Prendre soin de soi pour aider l’autre

“Aider c’est être, ce n’est pas vouloir.”

Daniel Morin.

L’absence de compréhension, comme l’absence de connaissance de soi-même, ne profitent jamais au soignant. Au contraire, ce flou le condamne a toujours devoir répéter les mêmes comportements inadaptés, préjudiciables à la relation d’aide comme à lui-même.

Par contre, un soignant, qui ne serait-ce qu’une seule fois dans son approche de lui-même, a pu comprendre les raisons pour lesquelles il a été amené à avoir tel ou tel comportement inapproprié dans la relation d’aide, a fait naître en lui un espoir inestimable pour lui-même comme pour sa capacité à grandir dans cette relation d’aide.

Cet espoir est palpable parce qu’il est issu de l’expérience de sa pratique personnelle. L’expérience personnelle du soignant qui s’aide en se comprenant est la substance même de sa relation d’aide future. C’est parce qu’il a réussi à se comprendre lui-même sans se juger ni culpabiliser qu’il sera capable de comprendre celui qu’il se propose d’aider, sans le juger.

Comprendre ses propres comportements, se les expliquer à soi-même, c’est forger la clé qui ouvrira la serrure de sa possible évolution. A partir de cette compréhension, de cette préhension de lui-même, le soignant va pouvoir se prendre lui-même en charge et devenir peu à peu moins dépendant du comportement des soignés et de ses collègues, devenir plus autonome, c’est à dire plus apte à aider.

Il faut donner aux soignants des espaces pour se comprendre, des espaces pour s’accepter, donc des espaces d’humanité. Créer des moments propices de non-jugement et de confiance dans lesquels ils pourront commencer par s’accepter eux-mêmes en découvrant que leurs attitudes sont « saines » et du côté de la vie.

Sans ces moments, ils risquent de se fermer, de « se blinder », comme ils disent bien souvent. A force d’incompréhension et de meurtrissures, leur désir d’aider les autres s’émousse, leurs cœurs risquent de se fermer pour moins souffrir et c’est dans ce contexte que l’établissement de santé risque de devenir un lieu dans lequel on « répare » plutôt que d’être un lieu dans lequel on « prend soin ».

A partir de la compréhension que l’on a de ses propres comportements, tout reste à faire, mais sans cette compréhension, rien ne peut être fait.

Fournir aux soignants-aidants des lieux d’évolution et de ressourcement, c’est leur fournir la capacité d’aider les autres.

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UN EXEMPLE DE CE TRAVAIL DE COMPRÉHENSION DE SOI-MEME

DANS UNE RELATION SOIGNANT / CADRE DE SANTÉ

Michèle est infirmière depuis trois ans, dans un service de Long Séjour. Dans le cadre d’un « Groupe de Soutien et d’Analyse de la Pratique de la Relation d’Aide », je lui demande ce qu’elle souhaite partager et voici ce qu’elle exprime :

–       Un matin, alors que j’étais occupée à aider trois AS à faire les toilettes, ma Cadre me demande avec insistance de faire la liste du matériel nécessaire au service, selon les secteurs et le contenu du stock.

Cela m’a tout de suite énervée ; je me suis dit que je devais laisser tomber d’un seul coup ce que j’étais en train de faire avec mes collègues auprès des personnes âgées pour répondre à ses exigences.

Je me suis exécutée avec un fort malaise en moi, j’ai donc dressé la liste du matériel dont le service avait besoin pour les prochaines semaines et j’ai oublié notamment une partie des protections nécessaires aux malades.

Quelques jours plus tard, ma Cadre me convoque et me dit : « Michèle, je crois que vous devriez, en tant qu’infirmière, faire attention à ce que vos émotions ne se manifestent pas ouvertement dans le service car vos collègues en sont les premières à en pâtir : ce matin il n’y avait plus de protections disponibles. »

–       (Michèle se tait subitement, visiblement mal à l’aise.)

–       Pouvez-vous partager votre ressenti quant à la réflexion de votre Cadre ?

–       Elle est injuste car c’est elle qui est venue me perturber avec sa mise en demeure de faire cette liste alors que j’étais occupée à soigner les personnes âgées.

–       Vous a-t-elle demandé de faire cette liste toutes affaires cessantes ? A-t-elle exigé de vous que vous vous exécutiez sur le champ ?

–       Non, elle m’a demandé de dresser cette liste dans la journée.

–       Comment vous expliquez-vous que vous ayez interprété que vous deviez la faire immédiatement ?

–       (Silence.)

–       Est-il juste de dire que c’est parce que vous avez pensé que vous deviez la faire sur le champ que cela vous a énervée ?

–       Oui, parfaitement. Je considérais ma tâche d’aide aux AS comme prioritaire.

