Comment accepter ce que l’on a subi ?

Question de Fatiha :

J’ai 50 ans. Comment accepter ce que l’on a vécu… subi… ma mère est restée avec mon père et nous devions mon frère et moi subir sa tyrannie… pas de bruit… ne pas se faire remarquer et parfois quelques violences physiques et verbales… nous avions à cœur mon frère et moi de protéger ma mère.

Mes pistes de réponse :

Il est vain – pour un être – de s’obliger à penser qu’il « devrait accepter ce qu’il a vécu et subi. »

S’obliger à accepter est un non-sens parce que cela reviendrait à se faire un devoir d’agir à propos de quelque chose qui n’est pas en notre pouvoir.

On entend souvent la formule « il faut accepter », mais l’acceptation ne s’accommode pas de l’injonction d’obligation puisqu’elle est – pour un être – un processus de consentement subtil à vivre de l’intérieur et au présent.

Pire : penser devoir accepter ce que l’on ne peut pas accepter s’apparente à une maltraitance, et cela revient à s’en vouloir et à culpabiliser de son impuissance à accepter.

De même qu’on ne peut pas se libérer de sa colère ou de sa tristesse en se répétant qu’on ne devrait pas être en colère ou triste alors qu’on l’est, on ne peut pas réussir à accepter de force.

Accepter c’est ne rien devoir accepter d’autre que ce dont nous sommes certains à 100% que cela s’est passé, il n’y a donc aucun traumatisme supplémentaire à accepter d’avoir été traumatisé par exemple. Par opposition, ne pas accepter c’est tenter de gagner du temps en se leurrant soi-même.

Accepter ce qui est c’est adhérer à ce que nous avons refusé parce que cela nous a fait souffrir sur le moment et que nous sommes habitués à croire en notre toute puissance illusoire.

Accepter c’est à la fois être d’accord pour agir sur ce qui dépend de nous et nous soumettre de bonne grâce à ce qui ne dépend pas de nous.

Le but de l’acceptation n’est rien d’autre qu’être en paix avec ce que nous nommons couramment « l’inacceptable1 » parce que nous le refusons, comme si le fait de le refuser allait nous permettre de ne pas l’avoir vécu !

Le refus d’avoir vécu ce que nous avons vécu crée en nous un blocage qui est une division entre une part de nous qui refuse d’avoir vécu ce qu’elle a vécu et une autre part qui sait bien qu’elle l’a vécu et ne peut pas en disconvenir.

Dans un tel contexte, accepter commence – le plus souvent – par s’ouvrir à sa souffrance de ne pas pouvoir accepter, car « dire oui » à la souffrance de ne pas pouvoir accepter ce que l’on voudrait accepter, c’est s’accepter « tel que l’on est » ici et maintenant.

La pratique du premier pas qui consiste à accepter de refuser d’accepter est une première acceptation accessible qui mène à une certaine détente puisque le refus d’accepter est toujours cause de division donc de stress.

Si vous avez subi la tyrannie et les violences de votre père pendant toute votre jeunesse en même temps que vous étiez terrorisés, vous et votre frère, à l’idée que votre mère subisse ces mêmes violences, vous n’avez pu – en tant qu’enfant – qu’être la victime perdue des dysfonctionnements dans lesquels vous avez dû grandir et que vous avez subis.

Ceci est une première acceptation, un premier point à partir duquel partir, aussi douloureux que cela soit pour vous de le reconnaître.

Vous avez dû, en tant qu’enfant et pendant ces années sombres, mobiliser votre énergie pour protéger votre mère. C’est dire à quel point il vous a été impossible de vous développer dans un climat propice à votre propre épanouissement.

Cela aussi, il va vous falloir le reconnaître, c’est-à-dire convenir des causes qui sont à l’origine de la souffrance que vous ressentez encore aujourd’hui.

Il n’est pas possible de s’extirper d’un trou dans lequel on est tombé, à moins d’avoir préalablement commencé par reconnaître qu’on est bel et bien tombé dans ce trou2. Cela semble évident mais n’est le plus souvent pas apprécié à sa juste mesure par ceux et celles qui sont en souffrance psychologique.

