Aider les aidants. Pourquoi ? Comment ?

On estime que dans 80% des accidents d’avion, les pilotes commettent des erreurs qui auraient pu être évitées, surtout si l’équipage avait travaillé en meilleure harmonie. Aujourd’hui la formation des pilotes, outre ses aspects techniques, insiste donc sur l’importance du travail en équipe, sur la nécessité d’écouter les autres et de dire ce que l’on pense, en d’autres termes sur le b.a.-ba de l’intelligence sociale et de la maîtrise de soi.
Des découvertes récentes ont en effet clairement montré que le système nerveux joue un rôle essentiel dans le fonctionnement du système immunitaire, autrement dit que de mieux maîtriser nos sentiments négatifs contribue à prévenir la maladie.

Le monde médical commence donc, lui aussi, à s’apercevoir qu’en prenant en compte la détresse émotionnelle du patient on réalise des économies.

Or si l’aidant – celui-là même qui est chargé d’accompagner – est encombré de ses propres difficultés, il ne verra pas les difficultés de son équipe et il se tiendra à distance de celles de ceux qu’il se propose d’accompagner, sous peine de raviver les siennes et de risquer de s’y perdre.

Pourtant la relation d’aide efficace ne peut fondamentalement pas exister sans reposer, non pas sur des techniques plus ou moins bien assimilées avec la tête, mais sur une « intelligence émotionnelle » (empathie, aptitude à se motiver et à persévérer dans l’adversité comme à maîtriser ses pulsions), « intelligence émotionnelle » qui s’acquiert. Pour qu’elle arrive peu à peu à maturation, il faut qu’elle repose sur une base solide, résultat d’une attitude intérieure – qui est le fruit d’un travail personnel et collectif. Car la relation d’aide ne peut être vraie que dans l’ouverture, jamais dans la crispation.

L’aidant stressé, en déperdition d’énergie, ne dispose plus pleinement de ses capacités à discerner la réalité et à évaluer les enjeux ; les hormones de stress affluent dans son organisme et inhibent la fonction de ses cellules immunitaires, il devient un malade parmi les malades. Ses signaux de détresse sont entre autres la colère, l’épuisement, la résignation et le déchargement de ses responsabilités sur d’autres. Ses mécanismes de défense se mettent en place, qui sont (au choix) le refoulement, le déni, l’embellissement ou la justification.

Comment l’aidant peut-il être à l’écoute de l’autre s’il doit constamment veiller à ce que ses propres barrages ne cèdent pas ?

En apprenant à écouter le ressenti de ses propres besoins et à vivre et respecter ses sentiments.

L’aidant qui se connaît et se respecte lui-même peut vivre sans risque la relation d’aide – même si elle est difficile – parce qu’il saura toujours trouver ses ressources : en lui-même.

L’aidant qui – comme tout le monde – connaît le stress et la difficulté, doit devenir capable de les gérer par lui-même et c’est en cela que son aide sera précieuse à ceux qui, précisément, ne savent pas les gérer.

La capacité de l’aidant à gérer son stress se juge à la propension qu’il a d’élargir son registre de comportements à l’intérieur du service, en modifiant ses réactions (si besoin est) dans la relation avec les aidés comme avec ses collègues : plus grande souplesse dans la répartition des tâches à l’intérieur de l’équipe, relativisation des situations de malaise engendrées par la relation aidant / aidé, capacité à assumer une certaine dose d’agressivité, capacité à confronter un collègue avec qui on a un problème, capacité à penser le pourquoi du compromis avant d’agir, s’entraîner à dire non ou à formuler une demande… Tout cela pour participer au développement d’attitudes de coopération et d’échange avec les autres aidants afin de travailler dans une atmosphère de détente émotionnelle donc « d’intelligence émotionnelle » qui pourra faire dire aux aidés qu’ils se sentent réellement « accompagnés. »

Le chemin de la cohésion d’une équipe de travail comme celui de l’accompagnement de l’autre passe donc nécessairement par le renforcement de la conscience de soi, de l’empathie et de l’art de savoir écouter, bases de la communication avec cet autre.

Comment y parvenir ?

Comme la compréhension est à la base de la détente et de la réconciliation avec soi et avec les autres, il faut donner l’opportunité à l’aidant stressé de retrouver le sens de son rôle afin qu’il devienne capable de gérer son stress c’est-à-dire capable d’améliorer ses capacités d’adaptation à ses collègues et aux aidés.

Il sera ainsi en mesure de ressentir, vivre et respecter les besoins et les sentiments de ses collègues et des aidés, aussi différents des siens et extravagants qu’ils puissent lui paraître.

Pour que l’aidant soit davantage capable de diminuer l’anxiété de l’aidé, il ne faut pas qu’il le juge mais qu’il l’accepte et le respecte, il ne faut pas qu’il se conduise en parent donneur de leçon, victime d’attentes irréalistes, il ne faut pas qu’il ait peur de la maladie ou de la mort ou qu’il en fasse un échec personnel, il faut donc que lui-même et son équipe aient appris à travailler ensemble en gérant leur énergie, qu’ils se soient suffisamment construits. Cette construction ne peut être que le fruit d’une attitude personnelle reliée à l’intention d’une équipe.

Il faut donc donner aux aidants l’opportunité de regarder en face leurs maladresses – dans un contexte non culpabilisateur – de travailler leur savoir être et leur savoir faire, et cela ne peut se faire qu’en leur donnant des espaces de partage de leurs expériences qui leur permettront de se consolider, et de se dynamiser au cœur même de leur tâche.

© 2012 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.


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Audréna

Article très intéressant que je résumerais avec un proverbe indien (proverbe que j’ai retenu lors d’une de vos formations) : “Pour pouvoir sortir quelqu’un du bourbier, il faut avoir soi-même les deux pieds sur la terre ferme.”