui – selon moi – n’aurait pas dû se trouver là. « Ca y est, je l’ai encore évitée de justesse, y’a vraiment des gens qui se foutent totalement des autres. C’est vraiment incroyable, quel égocentrisme ! », me persuadé-je, en rajoutant mentalement une couche de jugement à celle de l’indignation.

Mon agressivité latente s’amplifiait peu à peu.

Après un moment de répit, je vis soudainement la balle de ces joueurs odieux, percuter de plein fouet l’épais roman de plage que lisait, assidu, mon voisin de serviette.

Le raquetteux se saisit de sa balle en articulant un « excuse me » gêné. Là, l’homme au roman le regarda et avec une énergie totalement ouverte, lui assura dans un sourire qu’il n’y avait aucun mal.

C’est alors qu’en une seconde, tout a basculé…

Et s’il n’y avait aucun mal, là où moi, je voyais du mal ?

Et si le mal ne s’était amplifié que par l’hypertrophie de ce moi déjà soupçonneux ?

Il n’y avait plus sur cette plage, deux emmerdeurs entrain de rompre la tranquillité d’un baigneur mal relaxé, mais deux jeunes hommes enjoués jouant à la balle devant une personne amusée qui les observait.

L’obstacle que j’avais construit entre eux et moi avait soudainement disparu. En une seconde, tout ressentiment s’était évanoui, pour laisser la place à la bienveillance.

Le vieil aphorisme zen me revint en mémoire :

« Pour son amant, une belle femme est un délice, pour un moine c’est une distraction (au sens étymologique de “ce qui détourne”) pour un moustique, c’est un bon repas. »

…une fois encore je vérifiais que la manière dont je me sens ne provient pas de ce que les autres me font vivre, mais de l’interprétation que je donne à ce qui m’arrive.

© 2012 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.


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Corinne

“L’autre est mon aventure. Prendre le risque de l’autre.” C’est une belle phrase que j’aime. Cependant j’observe que prendre le risque de l’autre sans connaître et respecter ses propres limites, ses propres besoins, c’est, me semble-t-il, aller au devant de bien des déboires. C’est ce que m’a enseigné mon expérience.

Soly

Moi aussi, j’aime cette phrase, mais Corinne que voulez-vous dire exactement par “connaitre et respecter ses propres limites” Est-ce pour vous,”prendre des risques” oui mais “calculés” ?
L’autre peut vous bouleverser intérieurement à un tel point que soit vous fuyez (donc vous vous fuyez) ou soit vous foncez (et acceptez les conséquences) et c’est vraiment la découverte, l’aventure, découverte de soi surtout, me semble t-il

Jéromine

Je dois faire des progrès (est-ce la lecture d’Evolute haha) Hier soir il y avait 2 solutions : ronchonner parce que mon mari traîne dans son studio de musique au lieu de me rejoindre au lit, ou me féliciter d’avoir épousé un musicien qui me câlinera plutôt le lendemain matin…
J’ai choisi la deuxième, bonne pioche.