Comme le répétait inlassablement Alice Miller : « Nous ne pouvons pas nous libérer d’un mal sans l’avoir nommé et jugé comme un mal. »

Les ruminations, la culpabilité et les regrets sont les principaux obstacles qui nous interdisent de convenir de ce que nous vivons – pour pouvoir en sortir.

Tant qu’un être ne commence pas par prendre patiemment le temps de voir et de reconnaître les émotions qui sont les siennes et qu’il vit encore bien des années après le traumatisme, il se condamne à se laisser mener par elles.

L’acceptation du mal qu’on nous a fait (qui est le seul moyen en notre pouvoir de pouvoir le « digérer »), passe donc par notre capacité à reconnaitre, avec notre entière sensibilité, le mal qu’on nous a fait.

Cela nous fera mal certes, mais cela ne nous fera pas « du mal », puisque cela nous permettra de nous sentir douloureusement vivants avec toutes nos émotions notamment de révolte, de colère et de tristesse. Et nous sentirons que c’est de la libération de cette vie émotionnelle dont nous avons besoin pour accéder à un mieux-être ultérieur.

L’acceptation puis la libération ne sont rendues possibles qu’à celle ou à celui qui va au bout du processus qui l’oblige à sortir du déni ou de la minimisation de ce qu’elle (il) a vécu.

Celle ou celui qui n’envisage pas ce processus court le risque de vivre un cercle vicieux : je continue de refuser ce qu’on m’a fait subir parce que je crains qu’en rencontrant véritablement ce qu’on m’a fait subir, en en prenant la pleine mesure, cela ne me fasse trop souffrir.

De peur de plonger dans leur souffrance, beaucoup de personnes se condamnent à l’entretenir en s’y enfermant.

Comment quelqu’un pourrait-il s’évader de sa prison sans en avoir préalablement étudié minutieusement les plans ?

Il ne peut pas y avoir de libération de sa prison sans « prise de conscience » de sa prison ; ce point est essentiel pour arriver un jour à étudier sa prison et pouvoir – à terme – en sortir.

Cette étude se nomme le « travail thérapeutique » – qui permettra à celle ou à celui qui l’entreprend de comprendre de très près la manière dont elle (ou il) s’y prend – aujourd’hui – pour souffrir, en entretenant le passé qui s’impose à elle ou à lui.

Le psychothérapeute Irvin Yalom affirmait : « Nous devons encourager nos patients à assumer leurs responsabilités, en d’autres termes, à appréhender la façon dont eux-mêmes contribuent à leur propre détresse. »

Le patient doit donc comprendre et accepter que le thérapeute est impuissant sans lui, c’est-à-dire qu’il doit commencer par valider son histoire (accompagné en cela par le thérapeute), pour pouvoir l’objectiver, condition nécessaire et préalable à sa capacité à en sortir.

Il s’agit donc pour le patient de prendre conscience de ses traumatismes et de ses maltraitances, en même temps que de la manière dont cela l’a obligé – à l’époque – à vivre en termes de privations et de renoncement à lui-même. Une fois cela validé dans le passé, il sera en mesure de découvrir la manière dont cela l’oblige encore à vivre – dans le présent – dans le déni de lui-même et de ses nombreux besoins.

C’est dans cette prise de conscience que le patient pourra, peu à peu, parvenir à faire la distinction essentielle entre hier et aujourd’hui.

Au cours de ce « travail thérapeutique », il apprendra à distinguer son vécu passé de son vécu d’aujourd’hui par la dissociation consciente3.

Le passé du patient, « ce qu’on lui a fait subir » et son monde émotionnel en réaction à ce qu’on lui a fait subir, recouvrent, en le masquant, son présent potentiel. Ce passé le mine encore aujourd’hui parce qu’il n’a jamais eu l’opportunité d’être mis au jour pour le dissocier consciemment de lui-même.

C’est donc en convenant pleinement de « ce qu’il a vécu », en le reconnaissant pour l’élaborer, que le patient parviendra un jour à le laisser « à sa place » dans un passé extérieur à lui-même.

Le patient devra donc se confronter pas à pas aux émotions qui surgissent en lui à l’occasion de sa confrontation à son passé. C’est ainsi qu’il aura l’opportunité de les mettre au jour respectueusement en leur permettant de s’exprimer. Il devra apprendre à les identifier pour les nommer, tout en étant conscient de leurs causes.