–       Pourquoi, selon vous, une personne en vient-elle à penser qu’elle doit obéir immédiatement à la demande qui lui est faite alors que la personne qui lui fait la demande ne précise pas de délais ?

–       (Silence.)

–       (Anne-Marie, aide-soignante dans le groupe, intervient.) A mon avis, c’est parce qu’elle a l’habitude de devoir obéir immédiatement, que même si on ne le lui demande pas, elle pense devoir tout de même le faire.

–       Qu’en pensez-vous ?

–       (Silence.)

–       « Prenez-vous » ce que dit Anne-Marie ?

–       Je « prends. »

–       Peut-on dire que dans votre passé, il vous est souvent arrivé de devoir vous soumettre immédiatement à l’autorité ?

–       Oui, sous peine d’en faire les frais (Ses yeux se mouillent.)

–       Revenons à la situation récente. Etes-vous d’accord pour convenir que votre Cadre ne vous avait pas fixé de délai ?

–       Oui, j’en ai toujours convenu.

–       C’est bien vous qui avez créé de toutes pièces la pensée « Cela doit être fait immédiatement » ?

–       Oui.

–       Pouvez-vous voir à quoi cette pensée vous a conduit ?

–       Cela m’a conduit à me raidir, à m’énerver, à me bloquer, et à me rendre incapable d’établir correctement la liste demandée par ma Cadre.

–       Peut-on dire, qu’en accord avec votre histoire personnelle, vous aviez de bonnes raisons de penser que vous deviez agir en laissant immédiatement tout tomber ?

–       Oui, certainement.

–       C’est ce que j’appelle « découvrir le pot aux roses », découvrir que nous avons toujours de « bonnes raisons » personnelles de nous comporter comme nous le faisons.

–       Oui, je le vois et cela me fait du bien.

–       Comment vivez-vous maintenant la manière dont votre Cadre s’est adressée à vous ?

–       Que voulez-vous dire ?

–       Rétrospectivement, pensez-vous qu’elle essayait de vous coincer par sa réflexion ou plutôt qu’elle vous mettait en garde contre un de vos comportements ?

–       Non, je ne l’ai pas sentie agressive vis à vis de moi, mais c’est vrai que sur le moment, je me suis sentie très mal. Maintenant je peux comprendre son point de vue. Elle s’adressait à mon rôle.

–       Oui, c’est comme cela que, par moments, nous appréhendons les événements de notre vie ; notre « histoire personnelle » se surimplante sur la réalité et nous empêche de la voir telle qu’elle est.

A partir du moment où nous pouvons accepter totalement la manière inappropriée dont nous nous sommes comportés dans le passé, nous devenons capables de ne pas culpabiliser et de simplement voir que notre comportement n’était pas adapté à la réalité du moment présent.

–       Je comprends et cela me fait du bien (Elle se met à respirer plus librement et acquiesce de la tête.) Aujourd’hui, c’est différent.

–       Qu’est-ce qui est différent ?

–       La réalité, c’est vrai, est différente et je vais essayer de la vivre plutôt que de l’interpréter à travers mes souvenirs.

–       J’ai l’impression que nous touchons là un point capital de votre relation à votre Cadre… ?

–       Oui, c’est vrai, en plein dans le mille : j’ai tendance à me sous-estimer, à ne pas me faire suffisamment confiance et je sens bien qu’elle a plutôt besoin d’une infirmière sur laquelle elle peut compter. C’est la première fois que je le vois aussi clairement.

Pensez-vous que je pourrais lui expliquer tout cela ?

–       Cela dépend de la manière dont vous sentez la relation. Sentez-vous votre Cadre capable de vous entendre et de vous écouter ? Qu’en est-il ?

–       J’ai l’impression que c’est une personne plutôt ouverte, avec qui le dialogue est possible.

–       Alors peut-être pouvez-vous, sans entrer dans les détails, lui faire comprendre que vous avez besoin de soutien car vous êtes sur le chemin de quelqu’un qui progressivement se comprend et s’accepte et qui, par là même, grandit en tant que collaboratrice.

Si vous le souhaitez, nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler lors d’une prochaine rencontre de notre groupe.

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L’objectif du « Groupe de Soutien et d’Analyse de la Pratique de la Relation d’Aide », c’est aussi de permettre au soignant de découvrir peu à peu :

  • Qu’il est possible dans une relation de se situer autrement que comme la Victime, le Sauveur ou le Bourreau de l’autre ;
  • Qu’il est possible d’apprendre à prendre du recul par rapport à des situations auxquelles on a tendance à s’identifier (sentiment d’impuissance, anxiété, colère, désengagement ou surinvestissement, doute ou culpabilité) ;
  • Qu’il est possible de ne pas devoir absolument souffrir de la souffrance de l’autre ;
  • Et que même si la tolérance n’est pas innée, elle s’apprend, sur la base de la bienveillance et du respect de soi.

© 2011 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.

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