Ce travail long et rigoureux de lucidité consciente est essentiel, c’est lui qui permettra au patient de digérer son passé douloureux. C’est ainsi qu’il parviendra (parce qu’il n’y a pas moyen d’y échapper), à l’acceptation intime de ce qu’il a subi, pour pouvoir – enfin – vivre sa vie présente, la vie qui s’offre à lui et à laquelle, comme chaque être humain, il a droit.

© 2021 Renaud PERRONNET Tous droits réservés. 

Notes :

1. Lire l’article : La vie n’est pas injuste mais elle est cruelle

2. Je fais ici allusion à cette réflexion : Schéma

3. Lire l’article : La dissociation consciente

Pour aller plus loin vous pouvez lire ces articles :


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Josette

Bonjour Mr Perronet,

Je vous lis depuis des années et je vous remercie pour le travail que vous offrez.
En ce qui concerne l’acceptation de son passé, je me disais “le travail consiste à intégrer mon passé”, c’est-à-dire de deux parties en moi “moi et mon passé que je refuse” j’en fais “une” par un travail thérapeutique et non pas me dissocier consciemment de ce passé. Je me dis que je ne suis pas dans l’unité mais dans la division.
Je suis dans l’erreur mais j’ai du mal de comprendre.
Merci pour votre réponse. Avec mes meilleures salutations.

Josette

Merci pour votre réponse que j’ai relue plusieurs fois, car c’est un peu compliqué pour moi. Mais peut-être que nous ne parlons pas de la même chose ou bien nous parlons peut-être de la même chose mais pas avec les mêmes mots. Quand je dis ; intégrer mon passé, cela sous-entend que j’ai fait bien sûr, comme c’est mon cas, un travail thérapeutique pour pouvoir accepter ce passé douloureux. Et une fois accepté, je me dis que je peux l’intégrer, le faire “mien”, je suis en paix avec lui, il m’appartient, il fait partie de ma vie, j’ai donc cessé… Lire la suite »

Josette

Merci du fond du coeur Monsieur Perronet, pour votre réponse et votre travail si précieux.
Soyez béni. Bien sincèrement.

Monique

Je vous laisse ce message pour vous dire combien votre art de la communication est brillant et aidant , le chemin vers l’acceptation rencontre aussi la résignation d’autant que la vie quotidienne à gérer en même temps avec toutes ses contraintes rend le parcour pénible et sinueux. Merci à vous.

JULIE

Bonjour,
Tout cela me semble clair et juste .
Seulement, je n’ai jamais trouvé un thérapeute capable de mener ce travail avec moi, alors que j’en ai rencontré plusieurs..Aucun n’amenait à faire ce type d’analyses et à prendre du recul. Soit le thérapeut niait et minimisait ce que j’avais subi. Soit il jugeait mes ressentis. Soit il se contentait d’écouter sans rien dire.
Quelle utilité de ces pseudos thérapies? Comment trouver quelqu’un de réellement compétent? Quel type de thérapie privilégier?

Nita

Bonjour, Quand je lis cet article, je ne peux m’empêcher de penser au père de mes enfants (dont je suis séparée). Il est actuellement dans une profonde dépression, dont il dit lui-même ne pas avoir envie de sortir. Vu de l’extérieur, il me semble qu’il a vécu des traumatismes durant son enfance et qu’il ne veut pas s’y confronter ou en prendre conscience. Et si je comprends bien, puisque le thérapeute est impuissant sans le patient, aucune amélioration ne peut se faire dans ces conditions… Bien sûr, c’est sa vie, son choix, ses pensées à lui, et je reste en-dehors… Lire la suite »

Marylene

C’est vrai que partout on nous bassine avec le pardon, j’avais l’injonction de pardonner à mon oncle ce qu’il m’avait infligé, ma mère avait honte ça ne devait pas se savoir, alors c’était à moi de pardonner et de passer l’éponge. IL m’a fallu du temps et du travail sur moi-même pour pouvoir dire: non je ne pardonne pas, du moins pas aujourd’hui. Après cela s’est décanté et je n’y pense presque plus même si je peux encore voir des conséquences sur ma vie 40 ans après (sexualité) Merci Renaud des coups de phare que vous mettez sur telle ou… Lire la suite »